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La pratique des «petits billets», un frein à la libre circulation en Afrique
Les populations vivant en Afrique centrale espéraient enfin pouvoir circuler librement entre leurs pays respectifs depuis qu’un accord dans ce sens leur a été annoncé à la fin du mois d’octobre 2017. Il n’en est rien. Pourquoi les Africains peinent-t-ils à voyager facilement à travers leur continent? Géopolis Afrique a posé la question à Gilles Yabi, économiste et analyste politique.
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Sur le papier, tout a été prévu pour faciliter la tâche aux populations qui se déplacent en Afrique centrale. Depuis fin octobre, plus besoin de visas d’entrée ou d’autorisation de sortie pour circuler entre le Gabon, le Cameroun, le Congo-Brazzaville, le Tchad, la Guinée Bissau et la République centrafricaine.
Comment cette décision, annoncée en grande pompe, s’est traduite sur le terrain? Les premiers témoignages des voyageurs n’incitent guerre à l’optimisme.
«C’est encore comme un rêve», soupire une commerçante gabonaise rencontrée sur un marché camerounais. Elle a traversé la frontière pour acheter des régimes de bananes à revendre à Libreville. «Aujourd’hui, on continue à payer pour passer d’un côté comme de l’autre», résume-t-elle.
«Une manne financière redistribuée dans la chaîne de commandement»
Pourquoi les Africains peinent-t-ils à se déplacer facilement sur leur continent? Gilles Yabi connaît bien la problématique de la mobilité en Afrique de l’Ouest. Sur le plan formel, cette région ne présente plus d’obstacles à la libre circulation qui a été ratifiée depuis plusieurs décennies. Pourtant, explique-t-il à Géopolis, la pratique «des petits billets» reste de rigueur. Exactement comme en Afrique centrale.
«C’est une manne financière considérable. Ce sont des petites sommes qui sont données par chaque voyageur. Chaque jour, ce sont des millions de francs CFA qui sont prélevés. Des taxes illégales. Il y a une forte suspicion que cet argent ne reste pas seulement au niveau de l’agent qui prélève directement, il est redistribué généralement dans la chaîne de commandement. C’est un problème lié à une sorte de tradition de corruption qui s’est installée dans ces pays.»
Gilles Yabi observe que ce phénomène ne concerne pas les voyageurs africains qui se déplacent par avion. Les victimes de ces tracasseries sont essentiellement des populations pauvres qui ont besoin de commercer au niveau des frontières.
C’est le cas de ces commerçants camerounais et gabonais qui se sont confiés à Africa News, aux confins de la Guinée Equatoriale, du Gabon et du Cameroun.
«Quand tu entres en Guinée Equatoriale, c’est un calvaire. Les hommes en tenue vous arnaquent et vous incarcèrent. Ils vous mettent en cellule et vous obligent à payer pour être libérés», se plaint un commerçant camerounais.
Plus loin, une commerçante gabonaise se lamente: «Il y a d’abord la police, on paie 1000 francs, puis on trouve la gendarmerie, c’est encore 1000 francs…»
Quelle que soit leur nationalité, tous racontent les innombrables et inévitables «petits billets» à glisser aux policiers, aux gendarmes ou aux douaniers pour pouvoir passer la frontière.
«Il y a un laisser-aller au niveau politique»
Gilles Yabi observe que cette pratique est liée à une sorte de tradition de corruption systémique qui s’est installée en Afrique centrale comme en Afrique de l’Ouest. Un système que certains acteurs politiques n’ont pas intérêt à voir disparaître.
«Il y a des éléments très clairs qui montrent que c’est une corruption qui irrigue généralement l’ensemble de l’appareil de sécurité et donc finalement l’ensemble de l’appareil politique. Oui il y a un laisser-aller au niveau politique… Tout cela est également lié aux questions de financement politique, aux questions de la loyauté et du clientélisme politique en particulier.»
La corruption qui s’est installée dans les pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest empoisonne non seulement la vie des voyageurs, mais elle constitue aussi une véritable menace pour la sécurité des populations de ces régions, explique Gilles Yabi.
«La réalité, c’est que dès lors qu’on a la capacité de payer, on peut même passer sans la moindre pièce d’identité. En donnant de l’argent, on peut faire passer des armes, de la drogue, etc. C’est un véritable problème de sécurité et d’absence de crédibilité de l’Etat, qui alimente la perception que l’Etat n’est pas au service des populations.»
Gilles Yabi estime que les chefs d’Etat africains devraient s’assurer d’un dispositif de suivi pour accélérer la libre circulation sur le continent. Et faire en sorte que l’information soit connue de tous, à commencer par la société civile. Si les populations sont bien informées, plaide-t-il, elles exigeront elles-mêmes le libre passage aux frontières et refuseront de payer.
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