Armées du Sahel : les accusations d'exactions se multiplient
Le Conseil de sécurité de l'ONU se saisit du dossier.
Disparitions forcées, exécutions sommaires... Les accusations d'exactions sur les populations locales se multiplient contre les soldats du Mali, du Burkina Faso et du Niger engagés face aux jihadistes au Sahel central. Elles devaient être à l'agenda du Conseil de sécurité de l'ONU, le 5 juin 2020.
Le thème de la réunion ("Paix et sécurité en Afrique") organisée aux Nations unies est vaste. Mais l'un des principaux sujets attendus "sera les accusations de violations des droits de l'Homme par les armées du Sahel", assure un diplomate à Bamako. Initialement programmée début mai, cette réunion avait été reportée à la demande du Niger, membre non-permanent du Conseil, pour "donner du temps" aux pays sahéliens afin qu'ils puissent préparer leurs réponses, a expliqué à l'AFP un diplomate africain à New York.
"Multiplication" des accusations d'exactions
Les accusations d'exactions contre les civils s'expriment avec insistance depuis plusieurs mois, en même temps que la dénonciation des agissements jihadistes et des violences intercommunautaires. Début avril, la mission de l'ONU au Mali (Minusma) a dénoncé la "multiplication" des méfaits imputés aux armées nationales. Sa note trimestrielle évoquait notamment "la multiplication des exécutions sommaires et disparitions forcées ou involontaires, lors des opérations militaires et de sécurisation des forces de défense et de sécurité maliennes".
Au Mali, l'ONU a dénombré 101 exécutions extrajudiciaires perpétrées par l'armée entre janvier et mars. L'organisation internationale en a recensé une trentaine d'autres par l'armée nigérienne sur le sol malien. "Ces chiffres, les noms et les circonstances ont été documentés", avait indiqué Guillaume Ngefa, directeur de la division des droits de l'Homme de la Minusma.
Au Burkina Faso, 12 personnes arrêtées pour complicité avec les jihadistes sont mortes dans des cellules de gendarmerie mi-mai dans l'est du pays. Des proches et des ONG disent qu'il s'agissait de civils, abattus sommairement. La justice a promis des investigations.
Les Peuls particulièrement visés
Au Niger, 102 personnes auraient été tuées par l'armée dans la région de Tillabéri (ouest), selon la publication d'une liste de personnes disparues qui a circulé en avril. Le ministère de la Défense a affirmé qu'une enquête allait être diligentée. Tout en saluant le "professionnalisme" des militaires.
A chaque fois, des organisations de protection des droits humains publient des listes de noms, des photos, en déplorant la disparition des intéressés après le passage de soldats. Les disparus sont en majorité des Peuls, volontiers assimilés à des complices des jihadistes. "On a beau faire des rapports, dénoncer que tant de Peuls ont été tués et jetés dans un puits, ou bien montrer au monde une fosse commune, rien n'est fait ensuite", déplore un cadre de l'association malienne peule Tabital Pulaaku sous le couvert de l'anonymat.
"Il est indéniable que quelques Peuls ont pris le chemin du jihadisme, mais c'est faire preuve de naïveté que de ramener le jihadisme à une seule ethnie", a indiqué le président de Tabital Pulaaku, Abou Sow, devant la presse. "Le recrutement de certains d'entre eux par des groupes jihadistes dans le Sahel nuit à toute cette communauté d'éleveurs", expliquait l'universitaire Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré dans un article publié en septembre 2018 par The Conversation et repris par franceinfo Afrique. "Au Burkina Faso, les Peuls (sont) victimes d’une stigmatisation meurtrière", notait Le Monde en février 2019. Des exactions qui touchent également cette communauté au Mali.
Les gouvernements sahéliens ont toujours fait bloc derrière leurs armées. Lesquelles, souvent sous-équipées et sous-formées, paient un lourd tribut à la lutte contre le jihadisme. "Les gouvernements de nos pays n'encouragent pas les violations des droits de l'Homme", assure le ministère des Affaires étrangères malien, Tiébilé Dramé. Celui-ci entend énumérer devant le Conseil de sécurité "les dispositions précises et concrètes qui ont été prises pour corriger les excès qui ont été constatés çà et là".
Moment charnière
Les armées nationales des pays sahéliens sont mises en cause à un moment charnière pour la région.
L'ONU, d'abord, fait face au scepticisme de certains membres du Conseil de sécurité sur l'ampleur de sa mission au Mali (13 000 hommes mi-juin). De son côté, la France a réexaminé les conditions de son engagement au Sahel après la mort de 13 de ses soldats en novembre 2019.
L'opération Barkhane et celle de la Minusma (dont le mandat doit être renouvelé), comme celle de la nouvelle force régionale créée en 2017, n'ont pas réussi à endiguer le flot de violences qui ont fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés depuis 2012. La France a réuni ses alliés sahéliens en janvier à Pau et leur a "mis un coup de pression pour avoir des résultats tangibles", rappelle Ibrahim Maïga, de l'Institut d'études de sécurité (ISS) à Bamako. Selon cet observateur, "la protection des civils n'est qu'un objectif connexe" à la "priorité numéro 1 des forces militaires (qui) est de mettre hors d'état de nuire" les jihadistes.
Interrogé en mai par l'AFP sur les exactions imputées aux armées nationales, le général Pascal Facon, commandant de la force Barkhane, les avait qualifiées d'"intolérables". Elles peuvent "poser un problème en termes de crédibilité des forces", ajoutait l'officier.
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