Election présidentielle au Sénégal : qui est Ousmane Sonko, l'opposant au cœur du scrutin sans être candidat ?
Il accumule les déplacements, avant une élection présidentielle particulièrement attendue, dimanche 24 mars au Sénégal. En Casamance, sa région d'origine, l'opposant Ousmane Sonko a été accueilli par des milliers d'habitants acquis à sa cause. "Notre espoir, c'est Ousmane Sonko. Il va nous apporter le travail et le développement", avance Boubacar Diedhou, un jeune électeur, auprès de l'AFP. "Il est l'homme qui peut tout changer, qui porte en lui l'espoir d'un nouveau Sénégal", appuie un pâtissier de 27 ans.
Pourtant, Ousmane Sonko n'est pas en lice pour la fonction suprême. Sa candidature a été rejetée en début d'année par le Conseil constitutionnel, à l'issue de trois années d'affaires judiciaires qualifiées de "complot" politique par l'opposant. Le 14 mars, le Sénégalais de 49 ans a été libéré de justesse de prison aux côtés de Bassirou Diomaye Faye, le candidat officiel de son camp à l'élection présidentielle.
Depuis, Ousmane Sonko mène une campagne accélérée pour la victoire de son second. "La présence d'Ousmane Sonko est importante auprès des masses, souligne Alassane Beye, enseignant-chercheur à l'université Gaston-Berger de Saint-Louis. Les gens ne connaissent pas Bassirou Diomaye Faye, mais ils connaissent Ousmane Sonko." Qui est cette figure populaire de l'opposition sénégalaise, un acteur clé du scrutin présidentiel malgré son inéligibilité ? Franceinfo dresse son portrait.
Un inspecteur des impôts en guerre contre le système et sa corruption
La Casamance, dans le sud du Sénégal, est le fief qui a vu grandir Ousmane Sonko après sa naissance à Thiès. Eloignée des lieux de pouvoir, cette région a pu nourrir les convictions du Sénégalais en faveur d'une plus grande décentralisation, relève Le Monde. Néanmoins, "c'est plutôt son passage aux impôts qui a joué sur ses positions politiques", pointe Alassane Beye. Après une maîtrise de droit et l'école nationale d'administration (ENA) du Sénégal, Ousmane Sonko débute une carrière d'inspecteur principal des impôts et domaines. Un parcours dans la lignée de ses parents, tous deux fonctionnaires.
"Son passage aux impôts lui permet de connaître l'écosystème de l'administration sénégalaise et ses pratiques corruptives."
Alassane Beye, spécialiste de sociologie électorale au Sénégalà franceinfo
L'inspecteur crée le premier syndicat de sa profession en 2005, puis participe aux assises de l'opposition en 2008, note Le Monde. Fonctionnaire engagé, Ousmane Sonko entre sur la scène politique en développant un discours de lutte contre la corruption du système. Avec une légitimité : son expérience "au cœur du dispositif". Ses critiques lui valent d'être radié de la fonction publique par décret présidentiel en 2016, pour "manquement au devoir de réserve". Ousmane Sonko accuse des figures du pays – dont le frère du président – d'avoir obtenu des avantages fiscaux illégaux. Il signe en 2017 le livre Pétrole et gaz au Sénégal : chronique d'une spoliation.
Le Sénégalais fonde en parallèle, en 2014, le parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef). Le mouvement rassemble des cadres de l'administration mais aussi de professions libérales ou de secteurs privés. La plupart "n'ont jamais fait de politique", insiste le parti dans sa présentation. Cette formation s'inscrit dans une ligne souverainiste et panafricaniste, avec une priorité donnée à l'intérêt sénégalais et africain. Certains voient du populisme dans les propos sans filtre, parfois provocateurs, de l'inspecteur. "Ousmane Sonko a noté une tendance mondiale, une percée des partis souverainistes, décrypte Alassane Beye. Il a capitalisé sur sa légitimité administrative pour construire un discours souverainiste sur l'accaparement des ressources par l'intelligentsia, par les multinationales." Une dénonciation du système sénégalais et de ses partenaires étrangers, notamment la France.
Un présidentiable qui a su capter une part de la jeunesse
Au fil de ses discours, l'agent public, devenu lanceur d'alerte, capte une première base électorale. Elu député en 2017, Ousmane Sonko prône la souveraineté économique du Sénégal. Il appelle à sortir du franc CFA, une monnaie aux relents post-coloniaux à ses yeux, note France 24. L'opposant poursuit aussi son combat contre les fraudes, l'endettement et les privilèges de l'élite politique. Avec une vision : "Quand on est patriote, on ne s'adonne pas à la corruption. On assure une bonne gouvernance et une bonne gestion des ressources publiques", observe Babacar Ndiaye, analyste politique et directeur des recherches au centre de réflexion Wathi, à Dakar.
