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Comment les islamistes de Boko Haram continuent de terroriser le Nigeria

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La carcasse d'un véhicule devant des commerces incendiés, après une explosion au marché de Jos (Nigeria), le 20 mai 2014. (AFP)

La mobilisation de la communauté internationale se tasse, mais les enlèvements se poursuivent dans le nord du pays le plus peuplé d'Afrique. Récits des habitants, traumatisés par les attaques des islamistes.

Artistes, politiques, anonymes... Partout à travers le monde, ils s'étaient mobilisés après le rapt de plus de 200 lycéennes, mi-avril, par les islamistes de Boko Haram. Le temps de l'indignation est passé, mais le Nigeria continue de s'enfoncer dans le chaos. Plus de soixante femmes ont été enlevées au cours de plusieurs attaques sur le village de Kummabza, dans le nord-est du pays, a-t-on appris mardi 24 juin.

Dans le pays, le nombre de victimes recensées a augmenté "de façon dramatique" au mois de mai, note l'Armed Conflit Location & Event Data Project (PDF, en anglais), une initiative sur les conflits armés dirigée par un professeur de l'université britannique du Sussex. Selon le dernier rapport, les attaques attribuées à Boko Haram prennent désormais des formes multiples : destructions d'équipements de télécommunications, embuscades et kidnappings ciblés, attaques sur des civils et sur des personnels de sécurité...

"Tu ne la sens pas, l'odeur de la mort ?"

Les habitants du nord-est du pays continuent donc de vivre dans la peur de nouvelles opérations de Boko Haram. "C'est tellement difficile pour nous, notre avenir sera terrible, nous n'allons rien avoir en héritage, confie à France 2 un élève, qui attend la reprise des cours dans un établissement scolaire quasi-déserté. Nous ne savons jamais quand les insurgés vont revenir. Si vous faites un commentaire sur eux, ils peuvent revenir et tuer tout le monde."

Une voiture incendiée par des hommes suspectés d'appartenir à Boko Haram, à Maiduguri (Nigeria), le 25 mars 2014. (AFP)

Beaucoup choisissent de prendre la fuite et de s'éloigner des zones les plus dangereuses. C'est le cas de Jude, un commerçant chrétien rencontré par un journaliste de la Stampa (en italien). Lui a fui la zone de Maiduguri, le fief des islamistes, laissant derrière lui sa maison et sa boutique. "Dans la ville, des voitures piégées explosaient, explique-t-il. La nuit, les terroristes armés venaient te chercher dans ta maison pour te tuer. Comment peut-on vivre comme ça ? L'armée ne nous a pas défendus. Boko Haram est partout maintenant, même ici. Tu ne la sens pas, l'odeur de la mort ?"

Ceux qui restent racontent les scènes d'horreur qu'ils ont vécues, les multiples attaques, les enlèvements à répétition. A Bauchi, une ville du nord-est, un vendeur de voitures a dû faire face au kidnapping de son père par les islamistes, raconte Le Monde (article payant). "Ils se sont mis d'accord pour [une rançon de] 20 millions de nairas [90 000 euros], payables en dix fois, un versement par semaine, explique un ami du garagiste. A la fin de la dernière traite, ils ont libéré son père. Mais un mois plus tard, ils le reprenaient à la sortie du garage. [Le fils] est allé les trouver et leur a dit : 'Très bien, gardez-le, tant pis'. Ils lui ont répondu : 'Ah, dans ce cas, on va incendier ton garage'. Il a emprunté de l'argent et il a repayé une rançon. Maintenant, il est ruiné."

Des milices d'autodéfense pour "retourner la peur"

Pour faire face aux islamistes, des milices s'organisent. A Maidugiri, la capitale de l'Etat, à l'extrême nord-est du Nigeria, les gangs de quartiers se sont regroupés pour reprendre ces derniers mois le contrôle de la ville à Boko Haram, avec l'aide financière du pouvoir, explique Le Monde (article payant).

