Covid-19 : l'Afrique, illustration de l'inégalité vaccinale qui nourrit la pandémie
Le continent africain est la lanterne rouge de la vaccination contre le Covid-19 : 3% de doses administrées dans le monde et environ 8% de sa population complètement vaccinée.
"Si nous mettons un terme à l'inégalité (vaccinale), nous pouvons mettre fin à la pandémie. Si nous permettons à cette inégalité de persister, nous permettons à la pandémie de perdurer", a lancé le 14 décembre 2021 le directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.
If we end vaccine inequity, we can help end the #COVID19 pandemic together. If we allow inequity to continue, we allow the pandemic to continue. #VaccinEquity pic.twitter.com/SJiF7m10Ke
— Tedros Adhanom Ghebreyesus (@DrTedros) December 15, 2021
C'est devenu un mantra que le patron de l'OMS répète depuis des mois. Si la question de l'iniquité vaccinale illustrée par l'Afrique revêt une dimension morale, elle a surtout une justification scientifique et est de nouveau tangible avec l'apparition du variant Omicron qui se répand à toute vitesse.
Un lien qui "n'est plus à démontrer"
"Le lien entre la survenue de nouveaux variants et l'inégalité vaccinale n'est plus à démontrer", explique à franceinfo Afrique le Dr Richard Mihigo, coordonnateur du Programme de vaccination et mise au point des vaccins au Bureau régional de l'OMS pour l'Afrique. "Nous le savions déjà avec les autres formes de maladies virales. Plus vous laissez un virus circuler dans une population qui n'est pas vaccinée, qui n'est pas protégée – nous avons l'expérience avec la rougeole chez les enfants –, plus vous (lui) donnez la possibilité de changer et de muter. La grippe saisonnière est aussi un cas parlant."
Il y a dix mois, les premières doses arrivaient dans les pays africains, majoritairement via le mécanisme de solidarité Covax. A l'exception de l'Erythrée, tous déploient aujourd'hui la palette de vaccins autorisés. A ce jour, plus de 250 millions de doses ont été administrées sur le continent. Malheureusement, selon l'OMS, elles ne représentent que "3% des quelque 8 milliards de doses" injectées dans le monde. Résultat : "Seuls 8% environ des Africains sont entièrement vaccinés, contre plus de 60% dans de nombreux pays à revenu élevé."
Le pire scénario
Intervenant le 29 novembre à l'occasion de la session extraordinaire de l'Assemblée mondiale de la santé, le directeur général de l'OMS expliquait que le pire scénario imaginé avait pris corps. "Il y a un an, nous avons commencé à voir certains pays conclure des accords bilatéraux avec les fabricants, et signalé que les plus pauvres et les plus vulnérables seraient sacrifiés dans cette ruée mondiale vers les vaccins. Et c’est exactement ce qu'il s’est produit. Plus de 80% des vaccins dans le monde ont été attribués aux pays du G20", regrettait alors le Dr Ghebreyesus. Il soulignait, en outre, que certains pays commençaient "à vacciner des groupes qui présentent de très faibles risques de contracter une forme grave, ou à administrer des doses de rappel à des adultes en bonne santé" alors qu'en Afrique "seul un agent de santé sur quatre a été vacciné".
Le 1er décembre, la journée mondiale de lutte contre le Sida − l'autre pandémie qui sévit depuis 40 ans – a été l'occasion pour beaucoup de faire le parallèle entre le traitement inégalitaire dont les Africains avaient fait l'objet aux premières heures de la pandémie et celui dont ils sont aujourd'hui victimes face à celle du Covid-19. Winnie Byanyima, la directrice exécutive du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (Onusida), est encore montée au créneau en prêtant sa voix, aux côtés du Prince Harry, duc de Sussex, à une vidéo de sensibilisation de The People's Vaccine, une coalition d'ONG et d'activistes qui milite pour des vaccins accessibles à tous.
Céder la place dans la file d'attente
La responsabilité des laboratoires est pointée tout comme l'accaparement des vaccins par les nations les plus nanties. Une attitude fustigée pour la énième fois par le président sud-africain Cyril Ramaphosa, champion de la lutte contre le Covid-19 de l'Union africaine (UA), lors de son déplacement au Sénégal le 7 décembre. Le dirigeant, qui souffre actuellement du Covid-19, a rappelé que les pays riches avaient commandé "plus de vaccins que ce dont leur population avait besoin".
"Les entreprises pharmaceutiques continuent de donner la priorité à l'approvisionnement des pays à haut revenu qui stockent également plus de doses qu'ils ne peuvent en utiliser, tout en bloquant les tentatives d'accroître l'offre en soutenant la renonciation temporaire aux droits de propriété intellectuelle et le partage accru de la technologie et du savoir-faire", résumait le 14 décembre Amnesty International dans un rapport sur l'inégalité vaccinale en Afrique de l'Est.
