La France au Mali : les pièges de la guerre
Paris s'engage dans une guerre asymétrique difficile à gagner. Le conflit afghan est dans toutes les têtes.
Toute guerre a sa propagande. Et celle que mène la France au Mali n'y coupe pas. Comme en 2001, en Afghanistan, les hauts responsables politiques prennent des mines affectées et communiquent très régulièrement. Ils annoncent qu'ils vont aller "jusqu'au bout", que "bloquer les terroristes, c'est fait" (même si le lendemain une nouvelle ville tombe), que la lutte est "implacable", et ils ouvrent les portes des bases aériennes aux médias, révélant un impressionnant arsenal. Pourtant, après onze ans en Afghanistan, les forces françaises sont reparties sans avoir réussi à "éradiquer le terrorisme", selon l'objectif affiché aujourd'hui par le ministre de la Défense. Au passage, 88 hommes ont perdu la vie. L'histoire va-t-elle se répéter ?
Une guerre asymétrique
Le succès des frappes aériennes est une chose. Parvenir à maîtriser le terrain et permettre à des institutions de retrouver leur légitimité s'avèrera plus compliqué. Ce travail incombera d'abord aux troupes africaines et maliennes. Il devrait durer plusieurs mois, comme l'explique Etienne Leenhardt, responsable du service enquêtes et reportages de France 2.
Mais l'opération pourrait s'avérer très délicate. Libération souligne :"Une fois que l'aviation française aura anéanti les quelques dépôts de munitions et d'essence repérés avant le début des opérations, quelles cibles va-t-elle bien pouvoir viser ?" Le journal a contacté un officier supérieur qui rapporte que "les groupes islamistes auraient mis en place depuis des mois un maillage - aussi serré que difficilement repérable vu du ciel - de points de ravitaillement en vivres, en essence et même en pièces détachées automobiles".
Occupant le désert depuis la fin des années 1990, ils ont appris à exploiter ce territoire difficile, accidenté par endroits et faiblement peuplé. Ils peuvent donc aisément échapper à une surveillance aérienne en tirant partie du relief pour mener une guerre faite d'embuscades, de mouvements et d'évitements. Dès le début de l'intervention française, ils se sont d'ailleurs dispersés sur le territoire dans des localités de faible importance. Bref, la guerre à venir sera une guerre asymétrique, comme toutes celles dans lesquelles la France s'est embourbée. Après avoir échoué en Afghanistan, les Américains se sont d'ailleurs bien gardés de mener l'intervention, rappelle RFI.
Que fera l'Algérie ?
Sans trop pousser la comparaison, comme l'Afghanistan avec le Pakistan, le Mali pourrait aussi faire face à un voisin gênant : l'Algérie. Le Figaro rappelle que "chasser les talibans de Kaboul ne suffisait pas. Il fallait aussi s'attaquer à la base arrière des islamistes au Pakistan".
A la tête des salafistes jihadistes d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) se trouvent des Algériens. Notamment des anciens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), un groupe terroriste algérien issu du Groupe islamique armé (GIA) qui s'est rendu célèbre pour des massacres de civils pendant la guerre civile en Algérie. Les autorités algériennes sont trop heureuses d'avoir contenu les terroristes de l'autre côté de la frontière et ne sont pas pressées de les voir s'éparpiller, encore moins d'assister à l'intervention de l'ancien colonisateur dans son arrière-cour. Pourtant, c'est bien par le désert algérien que les jihadistes se ravitaillent.
Du coup, depuis le début de la crise, l'Algérie a cherché à diviser les groupes armés entre "terroristes" (Aqmi, Mujao) et Touareg, islamistes ou non (Ansar Dine, MNLA), avec qui il était jugé acceptable de négocier. Selon un article de Questions internationales d'Etienne Darles, spécialiste des relations Maghreb-Sahel, un "soutien algérien" aurait même permis à Ansar Dine "de prendre l'ascendant (dans la région) et de s'imposer comme le principal acteur de l'instabilité sécuritaire". Seulement voilà, après avoir fait mine de vouloir négocier, Ansar Dine a finalement fait volte-face, non sans avoir gagné du temps et massé ses troupes près de la zone de démarcation avec le Mali, déclenchant la réaction de la France.
A l'annonce de l'intervention française, Alger, trompée par les islamistes d'Ansar Dine, s'est d'abord faite discrète. Il a fallu attendre le deuxième soir de l'intervention pour que "l'Algérie exprime un soutien sans équivoque aux autorités maliennes de transition", par la voix du porte-parole du ministre des Affaires étrangères. L'Algérie a ensuite fermé ses frontières avec le Mali et autorisé le survol de son espace aérien. Le Figaro relève qu'Alger a ainsi levé un peu ses ambiguïtés. "Pour autant, il est difficile de dire aujourd'hui si Alger se repositionnera ou optera pour une stratégie à la pakistanaise."
Obtenir l'aide des populations locales
Reste, souligne encore Le Figaro, que contrairement au Pakistan, "en Algérie comme au Mali, les jihadistes ont des relais mais ne sont pas en osmose avec des autochtones démunis". Des manifestants ont d'ailleurs protesté contre l'application de la charia, comme à Tombouctou, explique RFI.
En fin de compte, plus que par le soutien des populations locales, c'est par la puissance des ressources qu'ils sont parvenus à mobiliser que les islamistes ont pu recruter et s'imposer. Des ressources qu'ils puisent dans les trafics en tous genre (drogue, migrants) qui empruntent des routes à travers le désert souvent connues d'eux seuls.
Dans ce contexte, les rebelles touareg du MNLA, qui avaient proclamé l'indépendance du Nord-Mali avant de s'en faire chasser par les islamistes, tentent encore une fois de tirer partie de la situation. Ils ont offert leurs services à la France, mettant en avant leur grande connaissance du terrain et leur expérience de la "guerre du désert". Interrogé par l'AFP, Alain Antil, chercheur à l'Institut français des relations internationales, se montre dubitatif. "Actuellement, le MNLA a une existence plus médiatique que militaire", estime-t-il.
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