Soudan : el-Béchir peut-il maintenant être jugé par la CPI pour son action au Darfour?
Le président soudanais Omar el-Béchir, renversé par l’armée et remplacé par un "conseil militaire de transition", a été officiellement arrêté et placé en détention dans un lieu tenu secret le 11 avril 2019. Sa destitution soulève la possibilité d’un éventuel jugement devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye.
Pourquoi est-il recherché ?
Le Conseil de sécurité de l'ONU a mandaté le procureur de la CPI en mars 2005 pour enquêter sur le Darfour, province de l'ouest du Soudan. Vaste comme la France, cette région est secouée depuis 2003 par un conflit opposant les forces soudanaises à des rebelles de minorités ethniques, lesquelles s'estiment marginalisées. Les violences ont fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l'ONU.
Dans le cadre de son enquête, la Cour a estimé qu'Omar el-Béchir, ainsi que "d'autres dirigeants soudanais de haut rang", avaient "adopté un plan commun visant à mener une campagne anti-insurrectionnelle" contre plusieurs groupes armés s'opposant au gouvernement soudanais au Darfour.
Quelles charges sont retenues contre lui ?
Jamais inquiété jusqu'à présent, Omar el-Béchir est visé par deux mandats d'arrêt internationaux émis par la CPI en 2009 et 2010 pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre qui auraient été commis au Darfour entre 2003 et 2008, au moins. Parmi les chefs d'accusation retenus contre lui figurent des crimes tels que meurtre, viol, torture, pillage et transfert forcé. La CPI a notamment conclu qu'il y a "des motifs raisonnables de croire qu'Omar el-Béchir a agi avec l'intention spécifique de détruire" différents groupes ethniques.
Il est le premier président en exercice à avoir fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la Cour et la première personne à avoir été accusée de génocide. L’ancien chef d’Etat, 75 ans, a toujours fermement nié ces accusations.
Pourquoi a-t-il, jusque-là, échappé à la justice internationale ?
Créée en 2002 pour juger des pires atrocités commises dans le monde, la CPI ne dispose pas de sa propre force de police pour arrêter les suspects qu'elle recherche. Cet élément constitue un obstacle continuel pour la Cour. Laquelle dépend ainsi du bon vouloir des Etats concernant l'exécution des mandats d'arrêt qu'elle publie.
Plusieurs Etats membres ont d'ailleurs refusé d'arrêter Omar el-Béchir, qui a continué de voyager dans une dizaine de pays sans être inquiété, malgré les appels des défenseurs des droits de l'Homme à l'interpeller. Des voyages principalement effectués dans des pays de la région, notamment en Jordanie. En décembre 2017, il s’était aussi rendu à Damas en Syrie, où il était arrivé dans un Tupolev "aux couleurs de la Fédération de Russie", notait alors Le Monde. L’homme est ainsi "un pivot de l’influence russe en Afrique", analysait le quotidien. El-Béchir s’est aussi rendu en Afrique du Sud.
Dans deux procédures distinctes, la CPI a jugé en 2017 que Pretoria et Amman avaient manqué à leurs obligations en décidant de ne pas arrêter el-Béchir lorsqu'il se trouvait sur leur territoire. La Jordanie a fait appel de cette décision.
Que va-t-il se passer maintenant ?
La Jordanie et l'Afrique du Sud avaient toutes deux avancé l'argument de l'immunité présidentielle afin de justifier leur décision de ne pas arrêter el-Béchir, alors chef d'Etat en exercice. Cet argument ne jouera désormais "plus aucun rôle", estime Christophe Paulussen, expert en droit pénal international à l'Institut Asser de La Haye. Pour ce juriste, la destitution d'Omar el-Béchir devrait, en théorie, augmenter les opportunités de son transfèrement vers la CPI. "Les chances que le nouveau dirigeant (qui va remplacer Béchir) souhaite coopérer avec la CPI sont évidemment plus grandes que par le passé", bien que le futur du président déchu reste plus qu'incertain, a-t-il dit à l’AFP.
Son avenir dépend à présent des nouveaux dirigeants du pays, abonde Frederiek de Vlaming, chercheuse en droit pénal international à l'Université d'Amsterdam. "Ils pourraient même décider de le juger" au Soudan, auquel cas la CPI n'aurait pas son mot à dire, prévoit la chercheuse néerlandaise.
Une célébrité comme l’acteur américain Georges Clooney, qui s’est engagé de longue date pour la répression des crimes de guerre commis au Darfour, a demandé le 11 avril que le président déchu soit "extradé et jugé" pour "génocide et crimes de guerre" commis dans la région soudanaise. Il a estimé que la destitution d’Omar el-Béchir était un "premier pas vers un vrai changement". Mais il a appelé à "démanteler" l’ensemble de son système.
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