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Election présidentielle au Kenya: Internet, «fake news» et vidéos de propagande

«Voilà à quoi ressemblera le Kenya en 2020 si Raila Odinga est élu président»... C’est le titre d’une vidéo vue plusieurs milliers de fois sur internet. A l'origine, un groupe qui se présente comme «indépendant» des partis politiques. Et ce, alors même que l'élection présidentielle est prévue le 8 août 2017 dans un contexte de tension.
Article rédigé par Charles Bonnaire
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Capture d'écran du site therealraila.com, destiné à montrer le vrai visage du candidat de l'opposition à l'élection présidentielle kenyanne, Raila Odinga.  (therealralia.com)

La Constitution est révoquée, le Parlement est dissous, l’organisation terroriste Shebab contrôle toute une partie du territoire, les communautés sont expulsées de leur terre: ainsi est décrit le Kenya en 2020 par les opposants de Raila Odinga. «Le futur du Kenya est entre vos mains», conclut cette vidéo, vue plus de 135.000 fois sur Youtube.

«Raila est un opportuniste, impliqué dans le coup d’Etat en 1982», confie à Géopolis Patricia-Lake Kisumu, qui possède un compte Twitter très actif pro-Kenyatta.
Août 1982: le Kenya se réveille en pleine tentative de coup d’Etat qui émane de l’armée. La tentative est un échec. Jaramogi Odinga est arrêté, ainsi que son fils… Raila. Au Kenya, la politique est une affaire de famille. Jaramogi Odinga était l’ancien vice-président du premier président kenyan Jomo Kenyatta. Aujourd’hui, leurs deux fils Uhuru Kenyatta et Raila Odinga s’affrontent pour la présidence.
 

Des vidéos partagée en masse pour nuire à Raila Odinga
La vidéo est publiée sur le compte Youtube «The Real Raila». Le but affiché est clair: dévoiler le vrai visage de Raila Odinga. Pour atteindre le maximum de personnes, le compte Twitter du même nom n’hésite pas à partager cette vidéo en masse, plus de 70 fois le 17 juillet 2017. Pour augmenter le nombre de personnes atteintes, il utilise une technique simple. Le texte de présentation est toujours le même, sauf qu’à la fin, un compte Twitter d’un journaliste est mentionné, pour que ce dernier reçoive une notification et regarde la vidéo. Par ce biais, les auteurs espèrent qu’elle soit relayée dans la presse, voire que les journalistes soient influencés dans le traitement de la campagne.

En tout cas, la personne (ou le groupe) qui se cache derrière ce compte semble vouloir étendre sa présence sur internet en relayant toujours cette même vidéo. Pourtant, ce n’est pas la seule à avoir été publiée sur le compte Youtube. Dans la liste des vidéos publiées, la plupart sont courtes, réalisées simplement, contrairement à la vidéo de politique-fiction qui est plus professionnelle. La qualité comme le nombre de vues de cette dernière sont bien supérieurs.
 
Dans l’une d’entre elles, Raila Odinga est présenté comme un menteur. On y voit Raila Odinga en pleine interview qui hésite, qui se gratte le nez, et une voix off qui explique les mouvements et les réflexes de quelqu’un quand il ment. Pour la blague, les auteurs inversent les lettres du prénom d’Odinga: Raila devient «a liar», un menteur en anglais.
 

Des comptes anonymes 
Contactés par Géopolis, les auteurs du compte Twitter «The real Raila» se présentent comme «un groupe indépendant de Kenyans de toutes les régions et origines concernés par la paix au Kenya». Sur leur identité, ils n’en diront pas plus. Et pour cause, ils se disent menacés et ne veulent pas être la cible de «hooligans». La peur de la violence. C’est justement l’argument répété par les anti-Odinga, dont Patricia-Lake Kisumu, le compte Twitter très actif. «Il pousse ses supporters les plus fervents à la violence», ajoute Patricia-Lake Kisumu.

