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Report ou "enterrement de première classe" pour l'Eco ? La perspective d'une monnaie unique ouest-africaine s'éloigne

La monnaie commune aux 15 pays de la Cédéao devait être lancée en 2020, mais ce serpent de mer dont on parle depuis des décennies est au point mort. 

Article rédigé par franceinfo Afrique avec AFP
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Le 7 septembre 2020 : les présidents des pays membres de la Cédéao, lors du dernier sommet qui a réuni à Niamey, au Niger, les 15 pays de l'Afrique de l'Ouest. Au menu, la situation politique au Mali et l'avenir de l'Eco. (BOUREIMA HAMA / AFP)

Une monnaie unique pour l’ensemble des 15 pays de l'Afrique de l'Ouest verra-t-elle le jour ? Rien n’est moins sûr. L'annonce en 2019 par les chefs d'Etat de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) du lancement de l'Eco dès 2020 semblait déjà totalement irréaliste. Il aurait fallu, en un an, créer une banque centrale, décider du régime de change, fabriquer pièces et billets, adapter les systèmes informatiques et les administrations... ce que l'Europe a mis une quinzaine d'années à faire pour lancer son euro.

La crise économique engendrée par la pandémie de coronavirus n’a évidemment rien arrangé. La chute de la croissance en Afrique de l'Ouest rend impossible le respect des critères de convergence qui devait concerner l’inflation, la dette et les déficits public. Ce qui est clair, c'est que les conditions ne sont pas remplies pour la création d'une zone monétaire commune à 15 pays.

Eco, la grande confusion

A cela s'est ajoutée la confusion créée par le changement annoncé du franc CFA en Eco par les huit pays de l’espace francophone de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa), membres de la Cédéao. En annonçant sans crier gare qu’elle adopterait une devise portant le nom de la future monnaie unique, l’Uémoa (Côte d'Ivoire, Sénégal, Bénin, Burkina, Niger, Togo, Mali, Guinée Bissau) a semé la discorde. Provoquant une véritable méfiance du Nigeria, grande puissance économique de la région qui entend bien obtenir le leadership de la future monnaie.

Avec cet accord passé avec Paris sur la fin du franc CFA, la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès du Trésor français, obligation qui était perçue comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France par les détracteurs du franc CFA.

Autre différence importante : Paris se retire des intances de gouvernance dans lesquelles elle était présente. Jusqu'à présent, le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque de France participaient aux deux réunions annuelles, dont l'une se déroulait à Paris.

En revanche, la France continuera de jouer son rôle de garant pour cette monnaie qui maintiendra également une parité fixe avec l'euro (1 euro = 655,96 francs CFA).
C’est notamment ce dernier point qui gêne les pays anglophones de la région. Le Nigeria exige, pour s'engager dans une véritable union monétaire, que les pays de la zone franc CFA rompent totalement leurs liens avec la France et mettent fin à la parité fixe avec l’euro.

Lorsque j'étais ministre en 2000, on parlait déjà d'un délai de cinq ans. Nous ne pouvons pas attendre pendant mille ans que soient réglées les incompatibilités des uns et des autres!

Daniel Anikpo, ancien ministre ivoirien du Commerce et de l'Industrie

à l'AFP

De leur côté, les pays de la zone franc redoutent de tomber dans l'instabilité monétaire que connaissent leurs voisins anglophones de la Zone monétaire d'Afrique de l'Ouest (Ghana, Nigeria, Liberia, Sierra Leone, Gambie), qui ont chacun leur monnaie. Ils ont peur également de tomber sous la domination du Nigeria, poids lourd des 15 pays de la Cédéao, avec 180 millions d'habitants sur 300, et 65% du PIB de la zone.

Conscient des difficultés, le président nigérien Mahamadou Issoufou a exhorté ses homologues, lors du dernier sommet de la Cédéao, le 7 septembre 2020, "à reporter l'échéance" et "à élaborer une nouvelle feuille de route tout en maintenant une approche graduelle pour le lancement de la monnaie commune".

Un enterrement de première classe ?

"Non, ce n'est pas un enterrement, c'est un report", veut croire Yao Prao, professeur d'économie à l'université de Bouaké (Côte d'Ivoire), selon lequel le président ivoirien Alassane Ouattara a évoqué un délai de cinq années supplémentaires.

"C'est une question de volonté politique. Cinq années suffisent pour y arriver", estime-t-il, en dépit des "discordances" entre les pays. En revanche, pour l'économiste et ancien ministre ivoirien Daniel Anikpo, l'Eco "ne va pas se faire", car "il n'y a pas la volonté politique".

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