24 janvier 1960 : le début de la "semaine des barricades" à Alger pendant la guerre d’Algérie
Cet épisode figure parmi les moments décisifs de cette guerre coloniale, qui s’est déroulée de 1954 à 1962.
Du 24 janvier au 31 janvier 1960 se déroule une violente semaine d’affrontements à Alger entre les forces de l’ordre et les Européens d’Algérie. Des évènements qui sont une étape essentielle vers l’indépendance de la colonie. Le 16 septembre 1959, le général de Gaulle, revenu au pouvoir l’année précédente, évoque pour la première fois le "droit des Algériens à l’autodétermination". En clair, le droit de la population algérienne de décider elle-même de son destin.
Des propos qui contredisent le fameux "Je vous ai compris", prononcé le 4 juin 1958 lors du discours de de Gaulle au balcon du Gouvernement général à Alger devant une foule considérable, majoritairement européenne. Une phrase interprétée par ses auditeurs comme un soutien à "l'Algérie française".
Quinze mois après, l’annonce du "droit à l’autodétermination" "fait l’effet d’une trahison pour les pieds-noirs" et les partisans de l’Algérie française, note Le Figaro. Les esprits s’échauffent davantage à l’annonce du limogeage du général Jacques Massu, qui est rappelé à Paris. A l'Elysée, on n’a pas apprécié les propos du commandant du Grand Alger au journal allemand Süddeutsche Zeitung. L'officier y critique sans détour la politique du nouveau chef de l’Etat. "L'armée ne pouvait pas s’attendre à ce que le général de Gaulle mènerait une telle politique", affirme-t-il. Et d’enfoncer le clou : "L'armée a le pouvoir. Jusque-là, elle ne l’a pas montré, parce que l’occasion ne s’est pas encore présentée. Mais elle pourrait l’utiliser dans une situation précise" (propos traduits de l’allemand)…
Grève générale
Jacques Massu est "adulé dans la Ville blanche pour y avoir brisé les réseaux" du Front de libération nationale (FLN) algérien avant l’arrivée de de Gaulle au pouvoir (1958), racontent les historiennes Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault. La nouvelle de son limogeage "fait éclater une contestation qui grondait depuis des mois. Une grève générale est décrétée à Alger par les nationalistes les plus virulents, massivement soutenus par les Européens."
Parmi ces nationalistes, on trouve Joseph Ortiz (le "cafetier du Forum"), fondateur du Front national français, et le député Pierre Lagaillarde, de l’Association générale des étudiants d’Alger, officier de réserve parachutiste devenu député en 1958 "sur un programme Algérie française". Celui-ci est l’un des futurs fondateurs de l’Organisation de l’armée secrète (OAS).
Ces mouvements, qui canalisent les énergies, sont soutenus par les unités territoriales (UT), formées pour la plupart avec des réservistes d’origine européenne, qui se réunissent au PC d’Ortiz. Soit 20 000 hommes en possession d’armes de guerre, selon l’historien Jacques Frémeaux. Ces unités ont été organisées par l’armée pour assurer la défense des quartiers.
Les autorités ont interdit les manifestations. Mais le dimanche 24 janvier, "la foule a largement répondu présente et afflue de toute part dans la capitale algérienne", raconte aujourd’hui le site des archives de l’armée (Ecpad). Plusieurs dizaines de milliers de personnes écoutent les "orateurs les plus convaincus". La construction de barricades commence (d’autres sont également édifiées à Oran et Orléansville mais seront assez rapidement démantelées). En fin de journée éclate une fusillade entre gendarmes et manifestants armés. 14 membres des forces de l’ordre et huit civils sont tués, 59 gendarmes et 33 civils sont blessés, selon un bilan cité par Jacques Frémeaux. Le choc dans l’opinion est énorme.
Camp retranché
Les barricades, édifiées à côté de la Délégation générale du gouvernement en Algérie par des jeunes gens qualifiés par Joseph Ortiz (cité par Jacques Frémeaux) de "remuants et peu responsables", vont finir par former un camp retranché que l’armée hésite à prendre d’assaut. De son côté, "la population civile d’Alger vient soutenir en masse et ravitailler les émeutiers", rapporte le site de l’Ecpad.
L’idée des insurgés est de "faire basculer l’armée" vers les partisans de l’Algérie française, analyse Jacques Frémeaux. Et de fait, les militaires, ou au moins une partie d’entre eux, hésitent. Le 25 janvier, "les parachutistes présents observent la foule (…). (Ils) ne font rien pour cadrer l’afflux et empêcher les civils d’accéder aux barricades" (Ecpad). Des cas de fraternisation avec les civils sont signalés. Lors de sa venue à Alger le 26 janvier, le Premier ministre, Michel Debré, constate que les "paras" "ne tireront pas même si l’ordre leur en est donné"...
Les émeutiers souhaitent aussi montrer qu’ils fraternisent avec la population algérienne, ceux que l’on appelle alors "les musulmans". Ils tentent d’organiser une grande manifestation. "Si de nombreux musulmans se déplacent, il apparaît que cette tentative reste un semi-échec et constitue une sorte de désaveu de la part de (cette) population (…) qui ne se reconnaît pas dans les revendications de l’Algérie française" (Ecpad).
"Des coupables, qui rêvent de devenir des usurpateurs"
Pendant ce temps, Paris louvoie. Le gouvernement sait qu’en raison de l’implication des civils, il risque de provoquer un bain de sang s’il emploie la force. Le 26 janvier, Michel Debré parle de l’Algérie comme d’une "terre française". Tandis que progressivement, le réduit va être isolé du reste du monde. Même si la troupe laisse partir ceux qui veulent quitter les lieux à condition qu’ils ne soient pas armés...
Le 29 janvier, de Gaulle s’exprime lors d’un discours à son "cher et vieux pays".
"Tandis que des coupables, qui rêvent de devenir des usurpateurs, invoquent comme prétexte de leurs actes la décision que j’ai prise à propos de l’Algérie, qu’on sache bien et qu’on sache partout que je n’y reviendrai pas", explique notamment, l'air grave, le président français, qui a revêtu son uniforme. En clair : la voie vers l’autodétermination est irrévocable.
Le 31 janvier, la foule tente à nouveau d’accéder aux barricades. L’armée ne cède pas. Le 1er février, après négociations, Pierre Lagaillarde sort du réduit, accueilli au garde-à-vous par les parachutistes. Il est emprisonné. Alors que Joseph Ortiz s’est enfui. La "semaine des barricades" est terminée.
L’épisode "préfigure (…) le putsch des généraux d’avril 1961", constate le site de l’Ecpad. Mais pour l’instant, si nombre de chefs militaires semblent plutôt favorables à "l'Algérie française dans la France éternelle", ils restent fidèles au général de Gaulle. Dans le même temps, les événements "ont contribué à discréditer les Pieds-noirs aux yeux d'une opinion française qui faisait massivement confiance au général de Gaulle. (...) Un mur d'incompréhension de plus s'érige entre l'opinion française de métropole et celle d'Algérie", constate Jacques Frémeaux.
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