L'Egyptien Mohamed Morsi, un président au double langage
Pour ses adversaires, Mohamed Morsi n’est qu’une «roue de secours». Il a en effet remplacé au pied levé un célèbre et ancien prisonnier politique, l’homme d’affaires Khaïrat al Chater, invalidé en avril en raison de deux condamnations à des peines de prison du temps de Moubarak. Une invalidation probablement imposée par les militaires...
Pour les Frères musulmans, c’était le candidat naturel de remplacement. Président du Parti de la justice et de la liberté, leur vitrine légale, Mohamed Morsi, 60 ans, a en effet consacré 33 ans à cette organisation secrète, à la discipline militaire. Sortie de la semi-clandestinité au moment de la révolution de février 2011, la confrérie islamiste est la plus puissante et la mieux organisée des forces politiques du pays à travers ses réseaux caritatifs locaux et ses syndicats professionnels.
La joie de la foule place Tahrir à l'annonce du résultat de l'élection
Euronews, le 24-6-2012
Un ingénieur formé aux Etats-Unis
Mohamed Morsi a été le chef des députés des Frères à l’Assemblée du peuple. Il a été emprisonné à deux reprises, en 2006 et en 2011.
Peu charismatique et à la réputation d’apparatchik, cet ingénieur de formation est né dans une famille de paysans du Delta du Nil. Diplômé de l’université du Caire, il a obtenu en 1982 un doctorat à l’université de Caroline du Sud (Etats-Unis) avant d’obtenir un poste de professeur à la California State University (Northridge), près de Los Angeles. Deux de ses cinq enfants sont de nationalité américaine. De retour en Egypte, il a travaillé à l’université de Zagazig (nord).
Malgré son cursus, il n’est pas pro-américain. Il a ainsi fait savoir qu’il souhaitait des relations «plus équilibrées» avec Washington. «Nous préserverons les traités et chartes internationaux», a-t-il promis. Ce qui inclut les accords de paix signés en 1979 avec l’Etat hébreu. Accords que ce militant du Comité de résistance au sionisme, groupe anti-israélien, a toutefois dit vouloir «réviser»…
L’ambiguïté du discours
Toute l’ambiguïté du personnage est là. «Je suis le président de tous les Egyptiens sans exception», a-t-il dit dans son premier discours à la nation. Il a décrit l’Egypte comme un Etat «civil et démocratique» et n’hésite pas à exprimer son attachement aux valeurs de la démocratie. Pendant la campagne, il a multiplié les promesses sur la liberté de la presse, les droits des chrétiens et ceux des femmes, qui ne seront pas obligées de porter le voile. Il s’est aussi présenté comme le candidat de la «révolution».
Ses détracteurs, notamment les militants laïcs et libéraux à l’origine du renversement de Moubarak, ne manquent pas de rappeler la réticence, voire le mépris dont il a fait preuve lors du début du soulèvement de la place Tahrir au Caire. Il s’est également accroché avec les jeunes de sa confrérie qui insistaient sur l’urgence de rejoindre les manifestationst. Les mêmes détracteurs rappellent qu’en 2007, il a été l’un des principaux auteurs du premier programme officiel des Frères interdisant la présidence de la République aux coptes et aux femmes.
«Le cadre islamique peut contrôler le gouvernement et le comportement de l’Etat», explique-t-il. Il a promis de mettre en place la charia, qui figure déjà dans l’actuelle Constitution. En la matière, il a tempéré son propos : il a ainsi éludé une question sur le port du bikini sur les plages touristiques de la mer Rouge, qu’il a présenté comme un sujet «très marginal»… Avant le premier tour, son discours, truffé de références religieuses, était volontiers sectaire dans ses meetings en province. Mais le propos devenait plus nébuleux lorsqu’il s’exprimait dans les médias.
Adepte du «consensus» ou «bureaucrate hyper-autoritaire» ?
Qui est, alors, Mohamed Morsi ? Il «est d’abord le rouage d’une machine restée dans les mains du guide suprême de la confrérie», estime Le Monde. Ses amis le présentent comme un homme «souple, [qui] cherche à trouver le consensus». «C’est un bureaucrate avant toute chose, hyper-autoritaire, glacial et obsédé par l’ordre», rétorque Abderrahmane Ayash, jeune militant qui a pris ses distances avec les Frères.
Reste à savoir si le nouveau président ne se heurtera pas au principe de réalité. Il devra ainsi composer avec le Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui, de fait, se réserve le pouvoir législatif, après avoir dissout mi-juin une Assemblée dominée par les islamistes. Les militaires auront ainsi un droit de véto sur tous les projets de loi et sur le budget, ainsi que sur toutes les questions relevant de la sécurité nationale. Dans le même temps, l’armée continue à avoir «des contacts au plus haut niveau» avec l’Etat hébreu, note un journaliste étranger travaillant en Israël.
«Les Frères musulmans prendront ce qu’ils ont, une prise encore inimaginable pour eux il y a 18 mois. Une présidence imparfaite vaut mieux que rien», estime un diplomate occidental au Caire. Le «bureaucrate hyper-autoritaire» va peut-être devoir apprendre l’art du compromis…
Qui est Mohamed Morsi ?
Al Jazira (en anglais) le 24-6-2012
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