1947 : la répression s’abat sur Madagascar, alors colonie française
Il y a 73 ans, le 27 mars 1947, éclatait à Madagascar une révolte contre les colons français. En réponse, une répression de grande ampleur fit des milliers de morts. Retour sur l'histoire d'un épisode historique souvent méconnu.
Dans les années 1940, les Malgaches sont encore soumis au travail forcé. "La côte orientale (…) compte (alors) beaucoup de plantations coloniales où l’on cultive le clou de girofle et la vanille (…). Les habitants de cette région ont souffert plus que les autres du travail forcé", observe le site herodote.net. Des habitants qui dans le même temps manquent de riz, leur aliment de base.
Des milliers de militaires malgaches, engagés pendant la Seconde guerre mondiale dans l'armée française, sont revenus chez eux à l'été 1946. Ils sont persuadés que le général de Gaulle, chef de la France libre, va leur accorder l'indépendance pour les remercier de leurs sacrifices.
Le 29 mars 1947, plusieurs centaines d’hommes, dont des anciens combattants, armés de sagaies et de coupe-coupe, attaquent des petites villes côtières et des plantations. Ainsi que le camp militaire de Moramanga où des armes sont prises. Les autorités coloniales proclament l’état de siège.
La révolte s’étend à toute la façade orientale où se conjuguent misère et frustration. Selon les historiens, quelque 20 000 hommes y participent "pour chasser les 35 000 colons installés sur l’île – qui compte près de 4 millions d’habitants" (Le Monde). Pour autant, les villes ne bougent pas. Dans ce contexte, les rebelles attaquent des Européens, mais aussi des Malgaches. Au cours du soulèvement, on assiste ainsi à des règlements de compte contre les citadins, accusés de trahison.
Répression impitoyable
L’armée française va recevoir des renforts. En l’occurrence, des tirailleurs sénégalais, des bataillons nord-africains et la Légion étrangère. La "pacification" est sans pitié. 18 000 hommes, aidés par des colons, pourchassent des insurgés ne possédant que des armes de fortune. La répression vise sans distinction hommes, femmes et enfants. "L’armée se montre impitoyable : exécutions sommaires, tortures, regroupements forcés, incendies de villages", rapporte L’Humanité. Apparemment, les militaires utilisent aussi des techniques de guerre psychologique. Des prisonniers sont ainsi jetés d’un avion, tels des "bombes humaines", pour effrayer la population.
D’autres crimes sont commis. Comme le 5 mai 1947 quand l’armée ouvre le feu sur trois wagons à l’arrêt à Moramanga (est de Tananarive) où ont été entassés 166 militants du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM). Un parti, créé l’année précédente à Paris par trois députés malgaches à l’Assemblée constituante, qui demande une pleine participation des Malgaches à la vie politique.
Les prisonniers ont été interpellés lors d’une vague d’arrestations dans le district d’Ambatondrazaka. Il s’agit en l’occurrence des "responsables du MDRM et tous les intellectuels, médecins, instituteurs, etc. (…) arrêtés tandis que leurs maisons sont incendiées ou détruites à la dynamite", selon mada.pro. Ils seront impitoyablement abattus. A l’exception d’un seul, dont le témoignage a permis de reconstituer les faits.
Répression et chasses à l’homme durent 21 mois. Les rebelles finissent par sortir de la forêt "pour adresser leur soumission aux autorités françaises et implorer à genoux le pardon du représentant de la France". Dans le même temps, des milliers de personnes sont arrêtées. Parmi eux, les trois députés du MDRM, en dépit de leur immunité parlementaire. Des prisonniers auraient été torturés.
Quel bilan ?
Aujourd’hui, on ne connaît pas avec précision le nombre de victimes. Le site mada.pro parle de 80 000 à 100 000 Malgaches tués ou morts de faim et de maladie dans les forêts. Ainsi que de 150 victimes européennes. Des estimations se basant sur des travaux d’historiens comme Jacques Tronchon. Mais d’autres estimations plus récentes, notamment celles de l’universitaire Jean Fremigacci, font plutôt état de 10 000 morts, dont 140 Blancs.
Des chiffres auxquels il faut ajouter 20 000 à 30 000 victimes liées à la malnutrition ou aux maladies. Côté militaire, les forces coloniales auraient perdu 1900 supplétifs malgaches et 350 militaires européens.
Malgré l’ampleur de la répression, la presse métropolitaine parle peu des événements. Et se contente de la thèse officielle. "Les Français étaient peu informés du conflit et absorbés par des préoccupations plus immédiates de l’après-guerre comme le ravitaillement et le logement", constate l’historien Bernard Droz (cité par l’AFP).
Aussi, l’écrivain Albert Camus est-il assez seul quand il constate, dans Combat, le 10 mai 1947 : "Nous faisons (à Madagascar) ce que nous avons reproché aux Allemands." Il ajoute : "Si, aujourd’hui, des Français apprennent sans révolte les méthodes que d’autres Français utilisent parfois envers des Algériens ou des Malgaches, c’est qu’ils vivent, de manière inconsciente, sur la certitude que nous sommes supérieurs en quelque manière à ces peuples et que le choix des moyens propres à illustrer cette supériorité importe peu."
Il faudra attendre 2005 pour que côté français, le président Jacques Chirac, alors en voyage à Madagascar, reconnaisse "le caractère inacceptable des répressions engendrées par le système colonial" (cité par Libération).
Le documentaire "Fahavalo" (terme malgache signifiant "ennemi', comme on appellait alors les insurgés) apporte un éclairage inédit sur cette période mal connue, en donnant la parole à des témoins et des acteurs de la révolte. Une période aussi racontée par la fiction "Tabataba" de Raymond Rajaonarivelo, film sorti sur les écrans en 1988.
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