Soudan : 15 ans après l'horreur, des villageois vivent encore dans la peur au Darfour
Profitant d'une accalmie de la guerre au Darfour, les habitants de Shattaya ont pu retourner dans leur village, mais ils ont tout à reconstruire, selon le journaliste de l'AFP qui s'est rendu sur place.
Dans le village de Shattaya, au Darfour, les habitants doivent reconstruire. Ainsi, Souleiman Yakoub se souvient, comme si c'était hier, de ce jour où il a été pendu et laissé pour mort en 2004 par des miliciens arabes ayant attaqué son village soudanais du Darfour et mis le feu aux maisons. "Les villageois ont été exécutés devant mes yeux", raconte M. Yakoub, 59 ans, habitant de ce village attaqué par la milice des Janjawids en février 2004, au plus fort du conflit dans cette région de l'ouest du Soudan ravagée par la guerre. "J'ai été menotté et pendu à un arbre, mais j'ai survécu", ajoute-t-il, montrant la cicatrice toujours visible sur son cou. "On ne se sent toujours pas en sécurité".
Selon les villageois, 1800 personnes ont été tuées lorsque des hommes armés ont attaqué Shattaya, montés sur des chevaux, des chameaux et des motos, armés de fusils et de lance-roquettes.
Les violences au Darfour ont éclaté en 2003 quand des minorités ethniques, s'estimant marginalisées, se sont révoltées et ont pris les armes contre le gouvernement central soudanais aux mains des arabes et dirigé par le président déchu Omar el-Béchir.
Pour réprimer cette rébellion, Khartoum a formé une milice armée, les Janjawids, recrutant parmi des nomades en majorité arabes. Ces miliciens ont été accusés de mener une politique de la terre brûlée, pillant, incendiant et violant dans les villages suspectés de soutenir les rebelles.
Des villageois de retour à Shattaya
Environ 300 000 personnes sont mortes dans ce conflit, qui a également fait 2,5 millions de déplacés, selon l'ONU. En 2007, des milliers de Casques bleus ont été déployés au Darfour dans le cadre d'une mission conjointe ONU-Union africaine, mais leur nombre a diminué depuis mi-2018, à la faveur d'une baisse des violences.
Comme Yakoub, beaucoup de villageois ont profité de l'apaisement pour revenir à Shattaya, après des années passées dans des camps de déplacés insalubres.
La Cour pénale internationale (CPI) a condamné en 2009 et 2010 Omar el-Béchir pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide pour les violations commises au Darfour, qui incluent les atrocités commises à Shattaya. Après avoir régné d'une main de fer pendant trois décennies, M. Béchir a été destitué en avril 2019 par l'armée, au terme de près de six mois de manifestations populaires. Il est actuellement jugé à Khartoum, mais uniquement sur des accusations de corruption.
Les nouvelles autorités soudanaises ont promis parallèlement de ramener la paix au Darfour, ainsi que dans les deux Etats du Nil Bleu et du Kordofan-Sud (sud).
Des hommes armés rôdent toujours
Des pourparlers de paix entre Khartoum et les rebelles des trois Etats devaient reprendre cette semaine à Juba, au Soudan du Sud, après un premier round en septembre. Quinze ans après, les traces du conflit continuent de défigurer Shattaya, dont les habitants sont en majorité issus de l'ethnie africaine four. La plupart de ses maisons restent détruites, obligeant les résidents de retour à se construire des abris de fortune, a constaté un journaliste de l'AFP.
Cette population affirme en outre que des hommes armés rôdent toujours et elle se plaint que les terres confisquées par les pasteurs arabes ne leur ont pas été rendues. C'est le cas de Mohamed Izhak, 29 ans, qui affirme que sa famille est propriétaire de champs d'agrumes non loin du village. Il est rentré à Shattaya l'an dernier, après avoir vécu plusieurs années dans le camp de déplacés de Kalma parmi des milliers d'autres Darfouris.
Des pasteurs arabes sur les terres de familles
Son père, ses deux frères et trois oncles ont tous été tués lors de l'attaque en 2004, précise-t-il, depuis l'abri de plastique et d'herbes sèches qu'il s'est construit. Haj Abdelrahman vit lui dans la seule pièce de sa maison qui tient encore debout. A son retour à Shattaya, cet homme de 63 ans a trouvé des "pasteurs arabes" sur les terres de sa famille.
"La ferme a été détruite, ils ont coupé les arbres. Je ne peux rien leur dire car ils sont armés", dit-il à l'AFP. "Ils ne volent plus notre bétail, mais tant qu'ils seront armés, nous ne nous sentirons pas en sécurité".
En attendant, beaucoup de villageois plantent des légumes devant leurs maisons détruites. C'est le cas de Siddiq Youssef, qui n'ose pas se rendre dans sa ferme située "juste en dehors du village". "Tant que ces miliciens ne sont pas désarmés, nous ne connaîtrons pas la paix", dit-il.
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