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RDC: l’Abbé Arsène Munembwe lance un appel pour les enfants soldats au Nord-Kivu

Administrateur général de Caritas Goma, l’Abbé Arsène a créé un centre d’accueil pour les enfants soldats dans la commune de Walikalé au Nord-Kivu (République démocratique du Congo). Apôtre inlassable de la paix, il a réussi à faire sortir de la forêt près de 10.000 jeunes enrôlés de gré ou de force par les groupes armés. Mais leur situation reste précaire.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le père Arsène s'adresse à trois groupes armés qu'il tente de réconcilier à Walikalé, au Nord-Kivu (RDC), en novembre 2015. (Caritas)

Père Arsène, pouvez-vous nous faire d’abord un point sur la situation au Nord-Kivu? 
Les groupes armés sont encore là, pas avec la même intensité qu’auparavant, mais le gros des troupes est encore présent. Avant le génocide au Rwanda, il existait déjà des tensions avec les communautés d’expression rwandaise. Les tensions se sont renforcées avec l’arrivée de réfugiés hutus et de miliciens Interhamwé, devenus plus tard les FDLR. Ces gens-là sont dans la forêt équatoriale du Congo, devant une population fragile, abandonnée par un Etat qui n’existe presque pas, et les groupes se sont renforcés. 

De quoi vivent ces groupes armés? 
Ils vivent sur le dos de la population. Tous ces groupes armés installés dans les villages où il n’y a pas d’Etat rançonnent les gens. Et puis dans le Nord-Kivu, il y a des minerais partout. Les miliciens les exploitent, ou plutôt font travailler les gens pour leur compte. Le FDLR, qui a envahi toute la partie Est de la RDC, est resté, et la cohabitation est difficile avec les Congolais. Surtout après les exactions, les violences terribles qu’ils ont commis. La population s’est révoltée, elle s’est organisée pour les chasser. Elle s’est elle-même entourée de groupes armés qui ne sont pas des servants de messe. A la fin, ces mêmes groupes armés exploitent la population avec la même violence que les FDLR. Je parle des Maï Maï, qui sont à l’origine des groupes d’auto-défense.

Ajoutez à cela, les violences commises par les Rwandais lorsqu’ils viennent nous envahir pour poursuivre le FDLR. Tout cela a des retombées négatives sur la population. Et la violence n’est pas terminée, parce que même si le Rwanda n’a plus d’armée sur le territoire congolais, ce qui reste du FDLR est toujours là. La Monusco et le gouvernement disent qu’ils font tout pour sécuriser la région, mais leur échec est patent. Les groupes armés continuent à s’affronter aux FDLR. Ils continuent aussi à s’affronter à l’armée congolaise et continuent de maintenir un climat de violence. 

Tous les groupes armés enrôlent-ils des enfants soldats? 
Oui, tous, sans exception. Quand ils pillent les villages, ils prennent des jeunes gens, y compris des enfants. Ils leur donnent d’abord le butin, les munitions à transporter. Mais plus tard, ils les utilisent comme forces combattantes. Et ils sont plus violents que les aînés parce que, une fois drogués, ces enfants n’ont plus d’âme. Ils tuent, ils violent, mais ils ne savent pas ce qu’ils font. Le chef leur dit: «Tue», et ils tuent. Il y a beaucoup de filles aussi, utilisées comme esclaves sexuelles. Dans la forêt, qui surveille?

Les chefs, quand ils arrivent dans les villages, cherchent les belles filles. Ils menacent les familles et prennent les femmes. Les chefs peuvent avoir trois ou quatre femmes. Le milicien Cheka en avait trois quand je suis allé le voir. Ils prennent même des filles mineures. Qui peut les en empêcher? Maintenant, avec la nouvelle donne internationale, les groupes armés commencent à avoir peur d’être jugés par la Cour pénale internationale, alors parfois ils nous livrent les enfants. Il y en a d’autres qui fuient les violences, la façon dont ils sont traités par les groupes armés. 

Le père Arsène, les groupes armés et les Casques bleus de la Monusco à Walikalé, au Nord-Kivu, en novembre 2015. (Caritas)

On a une idée du nombre d’enfants soldats qui se trouvent encore dans la forêt? 
Non, beaucoup ont été libérés, mais on ne peut avoir un chiffre exact. Certains groupes disent qu’ils n’ont plus d’enfant, mais quand on y va, on en trouve encore. 

Quelle est votre action? Comment faites-vous pour récupérer ces enfants? 
D’abord, il y a une sensibilisation dans les médias. Alors, les groupes laissent parfois les humanitaires venir chercher ces enfants. D’autres les laissent partir. Certains enfants s’enfuient. On les récupère dans ce qu’on appelle les CTO, les Centres de transit et d’orientation. Là, nous avons des équipes pour accueillir ces enfants, les encadrer pendant trois ou six mois. On fait participer des psychologues. Ensuite, on essaie de les ramener dans leurs familles respectives, qui sont loin parfois. Ou bien dans des familles d’accueil appuyées par Caritas, en attendant que l’enfant retrouve sa famille. Mais comme ils sont nombreux, on ne peut pas les aider tous, nos moyens sont limités. 

