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Sud-Kordofan et Nil Bleu, les oubliés de la paix de 2005 entre les deux Soudans

C'est la guerre depuis 2011 dans les états du Sud-Kordofan et du Nil Bleu au Soudan. Le conflit est à l'origine d'une crise humanitaire sans précédent. Les raids militaires menés par Khartoum obligent les populations à trouver refuge dans les monts Nuba, dans le Sud-Kordofan. Un air de déjà-vu dans ces montagnes où s'est déroulé un conflit qui a duré 21 ans.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
2 mai 2012. Un enfant pleure dans les rochers où il est abrité dans le village de Tess, dans la région des monts Nuba (Sud-Kordofan), au Soudan. Le territoire est aux mains des rebelles et les populations trouvent refuge dans les montagnes pour fuir les raids aériens de l'armée soudanaise. 
 (REUTERS/Goran Tomasevic)

Le président soudanais Omar el-Béchir se dit prêt à négocier avec les rebelles qui combattent son régime dans le Sud-Kordofan, le Nil Bleu et au Darfour. Preuves de sa bonne foi : un cessez-le-feu de deux mois et l'amnistie pour les rebelles. L'annonce a été faite le 20 août 2015, à la veille de la rencontre du médiateur de l'Union africaine, Thabo Mbeki, avec les chefs de la rébellion du Mouvement populaire de libération du Soudan - Nord (SPLM - N). Les dernières négociations, menées déjà sous les auspices de l’Union africaine, ont échoué.

C'est avec scepticisme que la proposition a été accueillie par l'opposition soudanaise. Les leaders du SPLM-N ont d'ailleurs invité les Etats-Unis à maintenir les conditions posées à une normalisation de leurs relations avec Khartoum. Depuis 2004, ce processus est lié au retour de la paix au Darfour, explique Sudan Tribune. En 2011, la résolution du conflit dans les états du Sud-Kordofan et du Nil Bleu est devenue une condition supplémentaire. 
 
Si le drame des populations dans la province occidentale du Darfour est connu, celui des habitants du Sud-Kordofan et du Nil Bleu l'est beaucoup moins. Pourtant les Nations unies et les organisations de défense des droits de l’homme ne cessent de sonner l’alarme depuis le début des hostilités. L'armée soudanaise a été, encore une fois, accusée de commettre «des crimes de guerre contre la population civile au Kordofan du Sud», dans un récent rapport d’Amnesty International. 

Capture d'écran d'une vidéo de l'ONG International Crisis Group («South Sudan - Sudan : the neighbours») (International Crisis Group )

Quatre ans de guerre et de crise humanitaire 
La rébellion au Sud-Kordofan éclate le 5 juin 2011, à la suite des élections générales d’avril 2010 et du scrutin gouvernatorial de mai 2011. Les leaders du SPLM - N accusent alors le régime de Khartoum de fraude électorale.

Yasser Arman, actuel secrétaire général du SPLM-N, se présente à la présidentielle de 2010 qu’il finit par boycotter pour manque de transparence. Il en sera de même pour Abdulaziz Al-Hilu, ancien gouverneur adjoint et chef de la guérilla du SPLM-N. Le chef militaire est candidat en 2011 au poste de gouverneur du Sud-Kordofan. Le scrutin sera remporté par le candidat du parti au pouvoir, le Parti du congrès national (NPC) : à l'instar du président Omar el-Béchir, Ahmed Haroun est recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité dans la province occidentale du Darfour.

L’insurrection s’étendra ensuite à l’état voisin du Nil Bleu en septembre 2011. Le SPLM-N, qui a pris les armes dans ces deux états, est formé d’anciens combattants du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) à la tête du nouvel Etat indépendant du Sud du Soudan. La rébellion est aussi à l'origine de la création du Front révolutionnaire du Soudan (SRF) qui réunit, entre autres, des groupes rebelles du Darfour, du Sud-Kordofan et du Nil Bleu. 

2 mai 2012. Un rebelle du SPLA-N près du village de Jebel Kwo village, dans les monts Nuba au Sud-Kordofan (REUTERS/Goran Tomasevic)


«Soudanais avant d'être Arabes»
Le Sud-Kordofan est majoritairement peuplé par les Nuba, du nom de la chaîne de montagnes qui occupe le territoire. Le terme renvoit à un ensemble de tribus non arabes, d’origine africaine, pour la plupart chrétiennes ou animistes. La rébellion entend défendre les Nuba en préservant la diversité culturelle au Soudan. «Notre but ultime est de changer le régime à Khartoum, pour créer un gouvernement démocratique, qui permet un large partage du pouvoir, une Constitution qui est acceptée par tous les Soudanais pour avoir un Etat viable, confiait Malik Agar, le président du SPLM-N et du SRF, dans un entretien accordé en 2012 à RFI et à France 24.

«Il faut que nous soyons Soudanais avant d’être Arabes. Il faut être Soudanais avant d’être Funj ou Nouba.
Et Malik Agar de conclure : «On ne peut pas créer un Etat islamique au Soudan, cela a créé le chaos pendant les cinquante dernières années. Et cela a d’ailleurs abouti à la sécession du Soudan du Sud. Vous ne pouvez pas construire le Soudan sur l’ethnicité».
 
