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Cameroun: découpage colonial et clientélisme à l'origine de la crise anglophone
La «salle guerre» qui touche le Cameroun anglophone puise ses racines dans une histoire coloniale tumultueuse. En 1961, le nord majoritairement musulman se prononce pour son rattachement au Nigeria alors que le Southern Cameroon rejoint le Cameroun francophone. La forte autonomie politique et culturelle de cette province anglophone sera peu à peu vidée de sa substance par le pouvoir central.
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La colonisation du Cameroun par l'Allemagne débute au 19e siècle. En 1884, toute la région devient un protectorat allemand. La ville de Buéa, aujourd’hui au cœur des troubles, en devient la capitale.
Après sa défaite lors de la Première guerre mondiale (1918), Berlin perd le contrôle du pays au profit de la France, qui occupe les 4/5e de son territoire, et du Royaume-Uni qui s'octroie le 1/5e restant.
Le 1er janvier 1960, la partie du territoire camerounais administrée par la France accède à l'indépendance. Un an plus tard, le nord, majoritairement musulman, de l'entité britannique se prononce pour son rattachement au Nigeria. Tandis que la province du Southern Cameroon choisit le rattachement au Cameroun francophone malgré la pression du géant nigérian.
Les deux entités (anglophone et francophone) camerounaises forment alors une République fédérale le 1er octobre 1961: un seul pays avec différentes Assemblées nationales et deux langues officielles. Les anglophones obtiennent la prise en compte de leurs spécificités culturelles et l'autonomie de chaque province. Mais cela ne va pas durer.
Fin de l'Etat fédéral
En 1972, un référendum met fin au fédéralisme. Naît alors un seul Etat unitaire doté d'une Assemblée unique et d'un pouvoir centralisé à Yaoundé (sud francophone du pays).
«Pour avoir été dépouillé des importantes compétences qu'exerçait, en toute autonomie, l'Etat du Cameroun occidental (partie anglophone), nombre de compatriotes de cette partie du territoire ont développé un profond sentiment de nostalgie, de malaise, de frustration et d'inconfort», souligne un ex-gouverneur des régions anglophones, David Abouem, à Tchoyi. «Ce sentiment s'est accentué au fil des années qui ont suivi l'avènement de l'Etat unitaire, car il a alors fallu que les anglophones aillent à Yaoundé pour faire avancer leurs dossiers , précise-t-il dans une interview à l’AFP.
Dans la capitale, certains d'entre eux se sentaient humiliés, on les obligeait à «baragouiner un franglais à peine intelligible, souvent au milieu des rires et des quolibets», affirme l'ex-gouverneur. La répartition des postes et des prébendes, le clientélisme politique achèveront un tableau qui explique en grande partie la crise actuelle.
Discrimination de la minorité anglophone
Ecartés peu à peu de la haute administration et du secteur public, les anglophones vont se sentir marginalisés. Ils se plaignent d'être traités comme les «esclaves» des francophones. Certains, très minoritaires, commencent alors à exiger la sécession. Le ver était dans le fruit.
Dans les années 1990, les revendications anglophones en faveur d'un référendum se multiplient. En 2001, le 40e anniversaire de l'unification est marqué par des manifestations interdites qui dégénèrent, faisant plusieurs morts.
Les récentes tensions ont commencé en novembre 2016 avec, essentiellement, des revendications d'enseignants déplorant la nomination de francophones dans les régions anglophones, ou d'avocats rejetant la suprématie du droit romain (français) au détriment de la Common Law anglo-saxonne.
Une «sale guerre» touche depuis les deux régions anglophones sur les dix que compte le pays. Des groupes armés séparatistes y luttent pour obtenir la division du pays et l'armée camerounaise y a été déployée en masse pour les traquer. On parle de plusieurs centaines de morts et de 400.000 personnes déplacées.
Le Cameroun compte 20% d'anglophones qui payent aujourd'hui le prix fort d'un passé et d'une diversité culturelle mal gérés par ses dirigeants. Cette grave crise ne devrait pas empêcher le président Paul Biya, au pouvoir depuis 36 ans, d’être reconduit. Le vote dans les régions anglophones risque, lui, d’être très fortement perturbé.
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