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Sénégal: procès Hissène Habré, un test pour la justice en Afrique
Il a été amené de force dans le box des accusés après avoir refusé de comparaître. L'ancien dictateur tchadien Hissène Habré est poursuivi pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Son procès au Sénégal aura valeur de test pour la justice en Afrique. Florent Geel, responsable du bureau Afrique de la FIDH, explique pour Géopolis, les enjeux de ce procès historique.
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Qu'est-ce qui a permis de débloquer ce dossier qui a connu de nombreux rebondissements?
Le déclic a été l'élection de Macky Sall à la présidence de la République du Sénégal. Il s'était engagé auprès de la FIDH à faire avancer ce dossier s'il était élu. Il était de la responsabilité du Sénégal de juger Hissène Habré ou de l'extrader vers un pays qui demande à le juger, en l’espèce la Belgique. Le Sénégal a très judicieusement choisi de juger Habré sur son territoire avec l'aide de l'Union Africaine et le soutien de la communauté internationale. Le Sénégal démontre ainsi sa volonté à juger en Afrique, les crimes commis en Afrique. C'est un pas historique pour le continent. Ce procès se doit d'être exemplaire.
Comment s’est déroulée la phase d'instruction organisée par les juges au Sénégal comme au Tchad ?
L'instruction par les juges sénégalais s'est bien déroulée. Ils ont entendu plus 2 500 témoins et victimes, analysé les documents de la DDS (la Direction de la Documentation et de la Sécurité, NDLR) tchadienne, désigné des experts pour comprendre et analyser les structures sécuritaires mises en place par Habré et même exhumé des charniers. Le Tchad a joué le jeu et a laissé les juges d'instruction travailler sur son territoire de façon satisfaisante pendant près de 2 ans.
Par contre, fin 2014-début 2015, le Tchad a fait volte-face en refusant d'extrader vers le Sénégal deux hauts responsables de la police secrète d'Habré réclamés par les chambres africaines extraordinaires et a organisé précipitamment leur procès en compagnie de 22 autres ex-agents de la DDS. Il est probable que cette manœuvre judiciaire ne soit pas étrangère à la crainte du Président Déby, qui était un des commandants en chef de l’armée de Habré avant que sa propre communauté zaghawa ne soit prise pour cible, de se trouver lui-même mis en cause au cours du procès d'Habré.
Peut-on comparer les chambres africaines extraordinaires à la Cour internationale de justice (CIJ) ou à la Cour pénale internationale (CPI)?
En quelque sorte oui, puisque Hissène Habré (est) jugé «au nom de l'Afrique» par un tribunal africain. Mais à la différence de la CIJ et de la CPI, les Chambres africaines extraordinaires sont en fait un système de justice mixte, intégrées au système judiciaire sénégalais pour juger ce type d'affaire hors-normes. Sans la volonté politique du Sénégal de remplir son obligation de juger ou d'extrader un auteur présumé de crimes de torture sur son territoire, cette instruction et ce procès n'auraient probablement pas vu le jour. Une telle affaire aujourd'hui serait instruite et jugée dans le cadre de la justice pénale ordinaire sénégalaise.
Par contre, les chambres africaines ont inspiré une juridiction hybride (une cour nationale avec une composante internationale) qui est en cours de création en Centrafrique. Elle permettra de juger les auteurs des crimes les plus graves dans un pays dont le système judiciaire a été largement démantelé. Le réel enseignement, c'est que les populations ont une réelle soif et un profond besoin de justice et qu'enfin la communauté internationale comprenne que l'on ne peut pas faire la paix sans un effort de justice, quel qu'en soit la forme. Ce sont des avancées réelles de ces 20 dernières années.
Le Sénégal ne risque-t-il pas d'être débordé par les plaintes qui vont affluer de toute l'Afrique?
Le Sénégal n'est pas débordée de plainte en compétence universelle, puisque la seule autre plainte de ce type instruite au Sénégal est, à ma connaissance, celle que la FIDH et son Groupe d'action judiciaire (GAJ) ont déposée au nom des familles des deux défenseurs des droits humains congolais Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, assassinés à Kinshasa le 2 juin 2010 sur les ordres du chef de la police de l'époque. Cette plainte est actuellement instruite par la justice pénale ordinaire sénégalaise.
Donc, pour le moment, on ne peut pas dire qu'il y ait trop d'affaires, d'autant que la présence de l'auteur sur le territoire est indispensable pour déclencher l'action pénale. Le Sénégal sera d'autant moins débordé d'ailleurs si les autres États africains jugent les auteurs des crimes les plus graves sur leurs territoires et utilisent eux aussi la compétence universelle. On sera alors dans un système international pénal solidaire dans lequel les recours à des juridictions internationales ne seront qu'exceptionnels.
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