Ce que l'on sait de la situation au Soudan après la destitution du président Omar el-Béchir
Celui qui dirigeait le Soudan depuis trente ans a été destitué par l'armée jeudi. Un "conseil militaire de transition" prend le relais pour deux ans. Mais les manifestants semblent déterminés à ne pas laisser les généraux maintenir leur emprise sur le pouvoir.
Omar el-Béchir devait célébrer à la fin juin son trentième anniversaire au pouvoir. La fête n'aura jamais lieu. Le dictateur soudanais a quitté le pouvoir, jeudi 11 avril, sous la pression populaire. L'armée reste aux commandes du pays puisqu'un "conseil militaire de transition" va prendre le relais pour deux ans, mais les manifestants espéraient autre chose. Franceinfo vous résume la situation sur place, où quarante-neuf personnes sont mortes depuis décembre 2018 et le début de la contestation, selon un bilan officiel.
Omar el-Béchir renversé
"Vous n'êtes plus le président de la République." C'est au saut du lit, jeudi matin, que des officiers de l'armée ont informé Omar el-Béchir. "Le chef de l'Etat a été démis, placé sous bonne garde, sous surveillance, dans sa résidence", rapporte Le Figaro. La radio d'Etat et les télévisions ont aussitôt interrompu leurs programmes, et les manifestants ont commencé à fêter leur victoire dans les rues du centre de la capitale Khartoum. "Le régime est tombé !", pouvait-on notamment entendre.
Au pouvoir depuis un coup d'Etat en 1989, Omar el-Béchir dirigeait ce pays d'Afrique subsaharienne d'une main de fer. "Si la mobilisation a commencé le 19 décembre 2018 après le triplement du prix du pain dans le cadre d'une politique de rigueur, c'est le 6 avril 2019 que les choses ont réellement basculé et que les manifestants ont commencé à s'installer devant le siège de l'armée", détaille Le Monde.
Une transition militaire pour deux ans
Mais la joie des manifestants est vite retombée. Aussitôt après avoir annoncé à la télévision d'Etat "la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr" d'Omar el-Béchir, le ministre de la Défense, Awad Ahmed Ibn Auf, a expliqué qu'un "conseil militaire de transition" allait désormais prendre le relais pendant deux ans, et que c'était lui qui allait en prendre la tête. Son adjoint n'est pas n'importe qui : il s'agit du chef d'état-major de l'armée, le général Kamal Abdelmarouf.
Ce n'est pas tout : le ministre de la Défense a également annoncé que l'espace aérien allait fermer pour 24 heures. Tout comme les frontières terrestres, et ce, jusqu'à nouvel ordre. Un couvre-feu a aussi été ordonné dans la foulée et l'état d'urgence a été instauré pour trois mois. Il remplace l'état d'urgence de six mois décrété en février. Enfin, jusque-là fer de lance de la répression, le puissant service de renseignements au Soudan (NISS) a fait état de la libération de tous les prisonniers politiques.
Les manifestants toujours mobilisés
Des milliers de manifestants se sont rassemblés, jeudi soir, partout dans le pays pour dire non à la mise en place de ces instances militaires de transition. Khartoum bien sûr, mais aussi Madani, Gedarif, Port-Soudan et El Obeid ont été le théâtre de protestations. Il ne s'agit que d'une "photocopie du régime", résume un manifestant rencontré par l'AFP. "Le sang de nos frères ne doit pas avoir coulé pour rien", lâche un autre. "Cela a tout d'une reprise en main. Le régime tente de se substituer à lui-même", déplore un observateur dans les colonnes du Figaro. Alaa Salah, l'étudiante devenue "l'icône" du mouvement, est elle aussi sur la même ligne. "Les gens ne veulent pas d'un conseil militaire de transition" mais "un conseil civil", a-t-elle déclaré dans un tweet.
The people do not want a transitional military council. Change will not happen with Bashir's entire regime hoodwinking Sudanese civilians through a military coup. We want a civilian council to head the transition. #Sudan
— Alaa Salah (@iAlaaSalah) 11 avril 2019
La Sudanese Professionals Association ne dit pas autre chose : cette organisation à l'origine des protestations estime que ce "coup d'Etat militaire" a été mené "avec les mêmes visages". Comme elle, l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC) "demande de continuer la lutte". "Le régime a mené un coup d'Etat militaire en présentant encore les mêmes visages (...) contre lesquels notre peuple s'est élevé, a réagi l'ALC. Nous appelons notre peuple à continuer son sit-in devant le QG de l'armée et à travers le pays."
La communauté internationale vigilante
Prudente dans un premier temps sur la situation sur place, la communauté internationale a fini par réagir. Six capitales, dont Washington et Paris, ont demandé une session d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Soudan : elle pourrait avoir lieu dès vendredi. Son secrétaire général réclame que la transition respecte les "aspirations démocratiques" du peuple. Les Etats-Unis, qui ont décidé de maintenir des sanctions contre le Soudan, exhortent les militaires à intégrer les civils pour cette transition. C'est ce que dit l'Union européenne en demandant à l'armée un transfert "rapide" du pouvoir aux civils.
De son côté, l'Union africaine critique la "prise de pouvoir par l'armée" au Soudan, en estimant qu'elle "n'est pas la réponse appropriée aux défis" du pays. L'Egypte voisine, où l'armée avait également éjecté Hosni Moubarak du pouvoir en 2011 sous la pression de la rue, se dit "confiante dans la capacité du peuple et de son armée" à mener à bien cette transition.
Enfin, Amnesty International appelle les nouvelles autorités à "mettre fin définitivement à une ère de massacres et d'oppression". L'ONG souhaite aussi qu'Omar el-Béchir soit jugé devant la Cour pénale internationale pour ses "crimes innommables". Le dictateur de 75 ans est sous mandat d'arrêt international pour "génocide", "crimes contre l'humanité" et "crimes de guerre" depuis 2009. Rien qu'au Darfour, à l'ouest, le conflit a fait plus de 300 000 morts en quinze ans.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.