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Guinée: un journaliste menacé de mort pour avoir parlé des problèmes de l’armée

Il est menacé de mort par de nombreux messages anonymes et risque 20 ans de prison pour avoir osé aborder une question taboue: «L’état désastreux de l’armée guinéenne». Moussa Moïse Sylla, journaliste à la radio privée Espace FM, est accusé d’atteinte à la sécurité de l’Etat. Reporters sans Frontières y voit «un message clair d’intimidation» envoyé à l’ensemble de la profession dans le pays.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le journaliste guinéen Moussa Moïse Sylla présente «Les Grandes Gueules», une émission de débat très populaire sur l'antenne de la radio privée Espace FM. Il reçoit régulièrement des menaces de mort. (Photo/Radio Espace FM)

Parler de l’armée peut vous coûter cher en Guinée. Le journaliste Moussa Moïse Sylla en sait quelque chose. Sa vie a basculé depuis le 1er novembre 2017 alors que son pays célébrait la fête de l’armée nationale.

Ce jour-là, son émission-débat Les Grandes Gueules aborde la question de l’armée. Non pas pour faire écho au discours officiel très flatteur à l’endroit des militaires, mais pour pointer leurs conditions de vie et les problèmes qu’ils rencontrent dans leur mission au quotidien. Le journaliste a ses propres sources au sein de la Grande muette.

«Dans un document qu’ils m’ont transmis, mes sources ont fait un état des lieux pas très reluisant de la situation au sein de l’armée. Ils constatent que l’armée manque d’effectifs pour bien accomplir sa mission. Que depuis la mise à la retraite de plus de 4000 militaires à l’arrivée du président Alpha Condé, il n’y a eu aucun recrutement», raconte le journaliste guinéen à Géopolis Afrique.

«Ils vivent dans des taudis et manquent de moyens»
Les Guinéens qui suivent l’émission apprennent ainsi que leurs militaires stationnés aux frontières sont négligés.

«Ils vivent dans des taudis et manquent de moyens de communication et de moyens de déplacement. Même les munitions font parfois défaut», affirment les militaires qui témoignent sous couvert d'anonymat.

Moussa Moïse Sylla explique à Géopolis Afrique qu’il a été à plusieurs reprises approché par des militaires de retour de Kidal, au Mali, où ils évoluaient au sein du contingent envoyé par la Guinée. «Ils nous ont parlé des difficultés qu’ils avaient à percevoir leurs primes à leur retour au pays», précise-t-il.

Dans le document qu’ils lui ont remis, les militaires dénoncent l’affairisme et le manque de transparence qui entourent les avancements en grades au sein de l’armée guinéenne. Des garnisons militaires qui se dégradent faute d’entretien et un matériel de travail obsolète et hors d’usage.

«Ils demandent à l’Etat de mettre les moyens qu’il faut pour renforcer le dispositif de sécurité de la Guinée au moment où le pays doit faire face à de nouvelles menaces et notamment le terrorisme», explique le journaliste guinéen.

Le journaliste Moussa Moïse Sylla (deuxième à gauche) sur le plateau de l'émission «Les grandes gueules» de la rado Espace FM à Conakry. (Photo/Espace FM)

«Vous avez sapé le moral des soldats»
Le premier coup de fil que reçoit Moussa Moïse Sylla émane du ministère de la Défense. Son chargé de communication lui fait comprendre qu’il a mis en péril la vie des militaires guinéens stationnés aux frontières. Puis c’est le commandant de la direction des investigations judiciaires qui le convoque pour l’informer d’une plainte déposée contre lui. Il est assigné en justice pour atteinte au secret de la défense nationale.

«Vous avez sapé le moral des soldats et mis le pays en danger», lui signifie l’officier guinéen.

Dans la foulée, la radio Espace FM est fermée pendant une semaine par la Haute autorité de la communication, provoquant une marche de protestation des journalistes guinéens.

«Une répression accrue contre les médias en général»
Pour Reporters sans Frontières, il s’agit d’un message clair d’intimidation envoyé à l’ensemble de la profession dans le but de décourager les journalistes guinéens à travailler sur des sujets de ce genre.

«On est face à un cas assez fréquent d’utilisation de la procédure juridique pour faire pression sur un journaliste. C’est vrai que l’appareil sécuritaire en Guinée comme dans d’autres pays de la région reste un sujet extrêmement sensible et tabou. D’autant plus que l’agenda sécuritaire sert de prétexte pour rendre impossible toute critique de la gestion des armées», explique la responsable du bureau Afrique à RSF, Clea Khan-Sriber.

Elle constate qu’on assiste à un climat général de répression de la liberté de la presse en Guinée.

«C’est vrai que ces dernières semaines, on a assisté à des arrestations, des convocations de journalistes à la police et des suspensions de médias. Un climat de violence et de répression accrue et des déclarations sévères de la part du président contre la presse et contre les médias en général.»

RSF appelle le président guinéen à faire preuve de discernement. S’en prendre de façon aussi radicale aux journalistes ne fait que discréditer le gouvernement, estime l’ONG de défense de la liberté de la presse.

Le journaliste Moussa Moïse Sylla rejette toutes les accusations portées contre lui par des gens qui, affirme-t-il, veulent faire croire au chef de l’Etat guinéen que ses militaires se portent bien, alors qu’il n’en est rien. Son procès a été fixé au 25 décembre. 

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