Boko Haram: le pouvoir nigérian a aussi du sang sur les mains
En juillet 2011, les policiers et les militaires interviennent suite à un nouvel attentat à la bombe à Maiduguri, dans l’État de Borno au nord-est du pays. Ils vont faire preuve d’une violence inouïe. Au cours de leur intervention, les membres des services de sécurité auraient procédé à l’exécution de 25 personnes et violé plusieurs femmes.
Le recours à la violence est profondément ancré chez les forces de sécurité nigérianes, qui se servent de la torture de manière systématique et indiscriminée, au moment des arrestations et des interrogatoires et durant les périodes de détention.
La torture
Les Forces d’intervention (Joint Task Force-JTF), unités composées de militaires et de policiers ont été créées en 2003 pour restaurer l’ordre dans le delta du Niger. Puis en juin 2011, le même dispositif est installé à Maiduguri pour lutter contre Boko Haram.
Selon l’association Action des chrétiens pour l’abolition de la torture ( ACAT) Les forces de sécurité font un usage tellement habituel de la torture qu’elles ont donné des noms à certaines de leurs techniques. Ainsi «cellule allemande» consiste à enfermer plusieurs détenus dans une même cellule trop petite. Ils ne peuvent pas bouger et finissent par suffoquer.
Des deux côtés on tue.
20 janvier 2012 : des attaques coordonnées de Boko Haram sur la ville de Kano font 185 morts. Face à une recrudescence des actions des islamistes, le pouvoir lance une vaste opération dans le fief de Boko Haram, l’Etat de Borno et sa capitale, Maiduguri.
L’état d’urgence est prononcé en mai 2013 et prorogé de six mois en novembre. Le président Jonathan vient de demander à nouveau son prolongement pour six mois. Il permet le déploiement de l’armée dans les Etats de Borno, Yobe, Adamawa (est du pays) et le brouillage des réseaux téléphoniques.
Selon Amnesty, 950 personnes sont mortes en détention lors des six premiers mois de 2013. Des décès survenus dans des locaux de l’armée et concernant des personnes soupçonnées d’appartenir à Boko Haram. Selon l’ONG ces informations lui ont été confiées par un haut gradé de l’armée.
D’après certains anciens détenus, des personnes mourraient presque chaque jour, que ce soit dans la caserne de Giwa ou dans le sinistre centre de détention Sector Alpha, surnommé Guantanamo.
Les causes des décès sont multiples. Absence de soins pour de graves blessures, faim, suffocation.
Exécution sommaire
Toujours selon Amnesty, un haut gradé de l’armée a même reconnu sous couvert d’anonymat, que des exécutions sommaires étaient ordonnées quotidiennement. «Des centaines de personnes ont été tuées en détention, par balle ou par suffocation... Il y a des moments où, tous les jours, des gens sont emmenés et tués. En moyenne, environ cinq personnes sont tuées chaque jour. »
Dans une étude publiée en juin 2012, le chercheur de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) Marc-Antoine Pérouse de Montclos, écrit :
«Le mouvement de Mohammed Yusuf (fondateur de Boko Haram NDLR) n’a pas, initialement, de visées terroristes et insurrectionnelles. Ce sont surtout la répression et les erreurs à répétition des forces de sécurité qui contribuent à le radicaliser.»
Le chercheur, professeur à Science Po et spécialiste du Nigéria poursuit :«Aujourd’hui, le gouvernement fédéral admet lui-même à mots couverts que la brutalité de la répression s’est avérée contre-productive. Des notables du Borno, dont des généraux à la retraite, demandent le départ des troupes…Le problème est qu’entre-temps, les rescapés de Boko Haram se sont évanouis dans la nature, bien décidés à mener une guerre asymétrique contre l’État nigérian. Légitimés par l’ampleur des massacres commis par les forces de l’ordre, les partisans de la violence terroriste ont désormais le vent en poupe.»
La radicalisation de Boko Haram, on le voit, n’est pas nouvelle. Sa singularité venait de l’usage d’attentats suicides. Une méthode mise de côté ces derniers temps au profit d’opérations commando qui visent les établissements scolaires. «Toujours plus spectaculaire» semble être la stratégie du mouvement. En enlevant des jeunes filles, Boko Haram a éveillé une opinion internationale jusque là peu concernée, et peut être signé sa perte.
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