Alors que l'Afrique faisait face à un déficit de 470 millions de doses pour 2021, la directrice régionale de l'OMS pour l'Afrique, le Dr Matshidiso Moeti, invitait mi-septembre les pays "qui ont des réserves" à "libérer leurs doses pour que d'autres pays puissent les acheter". Elle exhortait aussi ceux "qui ont promis des doses" à tenir "de toute urgence" leurs promesses. Les Etats-Unis, l'Union européenne et la France ont fait dans la foulée des annonces dans ce sens.
Désormais, le continent n'est plus dans la situation de pénurie des premiers mois de 2021 où l'accélération de l'épidémie en Inde avait obligé le pays à réserver ses capacités de production pour lui-même alors qu'il assurait la fabrication du vaccin AstraZeneca pour Covax. "Environ 20 millions de doses sont envoyées par semaine sur le continent aujourd’hui" par le biais de Covax, d'Avat (programme d'achat de vaccins de l'UA) et des accords bilatéraux signés par les Etats, a indiqué le 14 décembre le Dr Phionah Atuhebwe, chargée de l'introduction de nouveaux vaccins au bureau régional de l'OMS pour l'Afrique.
Plus de prévisibilité
Afin d'optimiser leur déploiement, le Centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies (Africa CDC), l'OMS, l'Unicef, l'Alliance du vaccin-Gavi, entre autres, ont plaidé pour une meilleure prévisibilité des dons. "La majorité (de ceux) effectués jusqu'à présent étaient ponctuels, fournis avec peu de préavis et avec un court délai de conservation. Il est donc extrêmement difficile pour les pays de planifier des campagnes de vaccination", précise un communiqué publié fin novembre. Manque de fonds, pénurie de seringues, absence de personnels qualifiés ou encore mauvaise planification pour déterminer les cibles prioritaires sont autant d'obstacles à surmonter dans certains pays pour injecter les sérums.
A cela s'ajoute l'hésitation vaccinale qui touche le monde entier. Le 24 novembre, l'agence Reuters rapportait que l'Afrique du Sud avait demandé à Johnson & Johnson et Pfizer de retarder leurs livraisons parce la défiance vaccinale ralentissait sa campagne. Le pays est le plus touché par le Covid-19 en Afrique, mais est aussi l'un des rares sur le continent à se rapprocher du taux de vaccination de 40% fixé par l'OMS pour la fin de l'année. Cette méfiance, en partie nourrie par la désinformation, est souvent liée à "une réponse inadéquate" aux préoccupations concernant la sécurité et les effets secondaires des vaccins, analyse le Dr Phionah Atuhebwe. "Dans certains pays, nous avons également constaté que les chefs religieux sont très suivis et ce qu'ils disent (à ce sujet) est très important pour leurs fidèles, contrairement à ce que la science a à dire." L'implication de ces leaders d'opinion "très importants" est une donnée à prendre en compte, note l'experte. "Mais avec la troisième vague que nous observons dans la plupart des pays et l'arrivée de la quatrième, ajoute-t-elle, l'hésitation tend à diminuer." Car, a-t-on constaté à l'OMS, l'hésitation vaccinale est souvent balayée par les vagues de l'épidémie.
Au total, les difficultés logistiques, la défiance vaccinale ou encore le présumé gaspillage des doses apparaissent secondaires pour appréhender l'inégalité vaccinale. "Il est nécessaire de dissiper l'impression que (...) des millions de doses sont perdues, expirant en Afrique. Ce n'est pas le cas. Le principal défi dans les pays africains est l'approvisionnement en vaccins", a déclaré le Dr Moeti le 14 décembre lors de la conférence de presse du Bureau régional.
L'Afrique continue de résister au SARS-CoV-2
Si elle est à la traîne pour la vaccination, "l'Afrique a plutôt mieux résisté (aux) différentes vagues" que ne le prévoyaient les statistiques au début de la pandémie, déclarait début décembre le Dr Richard Mihigo. Les raisons sont multiples mais les études de séroprévalence ont révélé "qu'entre 40% et 60% des populations" étaient rentrées en contact avec le virus dans certains pays. "La grande majorité des infections, et on le savait depuis longtemps, restait asymptomatique", ajoute-t-il. Cependant,"il est important pour éviter les formes graves, surtout dans les populations vulnérables" − les personnes âgées, celles avec des comobirdités et immunodéprimées − "que la seule protection ne soit pas une protection passive mais plutôt active, avec la vaccination."
A l'approche des fêtes de fin d'année, propices aux rassemblements, et en attendant de réduire leur dépendance en vaccins vis-à-vis de l'extérieur, l'OMS encourage les Africains à observer les gestes barrière. L'équation "gagnante" contre le SARS-CoV-2 étant la suivante : vaccination (quand elle est disponible) + gestes barrière. Le continent affronte "officiellement" sa quatrième vague. Au 14 décembre, il comptait près de 9 millions de cas et avait enregistré plus de 225 000 décès depuis le début de la pandémie.
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