Libye : le conflit entre Khalifa Haftar et Fayez el-Sarraj dans une "impasse durable et destructrice"
Un mois après le début de l'assaut du maréchal Haftar sur Tripoli, l'impasse est totale : les positions militaires sont figées et tout dialogue semble impossible pour sortir de ce énième conflit en Libye, devenue terrain de luttes d'influence entre grandes puissances.
Le 4 avril, à dix jours du début d'une conférence interlibyenne destinée à tenter de sortir le pays de huit ans de chaos, Khalifa Haftar, l'homme fort de la province orientale, s'est lancé à la conquête de Tripoli, siège du Gouvernement d'union nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj, reconnu par la communauté internationale.
Arrivées rapidement aux portes de la capitale, ses forces, autoproclamées Armée nationale libyenne (ANL), se sont heurtées aux troupes pro-GNA, appuyées par des milices venues de plusieurs villes de l'ouest, notamment Misrata, qui accusent le maréchal Haftar de vouloir instaurer une nouvelle "dictature militaire".
Un conflit entre des forces équivalentes
Après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, à l’issue de huit mois de révolte, le pays pétrolier a sombré dans le chaos avec une multitude de milices qui font la loi et des luttes de pouvoir acharnées.
Dans le conflit actuel, les lignes ont peu bougé sur le terrain depuis plus de trois semaines, même si les pro-GNA ont desserré un peu l'étreinte de l'ANL avec une contre-attaque lancée le 20 avril. Des combats urbains sont toujours en cours dans la banlieue sud de la capitale, à Aïn Zara, position avancée de l'ANL à une douzaine de km du centre-ville et à Salaheddine et Khalat al-Ferjan à environ 20 km du centre-ville.
Plus à l'ouest, les pro-GNA ont repris du terrain autour d'al-Aziziya. Des affrontements se déroulent à une trentaine de kilomètres de Tripoli, autour de l'aéroport international – inutilisé depuis sa destruction par des combats entre milices en 2014 – et au nord de la ville de Gharyan, à 80 km au sud-ouest de la capitale, une base arrière de l'ANL.
Mais "la ligne de front varie de manière très fluide et accidentée, parfois plusieurs fois par jour", relève Jalel Harchaoui, chercheur à l'Institut Clingendael de La Haye. De part et d'autre, les forces sont équivalentes. "L'ANL compte 25 000 hommes : 7000 réguliers et 18 000 membres des milices. Le GNA peut compter sur 18 000 membres des 200 milices de Misrata, la force Rada (1500 combattants de Tripoli), la brigade de Nawasi (1800 de Tripoli), la garde présidentielle (800).
Les parrains de Haftar connus pour "le goût des solutions musclées"
"Les forces aériennes comptent chacune une quinzaine d'appareils et une poignée d'hélicoptères", explique Arnaud Delalande, consultant sur les questions de défense spécialisé sur la Libye. "Les forces en présence semblent présager une situation d'impasse militaire durable et destructrice", estime Jalel Harchaoui. "Cependant, les parrains étrangers de Haftar sont connus pour leur impatience et leur goût des solutions musclées."
"Au plan international, aucune condamnation sérieuse n'a été émise à l'encontre de Haftar. La communauté internationale accepte donc de facto la poursuite d'une guerre périlleuse et prompte à connaître une plus grande détérioration", affirme-t-il.
Au Conseil de sécurité de l'ONU, les pays membres n'ont pas réussi à s'entendre sur une résolution britannique demandant un cessez-le-feu. La Russie s'est opposée au texte critiquant spécifiquement le maréchal Haftar alors que les Etats-Unis ont demandé du temps pour étudier la situation. La France, accusée par le GNA de soutenir politiquement Haftar, a démenti un tel choix et appelé à "un processus politique sous l'égide de l'ONU".
Les puissances régionales, elles, sont à la manœuvre. Khalifa Haftar est en effet soutenu par l'Egypte, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, partisans de régimes forts pour contrer l'influence des islamistes. La Turquie et le Qatar, sont pour leur part favorables au GNA. "Les fronts étant quasiment bloqués, seules les frappes aériennes feront la différence", estime Arnaud Delalande.
Des renversements d'alliances aussi rapides qu'inattendus
Le GNA a dénoncé une participation étrangère à des raids sur des quartiers du sud de Tripoli. Ces frappes menées de nuit ne sont pas possibles avec l'équipement aérien disponible en Libye, selon M. Delalande. "Les restes de missiles trouvés après les frappes ne laissent aucun doute sur leur origine : des LJ-7 de fabrication chinoise, aussi appelés Blue Arrow 7, que seuls peuvent emporter les drones de fabrication chinoise Wing Loong 2 dans cette région", dit-il. "Les Emirats en possèdent et en ont déployé sur le base d'al-Khadim dans l’Est libyen. Ils ont également été utilisés au Yémen par la coalition sous commandement saoudien. Les Wing Loong ont aussi intégré la force aérienne égyptienne depuis octobre", souligne-t-il.
Pour l'instant, ces frappes n'ont pas eu d'effets majeurs sur l'équilibre des forces. Mais dans un pays constellé de milices aux allégeances mouvantes, les renversements d'alliances sont parfois aussi rapides qu'inattendus. "Il est toujours possible que Tripoli perde le soutien de Zawiya", à 50 km plus à l'ouest, indique M. Harchaoui : "Dans cette ville stratégique, une partie des groupes sur lesquels Tripoli repose sont des acteurs corruptibles. Leur résistance ne va peut-être pas durer indéfiniment."
Le GNA a pour le moment exclu toute négociation avec Khalifa Haftar tant qu'il ne retire pas ses troupes. Pour Jalel Harchaoui, "même s'il y a un cessez-le-feu, il est peu probable que l'ANL s'arrête. Il s'agit d'une guerre potentiellement très longue et peu propre."
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