Libération de l'ex-otage Serge Lazarevic : quelles contreparties ?
Le ministre malien de la Justice a reconnu que quatre prisonniers avaient été libérés en échange du Français, relâché mardi après trois années de captivité aux mains d'Al-Qaïda au Maghreb islamique.
Dès la libération de Serge Lazarevic, dans le nord du Mali et sa remise au Niger, mardi 9 décembre, plusieurs sources ont assuré que l'otage français avait été échangé contre des jihadistes prisonniers. Vendredi 12 décembre, le ministre malien de la Justice Mohamed Ali Bathily a officiellement reconnu cet échange dans une interview à la chaîne de télévision France 24.
"C'est un fait, tout le monde le sait, ça ne sert à rien de nier la réalité (...) Quatre prisonniers ont été libérés des prisons maliennes pour que Serge Lazarevic recouvre la liberté", après trois années de captivité aux mains d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). L'Elysée n'a fait aucun commentaire. Mais cette "réalité" soulève des questions.
Qui sont les hommes relâchés en échange de l'otage ?
Un collectif d'organisations de défense des droits de l'Homme, dont la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH), l'Association malienne des droits de l'homme (AMDH) et la section malienne d'Amnesty International, a nommé mercredi dans un communiqué publié à Bamako les quatre hommes relâchés par les autorités maliennes.
Il y aurait d'abord Mohamed Aly Ag Wadoussène, présenté comme l'"organisateur principal de l'enlèvement" de Serge Lazarevic et de son compatriote Philippe Verdon, retrouvé tué en juillet 2013. Et avec lui, son complice présumé Haïba Ag Acherif, ainsi q'un jihadiste tunisien et un autre originaire du& Sahara occidental.
Le premier aurait été libéré en "début de semaine" et les trois autres le 4 décembre. Un responsable malien de la sécurité a indiqué vendredi, sous couvert d'anonymat, que les quatre prisonniers ont été transférés à Niamey, la capitale du Niger, impliqué dans les négociations, avant d'être conduits dans le nord du Mali, où ils ont été remis aux ravisseurs de Serge Lazarevic.
Qui a négocié leur libération ?
Le responsable de sécurité malien a révélé qu'il s'agissait d'un "échange de prisonniers", réalisé par le Mali "à la demande de Paris". Mais cette source n'a pas souhaité réagir sur un éventuel paiement de rançon. "S'il y a eu rançon, ce n'est pas par le Mali", a-t-elle lâché.
Il a précisé qu'un "bras droit" d'Iyad Ag Ghali, chef touareg malien du groupe jihadiste Ansar Dine, avait été au centre des négociations. D'après les recoupements de l'AFP, les tractations ont été conduites par le commandant Ibrahim Inawelat, un déserteur de l'armée malienne, également proche d'Iyad Ag Ghali. "Oui, c'est vrai que c'est lui qui a effectué les derniers va-et-vient entre nous et le chef des ravisseurs", a indiqué à l'AFP un membre de l'entourage de Mohamed Akotey, l'intermédiaire nigérien qui a réceptionné l'otage français au Niger.
Pourquoi cela pose problème ?
Ces libérations reviennent à "encourager en quelque sorte les prises d'otages", dénonce depuis le Niger le président du Collectif des organisations de défense des droits de l'Homme et de la démocratie (CODDHD), regroupant une quarantaine d'ONG nigériennes, Kani Abdoulaye.
Pour Mohamed Ouagaya, le président de l'ONG Comité d'orientation de défense et de sauvegarde des acquis démocratiques (Croisade), basée à Agadez, "c'est une façon de permettre aux preneurs d'otages, des gens qui ont commis tellement de crimes et de morts, de revenir en force".
L'association Les amis de Ghislaine Dupont, la journaliste de Radio France Internationale (RFI) assassinée il y a un an au Mali, rappelle d'ailleurs que le groupe lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique ayant revendiqué l'enlèvement de Serge Lazarevic et de Philippe Verdon "est le même qui a revendiqué l'assassinat", le 2 novembre 2013, de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, technicien de RFI, "quelques minutes seulement après leur enlèvement à Kidal au Mali". Il s'agit, précise-t-elle, de "la katiba Al Ansar d'Hamada Ag Hama, dit Abdelkrim Taleb ou Abdelkrim al-Targui [Abdelkrim le Touareg]", groupe armé qui "serait aussi impliqué dans la détention puis la libération des otages d'Arlit (Niger) intervenue trois jours auparavant, le 29 octobre 2013".
Quelle est la position de la France ?
"Sauver la vie a été une constante dans l'attitude des autorités maliennes chaque fois que des innocents ont eu leur vie menacée, y compris lorsqu'il s'est agi de Maliens", a fait valoir le ministre malien de la Justice. Ainsi, 38 militaires, préfets ou policiers maliens ont déjà été libérés "de la même manière et avec le même type d'échange". "Le Mali ne peut pas faire moins pour les ressortissants de pays qui l'ont aidé que ce qu'il a fait pour ses propres fils", a-t-il ajouté.
Côté français, aucun responsable n'a fait état du versement éventuel d'une rançon ou d'une libération de prisonniers en échange de l'otage. Des libérations de prisonniers d'Aqmi en échange de Lazarevic ? "J'ai entendu ça, je ne sais pas", a répondu Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement. "Je ne m'aventurerai pas sur des commentaires sur des choses que je ne connais pas." Interrogé mercredi sur d'éventuelles contreparties à la libération de Serge Lazarevic, il s'est contenté de dire qu'il y avait eu "négociation", "menée par la France, menée par les pays qui, avec la France, agissent dans toute cette région pour lutter contre le terrorisme, les relais..." Ce qui a "fonctionné à plusieurs reprises pour libérer les otages", a-t-il ajouté.
Officiellement, la France ne verse pas directement de rançon mais n'exclut pas, à l'instar d'autres pays européens, des remises d'argent par des tiers. Cette pratique a notamment été condamnée par les Etats-Unis.
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