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«L'Oeil du cyclone»: les ex-enfants soldats, des bourreaux comme les autres?
«L'Oeil du cyclone» a raflé trois prix au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) en 2015. Le film du Burkinabè Sékou Traoré, adaptation de la pièce de théâtre éponyme, s'intéresse au sort des enfants soldats à travers le procès de l'un d'eux devenu chef de guerre. Entretien avec la comédienne Maïmouna N'Diaye qui incarne son avocate.
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Avant même que le procès de Dominic Ongwen, l'ancien commandant de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), ne démarre en 2016 à la Cour pénale internationale (CPI), le dramaturge Luis Marquès, installé en Côte d'Ivoire, avait imaginé le procès d'un enfant soldat. La pièce, créée en 2003, est devenue un film en 2015. Le duo d'acteurs - Maïmouna N'Diaye et Fargass Assandé - qui a porté l'oeuvre au théâtre la porte aussi au cinéma. Dans «L'Oeil du cyclone», la comédienne Maïmouna N'Diaye incarne ainsi l'avocate Emma Tou commise d'office à Blackshouam, interprété par Fargass Assandé, un chef rebelle accusé de crimes de guerre. Elle va risquer sa carrière et son équilibre familial pour défendre cet homme qui a tout d'un bourreau.
Dans la plupart des festivals où le film a été présenté, Maïmouna N'Diaye a souvent décroché le prix d'interprétation féminine pour une composition parfaitement maîtrisée. En 2015, elle est repartie avec le prix de la meilleure actrice au Fespaco, tout comme son partenaire à l'écran, Fargass Assandé, qui donne vie, avec brio, à un homme cruel au passé tourmenté. «L'Oeil du cyclone» est, quant à lui, reparti avec l'Etalon de bronze.
La question des enfants soldats est-elle une thématique à laquelle vous étiez sensibilisée avant la pièce de théâtre dont le film est une adaptation?
Je m’y suis intéressée davantage quand on a vu en débarquer dans l'ouest de Côte d'Ivoire (où la troupe Ymako Theatri dont elle fait partie et qui va jouer la pièce est installée), en 2002, tous ces enfants démobilisés venant des pays voisins. On n'avait plus besoin d’eux parce qu’ils étaient devenus trop grands, un peu désobéissants et réfractaires. Aujourd’hui, on les juge. Qui sont les victimes, qui sont les bourreaux? C’est la question que pose L’Oeil du Cyclone.
Quand nous travaillions nos personnages, nous avions beaucoup visionné les vidéos du HCR (l'Agence des Nations unies pour les réfugiés) où l’on voyait des enfants qui avaient déposé les armes. Il ne suffit pas de leur donner de l’argent pour qu’ils prennent le droit chemin. J'ai été marquée par le témoignage de l'un d'eux. Chaque fois qu’il dormait, il revoyait les personnes qu’il avait tuées. Et, pensant ne plus faire ces cauchemars, il s’est crevé les deux yeux. C’est encore pire ! Il voit désormais ses victimes en permanence.
Beaucoup veulent retrouver une vie normale mais ils ne peuvent pas y arriver seuls. Il faut mettre en place des mécanismes afin de les resocialiser et de leur réapprendre à vivre, car ils ont subi de profonds traumatismes dont on ne se remet pas aisément. L'Oeil du cyclone se déroule quelque part en Afrique mais les enfants soldats, il y en a partout dans le monde. Si on ne trouve pas de solution à ce problème, on court le risque d'avoir des jeunes et des adultes complètement perdus. C'est une bombe à retardement.
Le film démontre aussi que nous avons, d'une manière ou d'une autre, une responsabilité dans les conflits qui minent le continent. Aussi bien l'avocate Emma Tou, une bourgeoise qui semble loin de tout cet univers de violence, que le chef rebelle qu’elle défend...
Emma constate qu’elle vivait dans un monde parallèle à celui de cet homme, de la même génération qu’elle, qu’elle aurait même croisé dans son enfance. Lui a évolué dans la guerre et elle dans le luxe.
Emma va se rendre compte que les mêmes richesses qui lui ont permis de devenir avocate ont fait de lui un chef de guerre. Nous avons tous un téléphone portable mais c’est au détriment de la vie de certaines personnes qui creusent le sous-sol pour en extraire la matière première servant à fabriquer ce téléphone. Par soif de justice, d’équité et pour déculpabiliser, elle va accepter de défendre Blackshouam. Elle affronte ses démons et sa peur parce qu'elle a soif de justice. Car elle connaît les personnes dont il parle. Elle va par conséquent dénoncer un système mais également sa famille. Ce qui est très grave dans la culture africaine.
Ce film que l’on découvert en 2015 a mis deux ans pour être distribué. Et c’est une sortie française. Les cinéphiles africains n’auront peut-être jamais l’occasion de le voir au cinéma. Qu'en pensez-vous?
Cela me fait enrager. Je suis frustrée personnellement mais aussi pour toute l'équipe, des pères et des mères de famille qui ont travaillé d'arrache-pied pour que ce film voit le jour. C'est facile de dire que le cinéma africain ne marche pas quand il n'y a pas de dispositif permettant aux spectateurs puissent être informés de leur existence. Depuis deux ans que le film est disponible, les gens n'arrêtent pas de me demander où est-ce qu'ils peuvent le voir.
Nous sommes parvenus à programmer le film en Afrique de l'Ouest parce que quelqu'un s'est occupé d'aller voir les salles quand il y en avait. Parfois, il n'y a que l'Institut français (centre culturel français). Mais pour moi, un film n'est véritablement distribué que quand il sort en salles. Il faudrait peut-être que des gens se lancent dans la distribution de films africains.
Un distributeur vient de s'installer à Ouagadougou, au Burkina Faso. Je lui souhaite de réussir parce que c'est ce dont nous avons besoin, que quelqu'un croit en notre cinéma, prenne nos films sous le bras et se battent pour qu'ils soient vus.
«L'Oeil du cyclone» de Sékou Traoré avec Maïmouna N'Diaye et Fargass Assandé
Sortie française: 22 novembre 2017
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