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Le poids économique de l'armée a-t-il pesé dans le coup d'Etat en Egypte ?

En Egypte, l’armée dirige le pays depuis 1952. Naguib, Nasser, Sadate, Moubarak sont tous issus de ses rangs. Chassée du pouvoir après l’élection de Mohamed Morsi, elle est revenue grâce à un coup d'Etat. Forte de cette présence politique de plus de 60 ans, elle a su constituer une vraie puissance économique, sans que l’on mesure très bien quelle est l'ampleur de cet Etat dans l'Etat.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Portrait du commandant de l'armée, Fattah al-Sisi, au Caire, le 1er août 2013 (MICHAEL KAPPELER / DPA / DPA PICTURE-ALLIANCE/AFP)

Croissance en berne, Etat en faillite… l’instabilité de l’Egypte a fini de mettre à genoux une économie qui progressait de 6%  par an environ avant la crise et la révolution. Une situation qui ne pouvait que faire réagir les principaux acteurs économiques égyptiens. Or, parmi eux figurerait en bonne place l’armée égyptienne. Difficile cependant d'affirmer que le coup d'Etat a eu lieu pour protéger ses intérêts.

«L 'armée n'est pas qu'un acteur politique, c'est également un acteur économique », affirmait sur Arte Akram Belkaïd journaliste et auteur notamment d'«Etre arabe aujourd'hui». Il chiffre le poids de l’armée à 25-30% du PIB égyptien. Les estimations en ce domaine sont nombreuses et très floues puisqu’elles varient dans une fourchette qui va de 10 à 40%. «On sait très peu de choses sur le poids réel [de l’armée égyptienne] dans l’économie, car très peu est publié à ce sujet », explique Robert Springborg, expert sur ​​les forces armées égyptiennes et professeur au département de la sécurité nationale à la Naval Postgraduate School en Californie, cité par Al Jazeera.

«Depuis les aiguilles jusqu'aux fusées»
Depuis 1952, l'armée a investi de très nombreux secteurs de la société. «L'armée, affirme Zeinab Abul Magd, professeur d’histoire et d’économie politique à l'Université américaine du Caire, est présente dans presque tous les secteurs : Elle produit tout ce que vous pouvez imaginer : les pâtes, l'huile d'olive, l'eau minérale, les casseroles, les poêles, les fours mais aussi le ciment, le fer, l'acier ou encore les produits chimiques et les pesticides, tout ! Et c’est sans compter leur mainmise sur des hôtels, des exploitations agricoles et autres terrains à bâtir»  rappelle France 24. Bref l'armée produirait de tout. «Depuis les aiguilles jusqu'aux fusées», dit-on en Egypte.

Slate Afrique retrace le contexte de développement de ces activités extra-militaires : «soumis à un embargo de l’Occident et confronté à la réticence russe de l’aider à moderniser son armement, Nasser a entrepris de mettre en place une véritable industrie militaire. Armement, munitions, avions et même blindés, l’ambition de ce programme a créé une infrastructure qui perdure à ce jour. Elle fait même de l’Egypte un important exportateur d’armes à destination des pays du Golfe mais aussi de l’Afrique».

Plus tard, sous Sadate, lors de la libéralisation économique
, l’armée a diversifié ses activités et investi un nombre importants de secteurs civils, au point de représenter 20% de l’emploi national. «Les activités économiques de l’armée sont à la fois une réalité et un tabou», explique un analyste du centre de recherche d’Al Ahram. «Personne n’a une idée exacte de tout ce qu’elle contrôle comme business mais c’est énorme».

Selon des documents WikiLeaks de septembre 2008, l’ambassadeur en Égypte pour les États-Unis, Margaret Scobey, déclarait : «L’armée contribue à assurer la stabilité du régime et exploite un vaste réseau d’entreprises, car elle devient une entreprise ’quasi-commerciale elle-même», rappelle Al jazeera. 

Akram Belkaïd justifie cette implication dans une grande partie de l'économie. «Ce n'est pas vraiment de la corruption, c'est plutôt du clientélisme parce que ce sont des activités de l'armée, cela permet à certains dirigeants, à certains officiers supérieurs ou même à des officiers intermédiaires de trouver un point de chute au moment où ils vont prendre leur retraite».

Le manque de transparence de ce «complexe militaro-industriel» à la mode égyptienne a longtemps alimenté les rumeurs de corruption à l'encontre d'Hosni Moubarak.  The Guardian rapportait que «selon des experts du Moyen-Orient la fortune de la famille du président égyptien serait comprise entre 40 et 70 milliards de dollars». Chiffre relativisé par d'autres médias...
 
Outre ses intérêts dans l’économie égyptienne, l’armée reçoit chaque année  environ 1,5 milliard de dollars par an des Etats-Unis. Après l’éviction de Morsi, un projet de loi au Sénat américain pour bloquer l’aide à destination de l’Égypte en raison du coup d’État militaire, a cependant été rejetée par 86 voix contre à peine 13…

Lors d'une cérémonie, Mohamed Morsi, alors président, entouré de hauts gradés de l'armée égyptienne (Juin 2012).  (EGYPTIAN PRESIDENCY / AFP)

Un coup d'Etat lié à ses intérêts économiques ?
Certains ont tenté d'expliquer le coup d'Etat comme une réponse à une éventuelle menace des Frères musulmans contre les intérêts de l'armée. . D'après Zeinab Abul Magd, cette menace ne s'est jamais matérialisée,  Au contraire,«ils ont aidé les militaires à étendre leur empire économique et à acquérir davantage d'entreprises», affirme-t-elle

Point de vue légèrement différent pour Akram Belkaïd  « Morsi a payé le prix de sa volonté de s'émanciper trop vite et de manière trop radicale vis à vis du pouvoir militaire d'une part». .Il est vrai que le président avait réussi à écarter en août 2012 le pouvoir militaire, en mettant à la retraite le maréchal Tantaoui. «Et deuxièmement, il paye son impopularité par rapport à la plus grande partie de la population », ajoutait M.Belkaïd.

La situation économique de l'Egypte est en effet catastrophique : chômage de plus de 20% (45% pour les jeunes), inflation supérieure à 9%, déficit supérieur à 10%, recettes touristiques en fort recul, réserves des changes quasi nulles...

Reste à savoir si l'armée, revenue au pouvoir, saura rétablir les conditions nécessaires au redemarrage de l'économie quitte à prendre les mesures impopulaires demandées par le FMI (comme les baisses des subventions aux produits de base). que le gouvernement Morsi n'avait pas voulu prendre. Au risque de perdre la popularité sur laquelle elle a surfé pour reprendre le pouvoir.

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