Des miliciens de la "Civilian Joint Task Force" patrouillent dans les rues de Maidugiri (Nigeria), le 22 mai 2014. (JOE PENNEY / REUTERS)

Leur Civilian Joint Task Force (CJFT), forte de 30 000 hommes, est chargée de "nettoyer" les quartiers des insurgés, quitte à instaurer par endroits une ambiance de "guerre civile", raconte le quotidien. "On a retourné la peur", assure un milicien. Mais du côté des défenseurs des droits de l'homme, on s'inquiète de ce qu'il advient des personnes suspectées par les CJTF d'appartenir à Boko Haram. "Il y a eu 4 200 arrestations au cours de l'année écoulée, affirme l'un d'entre eux au Monde. On ne sait pas qui a été exécuté et qui est toujours détenu dans les cachots des bases militaires."

"Ils nous ont tout pris"

Au-delà de la ville, les miliciens reconnaissent eux-mêmes leurs limites. "Dans les villages, nous avons toujours un petit problème", concède l'un d'entre eux, interrogé par Al Jazeera (en anglais). Plus qu'un "petit problème", Kyari Mohammed, universitaire nigérian et spécialiste de Boko Haram, évoque auprès de Libération "une situation de guerre", où les insurgés "se fondent (...) dans une population rurale intimidée". "Dans les zones rurales, les paysans n'ont pas le choix : soit ils leur donnent refuge, soit ils sont tués et leurs villages incendiés et complètement rasés."

Ngaofati est l'une de ces communes touchées, dans laquelle une reporter du Point s'est rendu. La journaliste décrit le paysage "apocalyptique" qui reste après le passage des insurgés, avec des cercles de cendres au sol à la place des maisons, des troncs calcinés ou des greniers de nourriture entièrement pillés. "Ils ont pris nos motos, les vélos, les voitures, tout", raconte un habitant à l'hebdomadaire.

La suspicion généralisée

Début mai, dans le village de Gamboru Ngala, à la frontière avec le Cameroun, ce sont des hommes en uniformes qui sont arrivés à bord de véhicules militaires. Comme si l'armée régulière avait remporté une victoire, raconte le Los Angeles Times (en anglais). "Les gens sont sortis pour les acclamer", explique un témoin, avant de réaliser qu'il ne s'agissait pas de véritables soldats. "Ils ont envahi la ville, ont incendié, tiré, déclenché des bombes, décrit un autre. Après les tirs, nous avons entendu d'énormes explosions de lance-roquettes. Nous étions pétrifiés." Le carnage a fait plus de 300 victimes, selon le décompte des autorités.

Des enfants dans les décombres du marché central de Gamboru Ngala (Nigeria), détruit le 5 mai 2014 lors d'une attaque attribuée à Boko Haram. (AFP)

Comment les insurgés ont-ils eu accès à des tenues de militaires ? Ce type d'opérations alimente les théories du complot autour des potentiels soutiens de Boko Haram, explique le Los Angeles Times. D'un côté, certains dans le Nord-Est se demandent si l'armée officielle ne conspire pas avec les islamistes. "Le gouvernement n'arrête pas de nous dire qu'ils ont arrêté tel fabricant de bombes, tel membre de Boko Haram, mais ensuite on n'entend plus jamais parler d'eux, dénonce un universitaire de la ville de Jos au Guardian (en anglais). Quand on n'a aucune idée de ce qui arrive aux personnes interpellées, on finit par se demander si le gouvernement ne les protège pas."

Cette théorie gagne du terrain, signale le journal britannique. Mais de l'autre côté, explique le Los Angeles Times, les soutiens du pouvoir accusent les gouverneurs du Nord d'aider Boko Haram à rendre le pays ingouvernable en vue des prochaines élections. Et pendant que le pays se déchire, les autorités ne sont toujours pas parvenues à retrouver la trace des 200 lycéennes enlevées, plus de deux mois après leur disparition.

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