Dans quel état ces enfants vous arrivent-ils? 
Ils sont perdus, traumatisés, certains en mauvaise santé. Et il faut les accompagner. Les lieux les plus indiqués pour accueillir les enfants sont les CTO, parce qu'il y a non seulement la protection, la prise en charge physique, mais aussi psychologique. Mais comme nos moyens sont limités, nous avons des difficultés pour les garder longtemps. Quand on les ramène chez eux, ils sont censés aller mieux psychologiquement et physiquement. Mais parfois les familles sont pauvres, elles n’ont pas les moyens de s’en occuper. Alors, ils retournent dans la rue et dans les groupes armés.

Il y a des cas où les enfants viennent de villages qui se trouvent encore sous l’influence des groupes armés. Ce qui fait qu’on les garde plus longtemps. Mais nous sommes obligés de trouver d’autres moyens financiers. C’est une chose que je veux souligner parce que ce sont des jeunes gens qui ont été traumatisés, violés. Si vous les amenez directement dans leur famille, c’est un danger, une bombe à retardement. Aujourd’hui, la population souffre beaucoup de ces ex-combattants démobilisés, revenus dans les villages. Car habitués à vivre dans la facilité, à utiliser les armes et la violence, la plupart de ces jeunes sont dans la rue. Il faut chercher un mécanisme pour les encadrer, leur donner les moyens de s’intégrer, parce qu’il suffit d’un nouveau soulèvement pour qu’ils retournent dans la forêt. L’Est est l’entrée de toutes les guerres, et il y a une culture qui s’est créée. Il y a des gens qui pensent qu’avec l’arme, on peut vivre mieux. Il y en a qui font des kidnappings, qui braquent des commerçants, et avec ça, ils se paient des maisons. Enlever cette culture dans la population nécessite un gouvernement fort, ce qui n’est pas le cas en République démocratique du Congo. 

Ceux que vous avez récupérés, à qui vous avez donné une formation, arrivent-ils à se réinsérer? 
Nous avons essayé d’encadrer certains démobilisés dans la construction de routes. Même leurs chefs nous disent: «Monsieur l’Abbé, vraiment, c’est ça la voie!» Les groupes armés nous disent qu’ils veulent bien aider les jeunes gens à quitter la forêt, mais ils ne savent pas quel jeu joue le gouvernement par rapport au Rwanda. S’ils se démobilisent, les FDLR vont continuer à nous envahir, et le Rwanda peut en profiter encore pour lancer une opération au Congo. C’est ça le dilemme. Du coup, les groupes armés continuent de se renforcer, et certains politiciens continuent à les conforter en leur disant que demain, nous serons encore envahis.

Mais en attendant, là où ils ont abandonné les armes, là où il y a une sorte d’harmonie avec les groupes armés qui ne font pas beaucoup d’exactions, nous pouvons un tant soit peu chercher comment encadrer les démobilisés. Il ne s’agit pas de les encadrer un mois, deux mois. Si nous réussissons à avoir un programme à long terme d’une année – entre temps, nous en profiterons pour faire de la sensibilisation, de la formation –, alors nous aurons gagné. Par exemple, j’ai mis en place un petit projet de routes et de construction de ponts. J’ai dû recourir aux démobilisés en priorité. Vous auriez dû voir avec quel enthousiasme ils se sont engagés. Le projet a duré trois mois, mais si je l’avais eu pendant une année, j’aurais gagné. Même leur chef m'a dit: «Ecoutez Monsieur l’Abbé, vraiment, moi, je vais vous vendre les planches pour le pont; c’est très bien des projets comme ça!» Mais nous n’avons pas pu mener ce projet à long terme faute de moyens. Quand je vois les sommes que la communauté internationale, la Banque mondiale, versent à l’Etat congolais, et qui ne donnent pas de résultats! 

Vous voulez dire que des organisations comme la vôtre sont plus efficaces que de gros organismes internationaux? 
La preuve est là! Avec le peu de moyens dont nous disposons, nous avons des résultats palpables, parce que nous n’avons pas une lourde administration, et l’argent ne passe pas par beaucoup de mains; il va directement aux bénéficiaires. Et nous utilisons la main d’œuvre locale, pas des expatriés qui vous coûtent triplement cher! J’ai fait avec peu de moyens une cinquantaine de kilomètres de route et des ponts. Au bout de six mois,avec le peu de moyens dont nous disposons et l'aide de SOS enfants, nous avons des résultats palpables !

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