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La diaspora africaine dans les turbulences de mai 1968 à Paris

Plusieurs étudiants africains ont participé aux événements de mai 1968 dans la capitale française. Parmi eux le sénégalais Omar Blondin Diop, ou le congolais Elikia M'Bokolo. Le premier s'engagera dans les groupes trotskistes, le second chez les maoïstes, comme la plupart de ses condisciples de Normal Sup.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le Sénégalais Omar Blandin Diop, étudiant au lycée Louis le Grand à Paris en mai 1968.

La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf) réunit depuis les années 1950 la diaspora estudiantine dans l'Hexagone. En 1968, elle prend position sur l'actualité politique dans son journal, L'étudiant d'Afrique noire. Elle cogite sur la guerre au Vietnam, sur la victoire des jeunes barbudos à Cuba, des Black Panthers de Malcom X après l’assassinat du pasteur Martin Luther King le 4 avril 1968.

Son journal se bat pour l'indépendance et pour l'unité de l'Afrique, pour l’aboutissement du processus de décolonisation. Aux yeux de ses représentants, l’indépendance obtenue au début des années 1960 est factice, les vrais chefs, tel Kwame Nkrumah, ont été défaits.

Omar Blondin Diop, proche de Cohn-Bendit et Krivine
Plusieurs étudiants africains sont pris dans la fièvre révolutionnaire. Au sein de cette jeune diaspora africaine de Paris, le Sénégalais Omar Blondin Diop, prend part aux événements du 22 mars. Etudiant en philosophie à l'Ecole normale supérieur de Saint-Cloud, il se lie à Daniel Cohn-Bendit et à Alain Krivine, et prend une part active à la révolte estudiantine de 1968.

Il est remarqué par le cinéaste Jean-Luc Godard qui lui fait jouer, aux côtés d’Anne Wiazemski (son épouse, qui est la petite-fille de François Mauriac), de Juliet Berto et de Jean-Pierre Léaud, son propre rôle dans le film La Chinoise (1967).

L’engagement de Diop lui vaut, en 1969, d’être exclu de l’ENS de Saint-Cloud et expulsé de France en même temps que Cohn-Bendit. Omar Blondin Diop est d'ailleurs, avec Cohn-Bendit, le seul étranger expulsé durant les événements. Une décision du Premier ministre de l’époque, Georges Pompidou.

À Dakar, il poursuit ses activités révolutionnaires, soutenu par ses frères cadets – tous ardents militants anticolonialistes – et critique ouvertement la politique pro-française de Senghor qui s’est adjoint, au poste de ministre de l’Intérieur, un proche de Jacques Foccart : le Français Jean Collin.

La cour de la Sorbonne à Paris, occupée par les étudiants (photo prise le 13 mai 1968). (AFP/Portfolio/Leemage)

Pour protester contre la politique de «coopération» avec l’ancienne puissance coloniale et l’attitude de Senghor qui entreprend des travaux démesurés pour une visite-éclair de Pompidou à Dakar, les frères d’Omar incendient, le 15 janvier 1971, le ministère des Travaux Publics et le centre culturel français. Ils préparent des cocktails Molotov pour les jeter sur le cortège officiel. Ils sont arrêtés. Dialo Diop est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il sera torturé dans sa cellule.

Omar, alors jeune agrégatif, projette de libérer ses jeunes frères depuis le Mali où il s’est réfugié. Mais il est capturé et extradé vers le Sénégal.
Le 23 mars 1972, il est condamné par un tribunal spécial sénégalais à 3 ans ferme de réclusion pour «atteinte à la sûreté de l’État».

Le 11 mai 1973, après avoir reçu la visite de Jean Collin, avec lequel il aurait eu une altercation, il est retrouvé mort dans sa prison de Gorée.
Officiellement, c’était un suicide. Pour les Diop – et en particulier le docteur Dialo Diop – qui n’ont cessé de se battre pour la mémoire de leur frère, c’est un homicide politique : Omar aurait succombé après des sévices que lui auraient infligés ses geôliers. Plusieurs historiens partagent ce point de vue.

L’historien Elikia M'Bokolo
Autre étudiant engagé, mais avec un destin moins dramatique, l’historien Elikia M'Bokolo, étudiant à l’Ecole normale supérieure, alors sous l’influence du philosophe marxiste Louis Althusser... Elikia M'Bokolo en sort agrégé d'histoire. Il est alors proche de la Gauche Prolétarienne (maoïste). Il deviendra directeur d’études à l’Ecole des hautes études en science sociales (EHESS) à Paris.

Affiche de mai 68. Biafra présentant un film d'Olivier Todd.  (AFP/©Collection Michael Lellouche/Leemage )

Abdoulaye Yerodia Ndombasi, Alpha Condé...
Personnalité du cercle africain parisien, le psychanalyste congolais Abdoulaye Yerodia Ndombasi est membre de l’école freudienne de Paris. Dans les années 60, il fut compagnon de Che Guevara et ami de Chou En-laï. Il deviendra l’un des plus proches soutiens de Laurent-Désiré Kabila dont il fut le ministre des Affaires étrangères.

Alpha Condé, l’actuel président de la Guinée, a fréquenté le lycée Turgot à Paris avec son copain Bernard Kouchner. Alpha Condé enchaînera avec des études de droit à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il sera proche de l'Union des étudiants communistes (UEC). En septembre 1968, on retrouvera son ami Kouchner, fondateur de Médecins sans frontières au Biafra, où commence une terrible guerre civile qui fera plus d'un million de morts.

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