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Génocide en Namibie: Hereros et Namas attendent toujours réparation

La 2e audience du procès intenté à New York par les Hereros et les Namas (groupes minoritaires de Namibie) contre l’Allemagne pour génocide, prévu le 21 juillet 2017, a été repoussé à octobre. Un génocide perpétré entre 1904 et 1908, qui a fait environ 100.000 morts. L’affaire remue la mémoire collective du pays. Tout en étant révélatrice de problèmes politiques et de discriminations ethniques.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
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Tombe de Samuel Maharero, chef des Hereros dans la lutte contre les Allemands à Okahandja, au nord de la capitale Windhoek, le 21 février 2017. (REUTERS - Siphiwe Sibeko)

Le massacre des Hereros et des Namas, dans ce qui était alors l’«Afrique du Sud-Est allemande» (1884-1915), est considéré par de nombreux historiens comme le premier génocide du XXe siècle, moins de quarante ans avant la Shoah. Longtemps, cet épisode meurtrier est resté ignoré. Tant en Europe qu'en Afrique, et même en Namibie. Au point que Shark Island, l’un des lieux où s’est déroulé le drame, parfois décrit comme un véritable «camp de concentration», est aujourd'hui un camping.

De leur côté, longtemps dans le déni, les autorités allemandes n’hésitent plus à employer le terme de «génocide». Sans qu’il s’agisse d’une reconnaissance formelle.

Négociations
En 2014, Berlin et Windhoek ont entamé des négociations sur une déclaration commune dans laquelle l’Allemagne s’excuserait officiellement pour la tuerie. Des discussions auxquelles ne participent pas les représentants des communautés hereros et namas. En mars, des informations avaient circulé selon lesquelles les autorités namibiennes s’apprêtaient à demander 30 milliards de dollars (28 milliards d’euros) de dédommagements. Peut-être le moyen de peser sur les négociations…

De son côté, l’Allemagne n’entend en aucun cas verser des dédommagements financiers demandés par les associations hereros et namas dans leur plainte déposée en janvier à New York. Pour Berlin, l’aide au développement «très généreuse» versée à la Namibie» (des centaines de millions de dollars) constitue «l’expression de (notre) responsabilité particulière», avec des montants «record» par habitant.

La plainte n’est pas la première du genre. En 2001, les représentants des deux communautés avaient déjà tenté d’attaquer devant la justice des Etats-Unis. Et ce en étayant leur procédure sur la loi appelée Alien Tort Statute qui permet à des tribunaux américains de traiter des dossiers étrangers. Ils avaient été déboutés.

Sarafia Komomungondo, habitante de Okakarara, en juin 2017 (AFP - GIANLUIGI GUERCIA)

Pauvreté
La position de Berlin fait bondir l'ex-ministre et député herero Kazenambo Kazenambo, qui exige la restitution de toutes les terres confisquées pendant l'ère coloniale. «Le génocide a provoqué des déplacements qui ont contraint notre population à vivre dans des zones sous-développées. Nous vivons (ainsi) les uns sur les autres», explique-t-il. «Aujourd'hui nous n'avons plus rien (...), les gens se couchent sans avoir mangé, alors des réparations nous feraient du bien», raconte Sarafia Komomungondo, une habitante octogénaire d’Okakarara, à 300 km de la capitale, lieu de l’un des massacres.

Mais s’ils en veulent aux Allemands, de nombreux Hereros et Namas incriminent plus encore leurs dirigeants. Preuve qu’au-delà de l’aspect mémoriel, l’affaire est largement une question politique.

Discrimination
Depuis son indépendance en 1990, la Namibie est dirigée sans partage par le Swapo (South West Africa People’s Organization), ancien mouvement de libération face à l’occupation sud-africaine. Un parti dominé par l'ethnie majoritaire du pays, les Ovambos. Les Hereros  (7,5% de la population) et les Namas (4,8%) les accusent d'ignorer leurs intérêts. «Nombre de voix critiques estiment que (le Swapo) a montré peu d’empressement à mettre en avant le génocide», fait valoir le New York Times.

«Nous ne sommes que le troisième ou quatrième groupe (ethnique du pays), alors nous sommes désavantagés. Nous sommes exclus, donc nous ne pouvons pas influencer les négociations ni leurs résultats», explique Ester Muinjangue, la directrice de la Fondation pour le génocide herero. Depuis des mois, les chefs traditionnels hereros et namas réclament un siège à la table des négociations entre Windhoek et Berlin, sur le modèle de celles qui ont réuni l'Allemagne, Israël et les communautés juives après 1945. Mais les deux capitales refusent catégoriquement.

Les autorités namibiennes balaient ce nouveau front judiciaire d'un revers de main, persuadé qu'il finira en impasse. «Ceux qui ont initié cette plainte ne viennent pas de notre camp politique», note leur très madré négociateur, Zed Ngavirue. «Il peut y avoir ici et là des discriminations car nous sommes une société plurielle, mais il faut comprendre qu'au final, un accord qui a du sens ne pourra être obtenu qu'au niveau des Etats car il faudra faire respecter des obligations», insiste le diplomate.

Vue d'un monument à Shark Island, camp de concentration durant le génocide, près de Luderitz en Namibie le 26 juin 2017. (AFP - GIANLUIGI GUERCIA)

Sans entrer dans les détails, il fait état de «progrès» dans les négociations. Et se dit persuadé que Berlin a intérêt à un accord. De son côté, le petit Etat d’Afrique australe y a sans doute, lui aussi, tout autant intérêt. Très dépendant de l’aide étrangère, il ne tient probablement pas à se couper de l’Allemagne, son plus gros bailleur de fonds…

De leur côté, les plaignants disent vouloir aller jusqu’au bout. «Pour nous, ce n'est pas une question d'argent, il s'agit de moralité et de dignité et nous ne cèderons jamais là-dessus», lâche l’ex-ministre Kazenambo.

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