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Boko Haram : sauver les captives de leurs bourreaux et parfois d’elles-mêmes
L’armée nigériane découvre et attaque différents camps de Boko Haram. Elle y récupère des centaines de femmes enlevées depuis presque un an pour certaines, et d’enfants raptés avec elles ou nés sur place. Ils sont dans des états de délabrement physique et moral alarmants. Les récits glaçants de ce qu’elles ont vu et subi commencent a filtrer. On constate aussi des dégâts psychiques gravissimes.
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Asabe Aliyu est une jeune femme de 23 ans, mère de quatre enfants. Elle est dans un état de faiblesse extrême et vomit du sang, signe de blessures internes, détaille le Daily Times. Elle raconte comment les terroristes prenaient quotidiennement leur tour pour passer la nuit avec elle. «Ils m’ont transformée en machine sexuelle». Ce n’est qu’avec le début de sa grossesse que le roulement infernal s’est interrompu. Mais sa grossesse ne fut pas synonyme de pitié pour autant. Elle a été affectée à la fabrication de leurs repas, et devait veiller à ce qu’ils n’aient jamais faim.
Plusieurs rescapées ont des cheveux clairsemés et décolorés signe de longue période de dénutrition. Beaucoup de femmes épuisées et affamées n’ont plus suffisamment de force pour se déplacer sans aide, quant aux enfants, sévèrement déshydratés et dénutris, ils n’arrivent même plus à pleurer.
Affaiblissement de Boko Haram
Amnesty International estime que plus de 2000 femmes et jeunes filles ont été kidnappées depuis le début de l’année 2014. Enfin attaqué de toutes parts après la coalition des pays frontaliers avec le Nigeria, Boko Haram commence à faiblir et recule. L’armée nigériane progresse et reconquiert du terrain. Au fur et à mesure que des camps sont localisés, attaqués et libérés dans la forêt de Sambisa, des groupes de captives sont récupérés.
L’un des derniers en date ne comptait pas moins 234 femmes. 214 d’entre elles étaient enceintes. Ces femmes sont rapatriées entre autre sur le camp de Yola situé dans le nord-est du Nigeria. Des équipes composées de médecins, mais aussi d’un assistant social, d’une psychologue et de différents membres d’ONG tentent de leur venir en aide. Des sessions de paroles ont lieu à huis-clos pour certains, dehors à l’ombre d’un arbre pour d’autres.
Elles ont souvent vu tout ou partie de leur famille assassinée sous leurs yeux.
Une femme raconte que sa sœur est morte en tentant d’accoucher seule et sans aide en brousse. Le bébé n’a pas survécu non plus.
Une autre décrit comment ses deux enfants sont morts de faim et de soif sous ses yeux. «Le plus grand hurlait pour réclamer de l’eau et de la nourriture. Le plus jeune était trop petit (pour se plaindre). Elle a dû enlever son tee-shirt pour couvrir le corps de ses enfants» et est restée nue jusqu’à sa libération. Quelques une d’entre elles affichent un visage souriant, se déclarant heureuses d’être en vie, mais certains psychismes ne se relèvent pas de telles épreuves.
Lavage de cerveau ou syndrome de Stockholm
Mariées de force ou ayant noué de vrais liens, certaines femmes se sont rapprochées de leurs bourreaux voire s'y sont tout à fait attachées. Lavage de cerveau ou syndrome de Stockholm peuvent aussi expliquer quelques scènes surréalistes auxquelles ont assisté les soldats nigérians. Le syndrome de Stockholm se traduit par le fait que certains otages, après avoir longtemps vécu avec leur geôlier se mettent à épouser leur point de vue. Par reflexe de survie et dans un mécanisme psychique complexe, la victime prend fait et cause pour son gardien.
Les soldats ayant mené l’assaut contre ces camps témoignent qu’ils ont vu, avec stupeur, certaines de ces femmes prendre les armes aux côtés de leurs geôliers. Ils se sont trouvés dans l’obligation de les tuer, alors qu’elles mêmes tiraient sur leur sauveteurs. Un soldat témoignant anonymement dans le Daily Beast fait état, dans la bataille de Sambisa, de 7 militaires tués par des femmes qu’ils étaient venus sauver. Pas moins de 12 femmes ont été abattues.
Le professeur Babatunde Osotimehin, directeur du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) anticipe autant que possible l’ampleur du problème actuel et à venir (beaucoup de femmes restent encore à retrouver). Il a ainsi fait former 60 conseillers capables d'une prise en charge psychosociale de cette population spécifique de femmes et d’enfants dans les prochaines années.
C’est l’enlèvement de 219 jeunes filles d’une école de la ville de Chibok au Nigeria qui a ouvert les yeux du monde sur l’organisation terroriste Boko Haram. L’annonce mariages forcés et esclavage sexuel comme destin pour ces élèves avait soulevé indignation et mobilisation internationales. Si les agresseurs semblent avoir tenu parole sur leurs exactions, et que plus de 700 femmes ont déjà été retrouvées depuis début avril, les jeunes filles de Chibok sont, elles, toujours introuvables.
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