Otages libérés au Burkina Faso : les professionnels du tourisme tiennent-ils compte des "zones rouges" établies par les autorités françaises ?
Après l'enlèvement de deux Français "dans une zone clairement déconseillée", Jean-Yves Le Drian s'est dit "favorable à un durcissement de la réglementation".
"C'était un risque majeur de s'y engager." Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a affirmé, samedi 11 mai, au Parisien, que les deux otages français libérés au Burkina Faso avaient été "enlevés [au Bénin], dans une zone clairement déconseillée" aux voyageurs par son ministère. "Nous mettons régulièrement en garde des agences touristiques proposant des déplacements dans des zones à risque, a-t-il souligné. Je suis favorable, pour ma part, à un durcissement de la réglementation."
Selon son entourage, cité par l'AFP, le ministre réfléchit à la nécessité de classer davantage de zones en "rouge", c'est-à-dire "formellement déconseillées", afin de dissuader les voyageurs de s'y rendre. Fin 2018, la zone frontalière entre le Bénin et le Burkina Faso avaient ainsi été classifiée en rouge par le Quai d'Orsay.
"Passer plus de zones en rouge, ce n'est pas une solution, estime le représentant des agences de voyages françaises, Jean-Pierre Mas. Revenir à la politique du 'ceinture et bretelles' d'il y a cinq ou six ans, où dès qu'il y avait un risque dans un pays comme l'Egypte, il était classé totalement en zone rouge, ce n'est pas une bonne solution." Pour lui, une "petite part de risques" est inhérente au voyage.
Des zones rouges dessinées "au Stabilo"
A l'heure actuelle, les professionnels ne sont pas tenus de prendre en compte les recommandations du ministère des Affaires étrangères. La ligne générale est toutefois de s'y tenir. Les agences "n'organisent pas de voyages dans les zones rouges, formellement déconseillées, ni dans les zones orange, formellement déconseillées sauf raison impérative, c'est-à-dire strictement professionnelle", assure Jean-Pierre Mas.
Certains acteurs se démarquent de cette ligne. Le directeur de Tamera, Eric Bonnem, qui organise des "voyages d'aventure", explique à franceinfo qu'il propose des destinations dans des zones classées en rouge, "où l'on estime que le trait a été fait avec un gros Stabilo" par le ministère.
Compte tenu de nos connaissances de terrain et des remontées des partenaires, on s'autorise à y aller.
Eric Bonnem, voyagisteà franceinfo
Parmi ces zones, la région algérienne de Djanet, près de la frontière avec le Niger et la Libye, "l'un des plus beaux déserts du monde", ou encore le corridor du Wakhan, en Afghanistan, bordé par le Pakistan, la Chine et le Tadjikistan. "Le ministère met tout l'Afghanistan en rouge, c'est plus simple pour lui, plutôt que d'exclure de la carte quelques millimètres pour 25 touristes par an", reconnaît-il.
Tamera, une bande de casse-cou ? "Il y a des pays où l'on ne va pas du tout, comme la Syrie, la Libye, le Yémen ou encore le Niger, rétorque Eric Bonnem. J'envoie des clients là où j'irais avec mes propres enfants. On regarde bien sûr les infos du ministère, celles du ministère britannique aussi, mais les infos les plus fines nous viennent souvent du terrain, des gens de confiance qui vivent sur place." Le responsable affirme n'avoir jamais reçu la moindre mise en garde du Quai d'Orsay.
Des touristes français "globalement" prudents
Le groupe Voyageurs du monde affirme suivre "à 95%" les recommandations du ministère. "Il y a par exemple des zones considérées comme orange par le Quai d'Orsay, qui sont considérées comme totalement 'safe' [sûre] par le ministère des Affaires étrangères britannique", explique son PDG, Jean-François Rial, sur franceinfo. Il cite le site des pyramides dans le nord du Soudan, classé orange par Paris mais "complètement vert" par Londres, selon lui.
Quand on ne suit pas les consignes, sur des zones orange, on informe les clients et ce sont eux qui prennent la décision.
Jean-François Rial, de Voyageurs du mondeà franceinfo
Le responsable de Voyageurs du monde estime que, "globalement, les Français n'ont pas du tout envie d'aller dans les zones orange ou rouges, ils vont dans des zones jaunes ou vertes", en "vigilance renforcée" ou en "vigilance normale". Sur 50 000 clients par an, "on se pose la question sur cinq dossiers chaque année", précise-t-il.
"Les voyageurs qui ont envie de prendre des risques" et demandent aux agences de voyage de les amener dans des zones à risque, "cela n'existe pas, c'est un fantasme", abonde le directeur général de l'agence Protourisme, Didier Arino, sur franceinfo.
"C'est plus facile d'interdire que d'autoriser"
Alors faut-il se montrer plus strict et interdire l'organisation de circuits dans les zones les plus sensibles ? "C'est facile d'interdire mais beaucoup plus compliqué d'autoriser par la suite, prévient Eric Bonnem, de Tamera. On risque de ne jamais repasser d''interdit' à 'autorisé', car ce serait une grosse prise de responsabilités pour le Quai d'Orsay." Il se dit toutefois ouvert à la tenue de discussions plus formelles avec les autorités pour partager des informations "sur des zones particulières".
Attaché à la "liberté de circuler" Jean-François Rial insiste sur les limites de la cartographie des risques. "Si vous êtes à la frontière de la couleur jaune et de la couleur orange, cela veut dire qu'à un mètre près, vous êtes en zone dangereuse, et un mètre plus loin, vous n'êtes plus en zone dangereuse ? Ça n'a pas de sens", illustre-t-il. Certains risques ne sont pas prévisibles, insiste-t-il : "Quand il y a eu des attentats en Allemagne, le Quai d'Orsay ne déconseillait pas l'Allemagne."
On est dans une société qui refuse l'aléa, le risque, et veut toujours trouver un responsable.
Jean-François Rialà l'AFP
Pour autant, tous les acteurs interrogés soulignent la qualité des informations du Quai d'Orsay. Comme d'autres, Didier Arino estime que le problème réside surtout dans le fait que certains touristes "ne se renseignent pas suffisamment" et "veulent aller dans des zones à risque sans savoir qu'elles sont dangereuses". Il rappelle que "certaines zones en vigilance renforcée passent du jour au lendemain en zones fortement déconseillées", comme cela a été le cas pour une partie du parc national de la Pendjari, au Bénin.
"Si on veut appliquer le principe de précaution, il ne faudrait aller nulle part en Afrique", quasi entièrement placée en "vigilance renforcée", résume le responsable de Protourisme. Les Guides du routard ont suivi ce principe : "Depuis onze ans, nous n'avons plus rien sur l'Afrique noire, à part sur le Sénégal où il n'y a pas de problèmes, souligne, sur franceinfo, leur directeur, Philippe Gloaguen. Il n'était pas question de prendre un risque pour nos lecteurs, aussi minime soit-il."
En attendant d'éventuelles mesures, Jean-Yves Le Drian, lui, se contente d'un conseil : il "appelle chacun à la responsabilité et au strict respect des indications qui figurent" sur le site du ministère des Affaires étrangères.
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