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Mauritanie: les femmes violées passibles de prison selon Human Rights Watch
Les femmes et filles victimes de viol en Mauritanie risquent de se retrouver en prison pour… relations sexuelles hors mariage. Dans un rapport publié le 5 septembre 2018, l’organisation Human Rights Watch dénonce une double peine et exhorte les autorités à instaurer un «moratoire immédiat» sur les poursuites et la détention des victimes pour «zina» et à libérer celles détenues dans ce cadre.
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«Ils m’ont dit de garder le silence.» C’est sous ce titre criant de vérité que l’organisation de défense des droits de l’Homme, Human Rights Watch (HRW), dénonce la double peine que doivent subir les femmes et les filles victimes de viols ou d’agressions sexuelles en Mauritanie.
La criminalisation des relations sexuelles hors mariage
Dans son dernier rapport sur ce pays, HRW raconte l’histoire de Rouhiya qui fuit en juillet 2016, à l'âge de 15 ans, le domicile de son père qui abusait d’elle sexuellement.
Elle trouve refuge chez un jeune de 23 ans qui finit par l’enfermer, la droguer et la violer en collectivité avec trois autres hommes. Après deux semaines de captivité, la police la retrouve et la ramène à son domicile.
Dans ses déclarations, elle révèle qu’elle connaissait un des agresseurs. Les policiers l’arrêtent alors et l’envoient à la prison des femmes en l’accusant d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage.
«Je leur ai demandé: "Mais pourquoi? Qu’est-ce que j’ai fait de mal?"», a rapporté Rouhiya. «Ils m’ont dit de garder le silence et de ne pas poser de question.»
Suite à des entretiens avec 12 filles et 21 femmes, le rapport de HRW souligne en effet les obstacles institutionnels, juridiques et sociaux que rencontrent les survivantes à des violences sexuelles les dissuadant de rapporter les faits à la police.
Celles qui se décident à porter plainte se retrouvent en prison en raison de la législation sur la «zina» ou la fornication, qui criminalise toute relation sexuelle hors mariage.
Violée, elle est remise à la police par son père
Autre témoignage, celui de Mariama, âgée de 20 ans et violée par un chauffeur de taxi sans oser en parler à ses parents. «Alors que j’étais enceinte de huit mois, ma mère s’en est rendu compte et m’a demandé comment c’était arrivé. C’est à ce moment-là que je lui ai raconté le viol», a déclaré Mariama.
«Mon père s’est mis dans une rage folle. Il m’a amenée au commissariat et a dit aux policiers que sa fille devait être enfermée parce qu’elle avait couché avec un homme et qu’il ne la voulait plus chez lui», a-t-elle ajouté.
Aux violences viennent donc s’ajouter des traumatismes supplémentaires, des punitions et surtout un manque de services adéquats d’aide aux victimes, rapportent HRW, achevant de décourager les femmes de se tourner vers la justice.
«Heureusement, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles» rapporte pourtant l’ONG de défense des droits de l’Homme. Lors des recherches effectuées pour son rapport, la chercheuse de HRW, Candy Ofime, a rencontré non seulement des survivantes de ces violences, mais aussi «un réseau riche et dynamique de personnes qui consacrent leur temps, leur énergie et leur vie à aider ces femmes ou ces filles».
Aminetou Mint Ely a à son actif vingt ans d’aide aux survivantes de viol dans le pays. Son organisation, l’Association des femmes chefs de famille, propose une aide financière pour les soins médicaux, un soutien psychologique et une assistance juridique. Elle aide les survivantes de viol à réintégrer la société, à trouver du travail et à reconstruire leur vie.
«(Une grande partie des) victimes vient des familles les plus démunies, des communautés les plus pauvres, les plus marginalisées, avec notamment parmi elles des survivantes de l’esclavage ou de ses conséquences», a-t-elle expliqué à Candy Ofime. Son association offre également des cours d’alphabétisation et s’efforce d’aider les femmes à sortir de la pauvreté.
Les Mauritaniennes attendent l'adoption d'une loi contre les violences basées sur le genre
D’autres femmes telles que l’artiste afro-mauritanienne Amy Sow ou Dioully Oumar Diallo mènent elles aussi le combat pour faire tomber les tabous. L’une par l’art, l’autre par une formation à l’auto-défense et la mise en place d’une messagerie d’urgence sur téléphones portables.
Pour Dioully Oumar Diallo, le message est très simple: «Il ne faut pas qu’elles aient peur, elles ont le droit d’être capables de se défendre, parce que leur corps leur appartient.»
Dans son rapport, Human Rights Watch interpelle les autorités mauritaniennes sur la nécessité de protéger les femmes et les filles contre les violences et sur les obligations internationales relatives aux droits humains.
L’ONG appelle à l’instauration d’un «moratoire immédiat» sur les poursuites et la détention des personnes pour «zina» et à la libération sans tarder de toutes les personnes poursuivies pour «zina» et actuellement détenues.
Alors que «chaque année des centaines et des centaines de viols ne sont pas élucidés, estime la journaliste et activiste Houleye Kane, les femmes mauritaniennes attendent toujours l’adoption d’un projet de loi contre les violences basées sur le genre, parce que leur sécurité en dépend». Un projet qui dort toujours dans les tiroirs.
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