"Celui qui doit être malade va tomber malade" : face au Covid-19, le Sénégal a du mal à faire appliquer les consignes sanitaires
Au Sénégal, la médecine traditonnelle a ses adeptes, et les autorités ont parfois du mal à convaincre la population d'appliquer les gestes barrières.
Relativement épargné lors de la première vague de l'épidémie de Covid-19, le continent africain est désormais rattrapé par la deuxième vague. Au Sénégal, le nombre de cas dépasse la barre des 29 000 personnes contaminées. Et les autorités ont du mal à faire appliquer les consignes sanitaires pour éviter la propagation du virus. Pour comprendre la résistance qui existe devant cette pandémie, il suffit d'écouter le président sénégalais Macky Sall. Ce jour-là, il s'exprime à la télévision et demande aux Sénégalais de bien vouloir se protéger. Contre le virus, mais pas seulement : "A tous ceux qui continuent d'ignorer les gestes barrières, de négliger le port correct du masque et, pire, de nier l'existence même du Covid-19, je dis ceci : vous vous mettez en danger et vous mettez les autres en danger."
Vérification dans le centre de Dakar : dans la rue, les habitants vont et viennent. Certains portant un masque, d'autres le préfèrent sous le menton. D'autres encore l'ignorent, tout simplement. C'est le cas de Moussa. Il est pêcheur et le Covid-19 ne lui fait pas peur. Car des épidémies, il en a déjà vu passer. "Je n'ai jamais mis le masque, moi. Celui qui doit être malade va tomber malade, estime Moussa, un pêcheur. Ce n'est pas juste avec un simple masque que tu ne seras pas malade. Il y a le paludisme, le cancer... il y a plein de maladies ici. Et quand le Covid est là, tout le monde en parle ! C'est parce que les Occidentaux font pression sur l'État sénégalais". Il s'interroge : "Le paludisme, il a tué combien de millions de Sénégalais ? Et pourquoi les autres maladies, on ne les soigne pas ?"
"Des trucs à base de végétaux qui vont très bien"
Même pas peur, malgré les communiqués du ministère, qui détaillent tous les jours le nombre de cas positifs quartier par quartier. Ici, beaucoup font confiance à la médecine traditionnelle. Elle est d'ailleurs prise en compte par l'OMS, qui dit l'accueillir favorablement. C'est elle qui soigne souvent au quotidien. Samba, peintre de profession, ne doute pas de ses bienfaits. "La médecine traditionnelle traite le Covid, bien sûr. Trop bien, même. Moi, je crois plus aux médecines traditionnelles qu'à la médecine moderne. Là, on utilise des trucs à base de végétaux qui vont très bien. Il y a même, ils l'ont fait passer sur les réseaux sociaux, un mélange de quatre tiges d'arbres. Tu mélanges : quand tu l'avais, c'est fini. Et sinon, tu ne l'auras jamais. Et là, tu ne vois personne qui a le Covid. Je vais te donner cette recette, tu vas voir, tu n'auras jamais le Covid."
Dans le quartier Touba Sandaga, au cœur de Dakar, certains ne cachent pas leur mécontentement. En plus du couvre-feu à 21 heures, il est demandé à certains commerçants de fermer à tour de rôle leurs magasins. Mamadou Syllé, qui vend des prises électriques, est ce jour-là concerné. Et sa résistance à lui est économique. "Tous les magasins sont fermés avec le Covid-19 ! Le gouvernement dit : c'est comme ça, on est obligé de faire ce qu'il veut. Mais on a des enfants à nourrir à la maison. On a notre maman, notre papa à nourrir à la maison. On sait que la maladie existe, c'est sûr, mais on a des besoins, on a des problèmes. Il faut que l'Etat puisse penser à nous aussi."
Autant de réticences politiques, médicales et économiques qui ont une incidence négative sur l'évolution de la pandémie, comme l'explique Ibrahima Fall, médecin dans un centre de santé de Dakar. "Ça augmente la propagation, la contamination. Et naturellement, ça augmente le nombre de cas confirmés au Covid-19. Le souci qu'on a, nous praticiens, c'est qu'ils ne viennent pas consulter à temps. Il y a un retard de diagnostic."
"Ils ne réagissent pas à temps, ils ne viennent pas consulter à temps, on ne diagnostique pas à temps. Et le plus souvent, ça fait qu'on a beaucoup de cas graves, beaucoup plus de décès que lors de la première vague."
Dr Ibrahima Fallà franceinfo
L'Etat peut compter sur l'aide de Dieu pour faire passer sa politique de prévention. Du moins sur celle de Mohamed Niass. Il est imam et lors des prières, il invite les fidèles à respecter les règles. Tout comme il les invitera à se faire vacciner. "A chaque fois que je fais mes prêches, je dis aux gens de ne pas oublier que la maladie est là, qu'elle tue et que ce n'est pas un jeu. Mais le problème est économique. Ça crée des difficultés. Je suis tout à fait d'accord pour que les gens se vaccinent et je les incite à le faire parce que je pense que le vaccin est quelque chose de bien." La campagne vaccinale ne devrait pas débuter au Sénégal, avant le mois de mars prochain. Mais elle fait déjà parler dans les conversations et entraîne elle aussi de la réticence.
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