Idriss Déby : la mort du "chouchou l'armée française", et du "symbole de la Françafrique", selon deux spécialistes de l'Afrique
Antoine Glaser et Michel Galy rappellent toutefois que les conditions de la réélection du président tchadien ainsi que certaines de ses actions militaires inquiétaient la France.
La France "perd un ami courageux", réagit l'Elysée dans un cmmuniqué après la mort du président tchadien Idriss Déby Itno mardi 20 avril. Au pouvoir depuis 30 ans et partenaire-clé des Occidentaux dans la lutte contre les jihadistes au Sahel, le chef d'État a succombé à des blessures subies au front contre des rebelles.
Un important soutien de l'opération Barkhane
Avec la disparition du président tchadien, "la France perd son principal allié", a ajouté sur franceinfo le journaliste et écrivain Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique subsaharienne. "Idriss Déby c'est le chouchou de l'armée française depuis 1990." C'est cette année-là qu'Idriss Déby a renversé par un coup d'État le président Hissène Habré, dont il était commandant de l'armée.
Selon Antoine Glaser, Idriss Déby était "arrivé au pouvoir avec le soutien de la DGSE [service de renseignement de la France] contre Hissène Habré, que les Français considéraient comme trop dans la main des Américains". "L'homme de l'armée française dans la région" était à la tête des "seules troupes aguerries du G5 Sahel en dehors de la Mauritanie". Pour la France, Idriss Déby "avait déjà envoyé 1 300 soldats dans la région des 'trois frontières' en soutien de l'opération Barkhane", rappelle l'écrivain.
"Pour Paris, il devenait incontrôlable"
Idriss Déby, "c'est aussi un symbole de la Françafrique", souligne mardi sur franceinfo le politologue Michel Galy, spécialiste de l’Afrique. Le chef d'Etat tchadien était "appuyé par un certain nombre de personnalités ou de responsables français comme la ministre de la Défense ou des Affaires étrangères". Mais en août 2020, le président tchadien avait été promu au rang de maréchal pour faits d'armes, après avoir, il y a un an, commandé en personne une offensive de son armée en profondeur au Nigeria voisin.
L'action militaire visait à pourchasser des jihadistes de Boko Haram qui venaient d'attaquer un camp militaire au Tchad. "Déby s'est auto-nommé maréchal", précise Michel Galy. Et depuis, "pour Paris, il devenait incontrôlable". Idriss Déby avait également, depuis quelques temps, "divisé son peuple jusqu'à sa propre famille" et "devenait de plus en plus minoritaire".
Antoine Glaser considère qu'à présent pour Emmanuel Macron, "cela ne va pas être évident". Il rappelle qu'en février dernier, "à la conférence de presse du G5 Sahel", le président français assurait que "la France ne veut pas se retirer mais ne veut plus être en première ligne". L'écrivain estime que "cela va être compliqué" pour lui.
Une réélection "truquée"
Le maréchal Déby avait été proclamé lundi soir vainqueur de la présidentielle du 11 avril, pour un sixième mandat, avec 79,32% des voix. Les rares ténors d'une opposition divisée avaient été écartés par l'intimidation ou la violence. Pour Michel Galy, "sa mort coïncide avec l'annonce de sa réélection et l'annonce d'une attaque d'une rébellion qui va recevoir sans doute des appuis supplémentaires". Cette réélection, "avec des chiffres à la soviétique, il faut la mettre avec beaucoup de guillemets", tempère le politologue. Il s'agit d'une "sixième élection tout aussi truquée que les précédentes". Le politologue pointe "un refroidissement" avec Paris à propos de cette élection "qui paraissait une caricature".
Pour Antoine Glaser, la mort du président tchadien est "une coïncidence de calendrier", sans vrai rapport avec sa réélection. "Sans doute que Déby a voulu monter au front à la suite de la mort du chef d'état-major" tué lors d'un précédent affrontement. Le journaliste rappelle qu'Idriss Déby "a toujours été un chef de guerre plutôt qu'un président civil".
Le fils du président "n'a pas l'aura d'Idriss Déby"
C'est Mahamat Idriss Déby, général de corps d'armée, un des fils d'Idriss Déby, qui va présider le Conseil militaire de Transition pour une durée de 18 mois. "Même s'il a été formé et a été le patron des services secrets sur place", Mahamat Idriss Déby, âgé de 37 ans, "n'a pas l'aura d'Idriss Déby, la connaissance des hommes dans la région", affirme Antoine Glaser.
Michel Galy pointe lui l'"autoputsch du fils, qui a servi au Mali" qui a déjà prononcé la "dissolution du gouvernement, de l'assemblée nationale" pour assurer "une transition toujours militaire". Selon lui, "il est à craindre qu'un camp militaire en remplace un autre sans que la population civile n'ait son mot à dire".
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