"Biens mal acquis" : "Nous souhaitons que la loi française permette de renvoyer les sommes confisquées aux populations spoliées", plaide Marc-André Feffer
Le jugement rendu le 10 février 2020 dans l'affaire des "biens mal acquis" contre le vice-président équato-guinéen Teodoro Obiang Jr est historique. Pour le président de Transparency International France, Marc-André Feffer, la restitution des avoirs constitue l'étape suivante.
"La France n’est plus une terre d’accueil pour les avoirs issus du blanchiment de l’argent sale", se réjouissait le président de Transparency International France (TI-France) le 10 février 2020. Une étape décisive d'un important feuilleton judiciaire venait de se conclure. Le premier procès dans l’affaire des "biens mal acquis", dans lequel TI-France s'est porté partie civile, s'est ouvert à Paris le 19 juin 2017. Teodoro Obiang Jr, surnommé Teodorin, fils du chef de l'Etat et vice-président de Guinée équatoriale, a été condamné le 27 octobre 2017 par le Tribunal correctionnel de Paris à trois ans de prison avec sursis, à une amende de 30 millions d’euros avec sursis et à la confiscation intégrale de ses biens saisis sur le territoire français. Valeur estimée : plus de 150 millions d’euros. Le responsable équato-guinéen fera appel de la décision. La Cour d'appel a rendu son verdict le 10 février 2020. La peine de prison et la confiscation ont été confirmés, mais la justice française a alourdi la peine en rendant ferme l'amende de 30 millions, infligée en première instance avec sursis. Entretien avec Marc-André Feffer.
Franceinfo Afrique : en quoi ce jugement dans l'affaire Obiang est historique ?
Marc-André Feffer : le jugement historique était intervenu, il y a deux ans et demi, avec la première condamnation par le tribunal correctionnel. Mais il est vrai que la Cour d'appel en confirmant et en aggravant le jugement a, elle-même, rendu une décision exemplaire parce que c'est la première fois en France qu'un dirigeant étranger, qui a utilisé de l'argent sale pour acheter des biens immobiliers ou mobiliers en France, est condamné pénalement.
Le premier objectif, quand nous nous sommes portés partie civile il y a maintenant 11 ans, de faire dire clairement par la justice que la France n'est pas une terre de blanchiment pour de l'argent sale qui aurait été accumulé par des opérations frauduleuses à l'étranger. Deuxième point très important : cette condamnation ouvre la voie, le moment venu, à la restitution des sommes qui ont été confisquées – il y en a à peu près pour 150 millions d'euros dans cette affaire – aux populations de Guinée équatoriale qui ont été spoliées, car la corruption vient appauvrir le pays dans lequel elle se produit. Par conséquent, il est normal que si une sanction intervient, l'argent puisse être restitué aux populations concernées sous forme de programmes de développement.
Mais pour cela, il faut encore que l'on modifie la loi française. Aujourd'hui, notre loi fait que les produits de confiscation sont renvoyés au budget général de l'Etat. Nous souhaitons que la loi permette désormais de les renvoyer aux populations spoliées. Le gouvernement nous a donné un accord de principe. Il y a eu également un rapport fait par deux députés et nous espérons que, dans les mois qui viennent, une loi puisse être votée pour permettre de rendre cet argent aux populations qui en ont été privées.
Transparency souhaite que cette restitution se fasse selon un schéma précis. Quel est-il ?
C'est un schéma qui ressemble à celui mis en place par les Suisses. Ces derniers ont une loi et ils ont déjà restitué deux milliards d'euros de biens mal acquis. Le processus de restitution doit se faire dans des conditions de transparence, d'intégrité et les populations doivent y être associées. Rendre autant d'argent doit se faire de telle sorte que l'on sache à tout moment à quoi il va servir et il ne faudrait pas que ces sommes repartent dans des circuits de corruption. Et, surtout, il faut que la société civile soit associée car nous n'avons pas la capacité, tous seuls au niveau français, de dire quel programme pourrait être intéressant pour les habitants de la Guinée équatoriale. Il faut des concertations et des consultations pour trouver les programmes les plus adaptés.
Où en sont les autres volets de l'affaire des "biens mal acquis", ceux qui concernent le Gabon et le Congo ?
Pour l'instant, le seul volet qui soit allé au procès, c'est le volet concernant la Guinée équatoriale. Il n'est pas clos parce que M. Obiang va se pourvoir en cassation. Nous nous sommes portés partie civile dans ces deux autres affaires qui concernent le Gabon et le Congo. Elles sont encore à l'instruction, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu de renvoi, à ce stade, devant le tribunal. Elles suivent leur cours judiciaire.
Vous espérez évidemment qu'une jurisprudence soit créée après l'affaire Obiang...
Nous considérons que cette condamnation pose une jurisprudence et établit une position de la justice française à l'égard de ce type de problèmes.
Le verdict qui vient d'être rendu est-il assez dissuasif ?
L'élément de dissuasion et d'exemplarité est important. C'est quand même un dirigeant étranger de haut niveau qui se voit condamné pénalement en France. C'est tout à a fait nouveau et cela donne bien le sentiment que nous souhaitions, à savoir que la France n'est pas une terre d'accueil pour ce type de comportement. Cela a été dit très clairement par le tribunal correctionnel et cela a été rappelé, avec une aggravation de la peine, par la Cour d'appel. C'est un signal très fort qui est donné. En outre, on sent une sensibilisation croissante à ces questions. Par exemple, j'ai eu un certain nombre d'appels d'Allemagne. Le gouvernement allemand s'y intéresse, tout comme la Commission européenne, les Anglais également... Progressivement, c'est un sujet qui arrive en haut de l'agenda et la justice française contribue à ce processus.
Il y a cette prise de conscience en Europe et vous évoquiez le dispositif suisse. Les Américains ont également leur façon de procéder dans ces affaires : le dossier Abacha au Nigeria le démontre. Peut-on imaginer une harmonisation des procédures à l'échelle mondiale dans la lutte contre les biens mal acquis ?
Certainement, d'autant qu'il y a déjà dans tous ces dossiers une coopération entre la justice de ces différents pays. Mais, au fond, le droit pénal de chaque pays s'applique. Harmoniser les législations, pourquoi pas ? D'une certaine façon, c'est le sens de nos propositions au gouvernement français puisqu'elles s'inspirent largement des mécanismes mis en place en Suisse. On peut aussi converger par le biais de législations qui se rapprochent les unes des autres. Cependant, il y a aussi des différences dans le système juridictionnel de chaque pays. Notamment le système américain est beaucoup plus propice à la justice transactionnelle (qui permet de poursuivre les entreprises impliquées dans la corruption internationale) qu'il ne l'est en France. Coopérer, oui ! Rapprocher les législations, pourquoi pas ? C'est ce que nous essayons de faire d'une certaine manière en proposant une législation qui s'inspire de celle de nos voisins.
Les "Luanda Leaks" ont mis en exergue le rôle des intermédiaires dans les affaires de corruption. Peut-on imaginer que Transparency s'attaque également à cette question en les rendant pénalement responsables ?
Le tribunal l'avait signalé en première instance. L'achat de ces biens immobiliers en France n'est pas possible sans la collaboration active d'intermédiaires. D'après les mises en examen qui ont pu déjà intervenir dans les autres dossiers, la justice s'intéresse maintenant aux intermédiaires pour rechercher leur complicités éventuelles. Il est possible dans le cadre de ces deux dossiers qui sont à l'instruction (Gabon et Congo, NDLR) que la responsabilité pénale d'un certain nombre d'intermédiaires soit mise en cause.
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