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Guinée: «Un étudiant, une tablette», la bonne idée qui peine à se concrétiser

La vidéo d’un président guinéen excédé par des étudiants réclamant la tablette promise dans le cadre d’un programme national a fait le tour du monde. Alpha Condé a pris violemment à partie ses jeunes compatriotes et a surtout annoncé la suspension du projet, pour ensuite revenir sur sa décision. Un nouveau couac pour un programme numérique d'un Etat en faveur de l'éducation, inédit en Afrique.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Des tablettes Sincery encore emballées  (DR/Page Facebook de la tablette Sincery )

Forum de l’étudiant guinéen, 1er juin 2017 à Conakry, la capitale guinéenne. «Vous êtes comme des cabris. "Tablettes! Tablettes! Tablettes!"», déclare le président guinéen Alpha Condé en sautillant pour accompagner son propos. 

«On ne mettra pas de tablettes à votre disposition, poursuit le dirigeant en colère. Ce n’est pas un droit! Même en France, aux Etats-Unis, on n'a pas distribué, mis à disposition des étudiants, des tablettes. On a mis des ordinateurs dans les écoles. C’est notre volonté mais vous êtes indignes de cela. Donc, pour le moment, on suspend les tablettes jusqu'à nouvel ordre!» 


Les tablettes en question ont été baptisées Sincery, du nom d'une chaîne de montagnes située dans la préfecture de Dabola (centre du pays). Elles doivent permettre aux étudiants guinéens «d'avoir accès aux cours des meilleures universités du monde, à plus de 100.000 ouvrages numériques et 500 cours élaborés par des professeurs guinéens (...) et à des plateformes d’apprentissage et d’évaluation en ligne». 

La vidéo de l'ire présidentielle face à des étudiants qui réclamaient avec trop de véhémence, semble-t-il à son goût, la tablette promise par l’Etat dans le cadre «de l'Initiative présidentielle pour les nouvelles technologies de l'Information et de la communication appliquées à l'enseignement» a fait le tour du monde.



Entretemps, Alpha Condé est revenu sur sa décision. Dans un communiqué repris le 8 juin 2017 par plusieurs médias guinéens et émanant de la présidence, il «a déploré le retard accusé dans le processus (...)». «Il ressort que malgré tout, poursuit le document, l’opération a commencé il y a de cela un mois et a déjà donné des résultats probants: plus de 600 étudiants ont acquis leurs tablettes à des prix défiant toute concurrence, grâce à une subvention importante consentie par l’Etat (...)» Sur le site consacré à la tablette, il est indiqué qu'elles sont disponibles depuis avril. 

«Nous allons commencer le processus d’enregistrement de tous ceux qui sont intéressés (par) les tablettes Sincery cette semaine, expliquait Alpha Boubacar Barry, PDG de Jatropha SA, partenaire financier du projet Sincery dans un article publié le 21 avril 2017 par Guinée360.com. Nous sommes en train d’aménager nos agences à l’intérieur de toutes les universités concernées. Il y en a 32 au total. C’est un travail logistique assez important.»

Ce n'est pas la première fois que le président guinéen est chahuté par les étudiants à propos de la fameuse tablette Sincery qui se fait désirer depuis deux ans. Alpha Condé l'avait été en janvier 2017 mais semblait moins irrité à l'époque. Hilare, il avait alors comparé les étudiants, impatients, à des personnes assoiffées dans le désert qui auraient aperçu un oasis.  


«Connecter le jeune Guinéen à l’avenir», c’est l’un des leitmotivs du projet. Mais cette connexion n'est pas pour autant gratuite. La tablette, qui peut aussi s'acheter comptant, est disponible contre un crédit-bail garanti par l'Etat guinéen. L'étudiant (le chercheur ou l'enseigant qui sont également éligibles) doit alors s'acquitter de 136.500 GNF (francs guinéens) par mois après avoir versé 30% de la valeur de la tablette à l'achat (300.000 sur 981.750 GNF).  

A terme, la tablette Sincery «va être montée, programmée, utilisée et exploitée en Guinée», affirmait en 2015 le ministre guinéen de l’Enseignement supérieur, Baïlo Teliwel Diallo. «Elle méritera complètement son label guinéen. Nous allons l’exporter vers les pays voisins avec le label "Sincery, made in Guinée"». L'expertise est exportable sur le continent africain car il faut se tourner vers la Côte d'Ivoire pour trouver une inititiative similaire. L'entrepreneur ivoirien Thierry N'Doufou a lancé en 2014 une tablette éducative baptisée Quelasy.  

Alpha Condé admettait le 1er juin 2017 que «l’éducation en Guinée est malade». Sincery est-elle une première étape vers la guérison? Elle aura au moins le mérite de régler un problème. «Pour l’étudiant guinéen qui avait des difficultés à avoir accès à des livres, (…) aux cours dispensés dans l’université, c’est l’opportunité (…) d’explorer sans frontières les autres sources de connaissance dans le monde», résumait Alpha Bacar Barry, le responsable de Jatropha SA, au moment du lancement du projet Un étudiant, une tablette.  



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