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Pourquoi les prairies africaines brûlent-elles ?

Les incendies dans la forêt amazonienne font beaucoup parler d'eux. Mais il semblerait qu'il y ait beaucoup plus d'incendies en Afrique qu'au Brésil. Les explications, dans "The Conversation", de Colin Beale, de l'Université de York (Royaume Uni).

Article rédigé par The Conversation - Colin Beale
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Publié
Temps de lecture : 6min
Feu de brousse dans la Masai-Mara Reserve au Kenya, le 24 juillet 2018 (MICHEL & CHRISTINE DENIS-HUOT / BIOSPHOTO)

Les incendies catastrophiques dans la forêt amazonienne ont fait la une des médias du monde entier, mais depuis, la NASA a noté qu'il y a actuellement beaucoup plus d'incendies dans certaines régions d'Afrique qu'au Brésil.

Cela a amené certains à se demander si l'on n'applique pas la régle du deux poids, deux mesures: ignorons-nous une catastrophe environnementale encore plus grande en Afrique ? Les incendies en Amazonie sont-ils mis en avant comme un moyen pratique de critiquer un dirigeant brésilien déjà impopulaire parmi les environnementalistes ?

J'ai étudié les impacts écologiques des incendies en Afrique de l'Est pendant plus d'une décennie, avec des collègues du monde entier.

Alors, ces incendies sont-ils un désastre du même style que ceux d'Amazonie ?


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Le feu est un élément essentiel de la savane

La première chose à savoir est que l'impact d'un feu de forêt dépend plus de l'endroit et de ce qu'il brûle, que de son ampleur ou même du nombre d'incendies présents.

Un ranger allume un "feu de gestion" dans l'écosystème du Serengeti pour contrôler la croissance de la brousse.  (Colin Beale, Author provided)
La grande majorité des feux africains qui brûlent actuellement semblent être dans les prairies, exactement là où nous nous attendons à voir des incendies à cette période de l'année. Ces feux sont généralement allumés par les éleveurs dans le cadre de leur gestion traditionnelle des savanes où leurs animaux vont pâturer. Certains feux sont allumés pour stimuler la croissance d'herbe nutritive pour leurs animaux, d'autres sont utilisés pour contrôler le nombre de tiques parasitaires ou gérer la croissance de broussailles épineuses.

Sans les incendies, de nombreuses savanes (et les animaux qu'elles abritent) n'existeraient pas, et les allumer est une activité clé de gestion dans de nombreuses aires protégées emblématiques de l'Afrique. Par exemple, le Serengeti en Tanzanie est connu dans le monde entier pour ses animaux de safari et sa migration impressionnante de gnous - et notre travail montre qu'environ la moitié de ses prairies brûlent chaque année.

Deux buffles du Cap ont laissé ce feu de début de saison brûler autour d'eux dans le parc national du Serengeti. (Colin Beale, Author provided)

Les feux de savane sont-ils naturels ?

On me demande souvent si ces incendies en Afrique sont naturels et s'ils devraient faire partie d'un plan de gestion de la conservation. Je réponds habituellement par une question : qu'est-ce qui est « naturel » dans un continent où les hominidés - nos ancêtres et nos plus proches parents - ont allumé des feux pendant un million d'années ?

La savane s'est développée avec les hominidés qui allumaient des feux, probablement d'abord pour encourager l'herbe à attirer les animaux qu'ils chasseraient, puis plus tard, comme pasteurs, pour que leurs propres animaux puissent paître. Les animaux et les plantes de la savane sont adaptés non seulement pour survivre à ces incendies, mais certains en ont besoin : le beau courvite de Temminck est un oiseau aux œufs noirs de frêne qui nidifie uniquement dans les prairies récemment brûlées.

L'an dernier, j'ai dirigé des recherches qui ont contribué à démontrer l'importance du feu pour la biodiversité dans ces régions. Nous avons examiné les parties de la savane où il y avait de nombreux types d'incendies - certains importants, d'autres pas, et parfois sans feu - et nous avons constaté qu'il y avait jusqu'à 30 pour cent plus de communautés de mammifères diversifiées et 40 pour cent plus d'oiseaux.

Deux buffles du Cap ont laissé ce feu de début de saison brûler autour d'eux dans le parc national du Serengeti (nord de la Tanzanie). (Gerrit_de_Vries / shutterstock)
Et tout aussi important, les feux dans la savane brûlent principalement des herbes sèches qui repoussent chaque année : le CO₂ libéré par les feux dans les prairies est réabsorbé par la croissance de nouvelles herbes l'année suivante, ce qui signifie que ces feux sont presque neutres en carbone sur une période d'un an.

Les forêts brûlent-elles ?

Contrairement aux feux de savane, les feux de forêt sont un vrai problème que ce soit en Afrique ou en Amazonie. Les forêts tropicales sont généralement des endroits chauds et humides, sans herbe sèche qui favorise l'expansion du feu, donc elles ne brûlent généralement pas. Cependant, si elles sont desséchées, soit par la sécheresse, soit par la déforestation, cela crée des arêtes vives où s'engouffre le vent. Les forêts peuvent ainsi brûler de façon catastrophique.

Les cigognes du Marabou affluent vers les feux du Serengeti (Tanzanie) pour manger les petits animaux pris dans les flammes. (Colin Beale, Author provided)
Comme les plantes et les animaux de ces forêts ne sont pas adaptés au feu, beaucoup meurent et l'écosystème peut mettre des décennies à se rétablir. De même, et en contraste par rapport aux incendies dans les écosystèmes des prairies, il faudra des décennies pour réabsorber le carbone libéré par les incendies . Cela signifie que les incendies de forêt ont un impact énorme sur les émissions mondiales.

Bien qu'il y ait probablement des incendies dans les forêts africaines en ce moment (il y en a toujours), il n'y a pas d'augmentation évidente de leur augmentation sur le continent - alors que tout indique que les incendies de forêt en Amazonie sont beaucoup plus nombreux cette année qu'auparavant.

L'Amazonie est la vraie histoire

Malheureusement, il semble que contrairement aux incendies en Afrique, ceux en Amazonie brûlent dans des zones forestières où le coût pour la biodiversité, les populations autochtones et le carbone est susceptible d'être extrêmement élevé. Il semble également qu'il y ait de bonnes preuves qu'il y a plus de feux cette année qu'auparavant - et qu'il n'y a pas eu de sécheresse. Cela signifie probablement que les qens qui allument des feux dans ces régions l'ont fait davantage cette année.

Cela ne peut pas être entièrement dû aux signaux envoyés par le président brésilien d'extrême droite, Jair Bolsonaro, bien sûr, car les feux brûlent dans d'autres pays que le Brésil, notamment en Bolivie. Mais il semble clair que ce qui se passe en Amazonie est la vraie histoire, alors que l'indignation face aux incendies en Afrique n'est peut-être juste qu'une diversion.
The Conversation

Colin Beale, Reader in Ecology, University of York

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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