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Mali : Kidal, ce bastion touareg qui menace l'élection présidentielle

La cité reste contrôlée par les rebelles touareg laïcs du MNLA, compromettant la tenue du scrutin. Mais l'armée malienne, humiliée, veut sa revanche, et a entamé sa marche sur la ville.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un soldat malien, le 25 février, à Gao, dans le nord du Mali. (JOEL SAGET / AFP)

Une route, puis une piste empruntant un oued : 1 542 kilomètres séparent Bamako de Kidal. Un long voyage entre deux mondes. D'un côté, la capitale malienne, 1,6 million d'habitants, repose dans la vallée du fleuve Niger, au croisement des routes menant au Sénégal, en Guinée, en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso. De l'autre, quelques dizaines de milliers d'habitants, une ville de garnison modeste, bâtie de terre crue dans le Sahara et posée dans une plaine désertique entourée de reliefs, où les pénuries d'eau font partie du quotidien. Guère plus que la dernière ville avant la frontière algérienne, en apparence.

Pourtant, c'est bien cette ville-là qui menace le processus électoral de tout un pays. Le 28 juillet, les Maliens doivent se rendre aux urnes pour se choisir un nouveau président. Après le coup d'Etat de mars 2012, prélude à la prise du nord du Mali par des rebelles touareg et des groupes jihadistes, le scrutin doit permettre au Mali de sortir de la transition et de renouer avec la démocratie.

Kidal, dernier verrou touareg

Mais Kidal, fief des rébellions touareg (en 1963, 1990 et 2006), est toujours contrôlée par le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA). Devant l'avancée des troupes françaises, les islamistes d'Ansar Dine ont abandonné le bastion et les séparatistes laïcs du MNLA y ont repris leurs quartiers. Ils patrouillent dans les rues, côtoyant les troupes internationales de la Misma, mais défendent à l'armée malienne, accusée de nombreuses exactions, d'y faire son retour. Qu'en dit la France ? Le MNLA coopère avec Paris et aurait partagé ses précieuses connaissances du terrain avec les troupes françaises dans le massif montagneux de l'Adrar des Ifoghas pour pourchasser les islamistes. Le MNLA n’est "ni notre ami ni notre ennemi, c’est une autre histoire", a lancé en avril le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, selon Libération.

Une écharde douloureuse au Mali. Un symbole devenu une "obsession nationale", comme l'écrit RFI. A Bamako, plus que les jihadistes, c'est le MNLA qui concentre les rancœurs. En janvier 2012, il a été accusé du massacre d'une centaine de militaires maliens. La rébellion a achevé d'humilier l'armée malienne en s'emparant des villes de Gao et Tombouctou, proclamant l'indépendance de l'Azawad, avant de se voir évincer des grandes villes par les jihadistes, à qui le MNLA a pourtant servi de porte-avions.


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Un problème d'élection

Comment, dans ces conditions, garantir un scrutin sur toute l'étendue du territoire, comme l'a souhaité la France ? Le MNLA, le Haut conseil de l'Azawad et les autorités maliennes ont envoyé des représentants à Ouagadougou, au Burkina Faso, pour essayer de s'entendre.

"Le MNLA a dit qu'il acceptait que l'élection se déroule à Kidal, à condition que l'armée ne remonte pas. Le scrutin se déroulerait en présence de la Misma et d'agents administratifs maliens. C'est une importante concession au pouvoir du Sud", estime l'historien Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains au CNRS. Et puis, "personne n'y perd la face, les uns défendent Kidal et on élit un président au pouvoir légitime".

Le MNLA hérisse Bamako

Dans un entretien à RFI, le 24 mai, le ministre des Affaires étrangères malien, Tiéman Coulibaly, juge toutefois la proposition "irrecevable. L’armée malienne sera présente partout. Nous ne pouvons pas accepter que, quelle que soit la légitimité, ce groupe-là puisse décréter que l’armée nationale n’a pas sa place sur une partie du territoire national." L'opinion publique malienne fronce les yeux contre la France, accusée de préserver le MNLA.

Un homme tient une pancarte à Gao, lors d'une manifestation pour exiger la prise de Kidal, le 30 mai 2013. (REUTERS)

Quatre jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, est en visite à Bamako. Il est question des élections. "Pour la France, il est évident qu’il ne peut y avoir deux pays dans un même pays. Les dispositions seront prises pour qu’à Kidal (nord-est), on puisse voter comme partout ailleurs", déclare-t-il à l'AFP. Et d'ajouter : "Des discussions se déroulent actuellement, je souhaite qu’elles aboutissent rapidement."

L'armée malienne sur la route de Kidal

Le week-end suivant, Kidal est en proie à une série d'arrestations suivies d'expulsions. Bamako accuse le MNLA, "Blanc" et touareg, d'"épuration raciale" à l'encontre des Noirs. Les rebelles répondent qu'ils font face à des infiltrations de l'armée malienne. Mardi, un kamikaze visant un colonel malien se fait sauter à l'entrée de son domicile et, dans la foulée, l'armée malienne annonce se lancer dans la reconquête du nord du Mali. De nombreux soldats lourdement armés s'approchent de la ville.

Et, mercredi 5 juin, des combats s'engagent, à Anéfis, à 200 km au sud de Kidal. Laurent Fabius avait-t-il donné son accord lors de sa visite à Bamako ? Paris demande aux "groupes armés" de déposer les armes. Dans un communiqué, le MNLA dénonce un "acte délibéré" qui "confirme que l'Etat malien n'est ni pour la paix, ni pour les élections". Pierre Boilley s'inquiète que des groupes touareg ou toubous (ethnie proche) ne viennent en soutien au MNLA : "Il existe un risque d'implosion de toute la région."  A un correspondant de Ouest-France, une source diplomatique s'inquiète d'une "probabilité grandissante de replonger dans la guerre civile". 

 

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