Ce compte est une couverture pour rester anonyme. La photo utilisée est facilement traçable sur le site de photos depositphotos. Elle montre un mannequin afro-américain selon la légende. Ces photos sont souvent utilisées dans les maquettes de publicité. A Géopolis, elle confirme: «Mon nom est Patricia. Lake Kisumu n’existe pas. (…) La communauté Luo dont Raila est issu est très violente. J’essaye d’être aussi prudente que possible.»
 
La photo de Patricia-Lake Kisumu est issue du catalogue sur internet depositphotos.com  (Capture d'écran du site depositphotos.com)
 
La prudence est également de mise pour «The real Raila», qui utilise une adresse courriel créée pour l’occasion. Ainsi, difficile de retracer qui est l’auteur. De même pour le site internet créé le 27 mars 2017, via la plateforme godaddy.com.
 
Référence du site therealraila.com, créé le 27 mars 2017 grâce au site godaddy.com (Géopolis )

«Pour le moment, il n’y a qu’un seul candidat qui appelle à la paix»
Le compte Patricia-Lake Kisumu reprend régulièrement les vidéos de «The Real Raila». Lesquelles expliquent que le Raila Odinga de 2017 est le même que celui de 1982, impliqué dans le coup d’Etat. A l’époque, les insurgés avaient même annoncé le départ du gouvernement en direct à la radio. Odinga serait donc violent, parce qu’il a été condamné. Emprisonné mais sans procès, comme le révèle l’ONG Human Rights Watch dans ce document.
 
 
Dans la campagne électorale, critiquer Raila Odinga revient à renforcer son principal concurrent Uhuru Kenyatta, et inversement.

A Géopolis, les auteurs derrière le compte «The Real Raila» expliquent qu'ils refusent d’être classés politiquement. Dans un premier échange du 17 juillet 2017, ils affirment n'avoir «aucun contact avec des partis politiques» et ne soutenir «que la paix». Selon eux, «n’importe quel candidat qui soutient aussi (la paix) leur paraît acceptable». 
 
 
Or, le même soir, le compte publie une vidéo qui semble plutôt montrer qu’ils soutiennent ouvertement Uhuru Kenyatta. Leur explication: «Pour le moment, il n’y a qu’un seul candidat qui appelle à la paix.» Dès lors, les auteurs soutiennent systématiquement le président sortant dans leur messages. Voter Kenyatta pour éviter Odinga. 

Des «fake news» et des vidéos: le b.a.-ba de la propagande moderne 
Cela peut paraître anecdotique. Mais pourquoi les auteurs ne veulent-ils pas dévoiler ouvertement qui ils sont, ou du moins qui ils soutiennent? Qu’ils aient subi des menaces réelles est possible. Mais sur leur compte, ils refusent de montrer leur soutien plein et entier à Uhuru Kenyatta. En se présentant comme un compte indépendant, les auteurs savent qu’ils peuvent atteindre un plus grand nombre que s’ils avaient l’étiquette du Jubilee, le parti du président sortant, collée sur le front. Ainsi, ils peuvent attaquer le candidat sans avoir à défendre son adversaire. Logiquement, les supporters de Raila Odinga n’ont pas tardé à détourner la vidéo en changeant les noms.
 


«L’opposition et le gouvernement utilisent internet pour atteindre le public», explique la journaliste de NTV Kenya Brygettes Ngana à Géopolis. Pour elle, la vidéo présentant l’avenir du pays en cas de victoire de Raila Odinga n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de «fake news» et de vidéos pour décrédibiliser le camp adverse. 

Le vote doit avoir lieu le 8 août. Mais internet n’est que le reflet de la tension dans le pays. La mort de Chris Msando, un membre de la commission électorale, dévoile un pays au bord de la crise. De plus, le président Uhuru Kenyatta sort d’une procédure de la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. Les juges avaient été contraints d'abandonner les charges par manque de preuves. Il était accusé d’avoir provoqué les violences après les élections en 2007. Un chaos que beaucoup craignent de revivre cette année. D’autant plus que Raila Odinga était déjà candidat il y a cinq ans contre Uhuru Kenyatta, mais également il y a dix ans, l’année des violences.


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