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Cameroun: l'installation d'une artiste française mise à bas

L’installation d'une artiste française demandant pardon pour la colonisation a été renversée le 7 décembre 2017 à Douala par des activistes. Ceux-ci contestent une initiative «occidentale», au détriment de monuments à la mémoire des «héros camerounais».
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des activistes renversent une installation artistique de la Française Sylvie Blocher à Douala (Cameroun), le 7 décembre 2017. (Capture d'écran Youtube)

L’œuvre de la plasticienne Sylvie Blocher avait été officiellement inaugurée le 6 décembre, avec la bénédiction des autorités locales, à un carrefour très animé de Douala, dans le quartier d'Akwa. Elle avait été installée dans le cadre d'un festival d'art contemporain qui se tient dans la ville portuaire, capitale économique du Cameroun.

Il s'agissait d'une photo de l'artiste, haute de trois mètres, une femme blanche sexagénaire habillée sobrement d'un legging noir et chemise bleue. Elle y porte à bout de bras, au-dessus de sa tête, une pancarte de carton avec inscrit en lettres majuscules et manuscrites: «Bien que je n’en ai pas le droit, je vous présente mes excuses.»

Mais moins de 24 heures après sa mise en place, la «sculpture éphémère» a été renversée par une poignée d'activistes, au milieu des pots d'échappements de la circulation et sous les applaudissements des badauds.


Sur les images d'une télévision locale, on voit André Blaise Essama, connu localement pour ses actions «nationalistes» contre les monuments célébrant les personnalités françaises au Cameroun, s'en prendre à la photo de Mme Blocher. Il tente de la renverser, est rejoint par plusieurs personnes et parvient finalement à la jeter sur la chaussée, où une moto-taxi s'empresse de rouler dessus.

Salué par la foule, le poing levé en signe de victoire, l’activiste et ses acolytes quittent ensuite les lieux sans encombre, à la tête d'une cohorte de moto-taxis, au milieu du brouhaha de la ville.

Fâcherie
«J'ai réalisé cette sculpture pour m'adresser directement à vous, et plus généralement à l'histoire passée et présente du Cameroun», explique Sylvie Blocher sur une affiche présentant son «happening». «Comme mon pays, la France, n'a jamais présenté d'excuse au peuple camerounais pour avoir commis des exactions et des crimes durant la colonisation, je vous présente, bien que je n'en ai pas le droit, des excuses», ajoute l’artiste plasticienne.

L'initiative a suscité d'immédiates réactions sur les réseaux sociaux, le plus souvent d'hostilité.


L'érection de la statue d'une artiste française à Douala fâche, titrait ainsi, le 7 novembre, le site d'informations en ligne cameroon-info.net.

La une du site cameroon-info.net le 7 décembre 2017 (DR)

Sur les lieux, l'œuvre de Mme Blocher a laissé plutôt sceptiques badauds et passants, qui ont tous salué sa mise à bas par les activistes camerounais, a constaté un journaliste de l'AFP.

Dans la foule, les spectateurs déploraient qu'on érige œuvres et monuments d'artistes occidentaux, alors que les «vrais héros» historiques camerounais restent dans l'oubli ou peu célébrés, selon leurs commentaires.

«On ne manque pas de gens en mémoire de qui on pourrait fabriquer un monument à cet endroit. Ils sont tellement nombreux», protestait Alphonse, chauffeur. «Nous, les jeunes Camerounais, nous voulons une identité, nous voulons nous référer à une idole. Cette femme-là peut apporter quoi à la jeunesse africaine, à la jeunesse camerounaise? Elle peut nous donner quoi? Ce monument, vraiment, nous disons non, non et non!», protestait-il.

«Héros nationaux»
«Nous sommes dans un Cameroun où nous devons réhabiliter la mémoire de nos héros nationaux (...). Nous ne comprenons pas comment aujourd'hui, au cœur de la capitale économique, ce soit le monument d'une inconnue et surtout d'une Française», renchérissait Ambroise, technicien agricole.

Sur ce même carrefour, il y a un an, l'activiste Essama avait tenté en vain d'ériger une statue de John Ngu Foncha (ancien vice-président du Cameroun fédéral).

André Blaise Essama est connu au Cameroun pour avoir notamment décapité à plusieurs reprises la tête de la statue du général Leclerc, sur un monument à la mémoire du héros de la France libre, installé dans le quartier administratif de Douala. La statue est aujourd'hui protégée par une barrière de fer, érigée par la municipalité.

Le 6 décembre, il avait également voulu s'opposer à l'inauguration de la photo de Sylvie Blocher. Il a été brièvement interpellé par la police, pour revenir finalement le lendemain mettre à bas l'installation.

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