Au Soudan du Sud, au Darfour ou au Sud-Kordofan et dans le Nil Bleu, des décennies de discrimination imposées par le pouvoir central, musulman et arabophone, aux populations noires ont produit, à chaque fois, une guerre civile. La situation au Sud-Kordofan et au Nil Bleu résulte de la fin d’un conflit qui a abouti à la création du Soudan du Sud. Le régime d'Omar el-Béchir a d'ailleurs toujours accusé Juba de soutenir ses anciens alliés. 

Des revendications occultées
En 2005, un accord (Comprehensive peace agreement, CPA) met fin à 21 ans de conflit entre Kharthoum et le SPLM. D'abord, il créée de toutes pièces le Sud-Kordofan. La nouvelle province sera habitée par les tribus noires des monts Nuba et les populations arabes du Kordofan-Ouest. C'est une première déconvenue pour l'élite nuba. Il faudra attendre 2013 pour que la question soit finalement evacuée. Au 1er janvier, la région du Kordofan-Ouest est rétablie.
 
Ensuite, les négociateurs du CPA ont accepté de retarder le règlement des questions territoriales concernant trois zones frontalières, entre le Nord et le Sud, et riches en pétrole : la région d’Abyei, les monts Nuba au Sud-Kordofan et le Nil Bleu. L'or noir est une ressource vitale pour Kharthoum qui a en perdu une grande partie avec l'indépendance du Soudan du Sud (le Sud-Kordofan est aujourdhui le principal pourvoyeur de pétrole du Soudan). Abyei a cependant l’opportunité de se prononcer sur son statut - rapprochement ou non avec le Soudan du Sud - dans un délai de six ans, soit en 2011.

Les soldats de l'armée soudanaise brandissent le drapeau soudanais le 20 mai 2014 après avoir repris la zone de Daldako, à l'est de la capitale du Sud-Kordofan, Kadugli.  
 (REUTERS/Mohamed Nureldin Abdallah )


Mais aucun référendum officiel ne sera organisé. En 2013, les populations finissent par organiser unilatéralement une consultation dont le résultat valide un rattachement au Soudan du Sud. Quant aux Sud-Kordofan et au Nil Bleu, anciens épicentres des combats entre le Nord et le Sud du Soudan pendant la longue guerre civile, ils appartiennent de facto au Soudan.

In fine, «de nombreux Nuba ont le sentiment d’avoir été abandonnés par leurs anciens camarades du sud, aux côtés desquels ils ont combattu durant la guerre civile», explique Irin dans un article publié en 2011 au début du conflit. «L’Accord de paix global de 2005 a mis en place des référendums (…). Cependant, le Sud-Kordofan, ainsi que l’Etat du Nil bleu sur la frontière nord, n’ont eu droit qu’à des "consultations populaires", un processus assez vague pour demander aux gens ce qu’ils souhaitaient pour l’avenir. Beaucoup pensent que cela n’a pas permis de garantir les droits pour lesquels ils s’étaient battus. Depuis le début des affrontements, (Ahmed Haroun) a suspendu le processus (de consultation).» Ce dernier aurait permis de revoir les dispositions du CPA et d'envisager un rapprochement avec le Soudan du Sud.

Sans témoins ou presque
Lors d'une rencontre début août 2015, les dirigeants du SPLM/A-N ont fait savoir dans un communiqué que la seule manière de mettre fin à la crise humanitaire est l'arrêt des raids aériens menés par Khartoum et l'ouverture de corridors humanitaires. Dès les premières heures du conflit au Sud-Kordofan, les ONG n’ont pas eu l’autorisation de Khartoum d'intervenir dans la région. Le Soudan reste intransigeant sur la question. En 2012, interrogé par Al Jazeera, un conseiller du président Omar el-Béchir expliquait que Khartoum ne saurait prendre le risque de voir les rebelles se servir des populations civiles comme boucliers.



La position du régime soudanais a peu évolué en trois ans. En juin 2015, rapporte l’AFP, Amnesty International soulignait que «les raids aériens des forces soudanaises sur le (Sud-Kordofan) pourraient s'inscrire dans le cadre d'une tentative d'affamer la population de cet Etat». L’ONG observe ainsi une «intensification des attaques pendant les moments cruciaux de l'activité agricole, semailles et moisson».

Selon Amnesty International, «environ un tiers de la population du (Sud-Kordofan), qui s’élève approximativement à 1,4 million de personnes, a été déplacé et vit dans des conditions précaires et dangereuses». Pour le SPLM-N, négocier avec Khartoum signifie mettre fin à la crise humanitaire et trouver une solution globale qui fera taire les armes à la fois au Sud-Kordofan, dans le Nil Bleu et au Darfour.

Dans les Soudans, la paix demeure inaccessible. Au Soudan du Sud, les acteurs d'une autre guerre, fratricide cette fois-ci, ne sont toujours pas parvenus à un accord en dépit de la date butoir du 17 août 2015 qui leur avait été fixée. 

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