Une bascule s'opère lors de l'élection présidentielle de février 2019 au Sénégal. Le président Macky Sall est réélu avec 58,26% des voix, mais le candidat Sonko finit troisième, captant 15,67% des votes. Une prouesse pour le Pastef, qui avait recueilli moins de 1% des voix lors des élections législatives de 2017, selon Le Monde. Le faible nombre de candidats à la présidence (seulement cinq) a pu jouer en la faveur d'Ousmane Sonko, tout comme la mise à l'écart de deux figures de l'opposition, Karim Wade et Khalifa Sall. Deux rivaux de Macky Sall condamnés dans des affaires financières, rappelle le quotidien du soir.
"Ousmane Sonko a réussi à faire campagne avec des moyens minimes. Il a eu un score très élevé pour un candidat sans appareil politique", ajoute Babacar Ndiaye. Ce succès notable a une explication principale, de l'avis de l'analyste : le discours porté par le candidat, en particulier auprès d'une jeunesse majoritaire au Sénégal, pays où 75% des habitants ont moins de 35 ans.
"Ousmane Sonko a eu un discours adressé à la jeunesse, celui de l'éthique, d'un Sénégal qui doit changer. Il a un discours qui porte, qui intéresse beaucoup les jeunes."
Babacar Ndiaye, analyste politique au Sénégalà franceinfo
Au-delà de la jeune génération, l'opposant séduit une base électorale intellectuelle, plutôt urbaine, qui dépasse son fief du sud du Sénégal. L'ascension se confirme lors des élections législatives de 2022 : la coalition menée par Ousmane Sonko obtient 56 sièges sur 165 à l'Assemblée nationale, rapporte Libération.
Un opposant majeur victime d'un "complot" ?
En pleine envolée, Ousmane Sonko se retrouve plongé dans une séquence judiciaire majeure, qui ébranle son camp et l'ensemble du pays. Le député est d'abord accusé de viols et de menaces de mort par une employée d'un salon de beauté de Dakar, où l'opposant a ses habitudes. Il réfute en bloc ces accusations, fustigeant une "tentative de liquidation politique" menée par Macky Sall. L'annonce de cette plainte, en 2021, provoque une première colère de ses sympathisants dans la rue. Des heurts avec les forces de l'ordre se poursuivent le mois suivant, au moment où l'accusé doit être entendu. L'opposant est arrêté, notamment pour "troubles à l'ordre public".
Son arrestation, puis son placement sous contrôle judiciaire, nourrissent de nouveaux affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, à l'instar d'autres décisions le visant. Une nouvelle accusation, et le procès qui suit, cette fois-ci pour "diffamation, injures et faux", attisent un peu plus une colère populaire. Au printemps 2023, Ousmane Sonko est condamné en appel à six mois de prison avec sursis pour ces accusations portées par un ministre, puis à deux ans de prison ferme pour "corruption de la jeunesse", dans la première affaire le visant. La justice ne le condamne ni pour viol, ni pour menace de mort.
Une fois de plus, le Sénégal vit un embrasement. Neuf personnes sont tuées le 1er juin, jour de l'annonce de cette lourde condamnation. La figure de l'opposition est ensuite arrêtée et poursuivie, entre autres, pour "appel à l'insurrection" et "complot contre l'autorité de l'Etat". Une réaction à ses discours et participations aux manifestations depuis 2021. "Pour lui, il fallait défier les institutions, défier l'institution judiciaire en appelant les gens à la résistance et à manifester, commente Alassane Beye. Il fallait gagner ce combat sur le champ politique en occupant les rues." Un appel largement entendu, au-delà de sa base de soutien.
"Des Sénégalais ont vu son arrestation (et la suite) comme une volonté d'empêcher l'expression d'une diversité politique."
Alassane Beye, enseignant-chercheurà franceinfo
La vive colère qui s'exprime alors au Sénégal est aussi le fruit d'une crise économique et sociale, sur fond d'épidémie de Covid-19. Ousmane Sonko incarne l'espoir d'un meilleur avenir pour une part de la jeunesse, mais ses perspectives politiques s'effritent. Son parti est dissous et sa candidature à l'élection présidentielle, invalidée. Condamné et incarcéré, le visage de l'opposition est écarté de la course.
Avec son appui, Bassirou Diomaye Faye est désigné candidat à sa place, avec un slogan : "Ousmane mooy Diomaye" ("Ousmane, c'est Diomaye"). Les deux hommes se ressemblent : ils sont passés par l'ENA et l'inspection des impôts, puis l'action syndicale et la direction du Pastef. Bassirou Diomaye Faye, détenu mais pas condamné de manière définitive, voit sa candidature validée. Leur libération, le 14 mars, après des semaines de crise autour du report de l'élection et une loi d'amnistie, "change tout", de l'avis de Babacar Ndiaye. L'analyste évoque les scènes de liesse à leur sortie de prison, "qui en disent long sur la capacité d'Ousmane Sonko à mobiliser les jeunes". Sa présence aux côtés de Bassirou Diomaye Faye, lors d'une campagne précipitée, suffira-t-elle à faire gagner le candidat et son camp ?
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