Tchad : Idriss Déby Itno, le Maréchal qui voulait mourir les armes à la main
Le président tchadien, qui a dirigé son pays d'une main de fer durant trois décennies, est mort le 20 avril 2021, au lendemain de l'annonce des résultats de la présidentielle qui le donnaient vainqueur pour la sixième fois.
Il devait se succéder à lui-même à l'issue d'un sixième mandat rendu possible grâce à une modification constitutionnelle lui permettant de diriger le pays jusqu'en 2033. Le président tchadien Idriss Déby Itno est mort à 68 ans, des suites de blessures infligées au combat alors qu'il commandait son armée engagée contre des rebelles dans le nord du pays, le week-end du 17 et 18 avril, a annoncé le 20 avril 2021 le porte-parole de l'armée sur les antennes de la télévision nationale.
Sa fin tragique semble donner raison à ses adversaires politiques qui lui avaient rappelé le funeste sort réservé à tous ceux qui avaient soulevé un bâton de maréchal : Bokassa, Amin Dada, Mobutu... Idriss Déby avait profité du soixantième anniversaire de l'indépendance du Tchad, le 11 août 2020, pour se proclamer maréchal et célébrer ainsi son ultime victoire militaire.
Quelques mois plus tôt, le 23 mars 2020, Boko Haram avait tué une centaine de soldats en attaquant un poste tchadien sur les rives du lac Tchad. Pour laver l'humiliation, le président tchadien avait décidé de mener la contre-offensive et de se montrer sur le terrain. L'opération sera un succès et les terroristes seront chassés du secteur. Soldat dans l'âme, Idriss Déby n'a eu de cesse de le rappeler et de le démontrer. Son tempérament de guerrier est celui qui l'a porté au sommet de l'Etat.
Un président-soldat prompt à monter au front
Commandant en chef de l’armée en 1982, il mène la guerre de reconquête qui permet au Tchad de reprendre le nord occupé par les Libyens. Mais il finit par tomber en disgrâce et fuit pour échapper au président Hissène Habré qui l’accuse de complot. Il reviendra à N'Djamena, à la tête d’une armée et d’un parti qui a choisi pour emblème une kalachnikov croisée avec une houe pour ravir le pouvoir à Hissène Habré le 1er décembre 1990.
En 1996, après une "transition démocratique", Idriss Déby est élu président lors du premier scrutin pluraliste et accueille une partie de ses adversaires au gouvernement. Cependant, pour se maintenir au pouvoir, l'ancien rebelle et militaire de carrière s’entoure des membres de son ethnie zaghawa et neutralise ses rivaux politiques. Pendant 30 ans, il remportera les élections dans la contestation et dans la répression.
Opposition muselée et rebelles en embuscade
Le président Déby n'a jamais toléré aucune résistance. En 2016, après avoir été ébranlé par l'affaire Zouhoura (des fils de généraux ont collectivement violé Zouhoura, 16 ans, fille d'un opposant) et fait face à une contestation populaire inédite favorisée par les réseaux sociaux, le pouvoir n'a cessé de durcir le ton. Le Tchad adopte une nouvelle Constitution controversée instaurant un régime présidentiel en avril 2018.
A l'approche de la présidentielle cinq ans plus tard, la tension monte d'un cran. Le 28 février 2021, une sanglante tentative d'arrestation par l'armée d'un candidat à la présidentielle se solde par la mort d'au moins trois personnes. Le lendemain, l'opposant "historique" d'Idriss Déby, Saleh Kebzabo, retire sa candidature, accusant le président d'intimider ses rivaux par l'usage de la force. Le pouvoir est accusé de réprimer toute opposition en interdisant les rassemblements de partis ou de mouvements de la société civile qui réclament "une alternance au pouvoir". Déby réussit à neutraliser l'opposition civile, mais il ne parviendra jamais à dompter les rebelles qui minent régulièrement son pouvoir depuis 2005.
Depuis le 11 avril, jour de la présidentielle, le régime de Déby était de nouveau menacé par une rébellion. Une nouvelle fois depuis la Libye. A la manœuvre, le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT). L'armée avait annoncé le 19 avril avoir tué plus de 300 rebelles et perdu cinq militaires dans des combats. Le même jour, la commission électorale avait annoncé qu'Idriss Déby Itno avait été réélu avec 79,32% des suffrages exprimés à la présidentielle.
Idriss Déby Itno, l'allié de Paris
Le régime devait jusque-là son salut aux différentes interventions françaises contre les rebelles, parfois arrêtés aux portes du palais présidentiel. Lors d'une attaque en 2008, ils sont repoussés in extremis grâce au soutien de la France. De source militaire, Paris avait alors proposé au président de l’évacuer. Déby avait refusé, jurant de garder le pouvoir ou de mourir, les armes à la main. En février 2019, une colonne rebelle venue de Libye est stoppée par des bombardements français à la demande des autorités tchadiennes. Pour la France, la priorité est à la stabilité dans une région du Sahel secouée par le terrorisme et la multiplication de groupes armés jihadistes.
Idriss Déby Itno, qui s’est toujours posé en rempart face à l’islam radical et qui qualifiait Boko Haram de "horde d’illuminés et de drogués", a su s’imposer au fil des années sur la scène internationale comme un interlocuteur incontournable contre les jihadistes au Sahel. En 2013, l’armée tchadienne a participé à l’opération Serval aux côtés de la France pour stopper l’offensive islamiste au Mali. Deux ans plus tard, face à la menace des jihadistes nigérians de Boko Haram, le Tchad envoie ses troupes au Nigeria pour les chasser de plusieurs localités et initier une riposte militaire régionale. N'Djamena subit plusieurs attentats suicide meurtriers revendiqués par Boko Haram. En 2017, le Tchad va participer à la création de la force antijihadiste de l'organisation régionale G5-Sahel, comprenant également la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, avec l'appui de la France.
La France, un partenaire de choix qu'Idriss Déby Itno ne manquera pas d'égratigner. Il pestera contre le franc CFA et la dépendance qu'il induit pour les pays africains vis-à-vis de Paris. L'épisode, bien que notable sera très vite oublié. Les relations entre Paris et N'Djamena trouvent leur essence ailleurs. Déby, le militaire, se révèle aussi militant. A la COP21, à Paris, il dénonce l'inaction de la communauté internationale qui ne fait rien pour sauver le Lac Tchad.
Le Tchad, un pays toujours aussi pauvre
Pourtant, sous sa présidence, le quotidien des Tchadiens ne rime pas avec prospérité en dépit du fait que le pays soit devenu un pays producteur de pétrole en 2003. Il a inauguré son premier complexe pétrolier dans le bassin de Doba (sud) sous l'œil optimiste de la communauté internationale qui espère que les futurs revenus seront mis au service du développement du pays. Les autorités tchadiennes s’étant engagées à affecter 70% des revenus pétroliers à la réduction de la pauvreté et à un fonds pour les générations futures. Mais les recettes pétrolières ont largement été injectées dans le militaire. Sans oublier les affaires de corruption et de détournements de fonds publics impliquant souvent l'entourage du chef de l'Etat.
Lorsqu'il s'est emparé du pouvoir en décembre 1990, Idriss Déby Itno avait lancé : "Je ne vous ai apporté ni or, ni argent, mais la liberté et la démocratie." Les Tchadiens ont espéré longtemps sentir le vent de la liberté. Aujourd'hui, ils craignent de ne pas connaître l'apaisement de sitôt après la mort du maréchal-président. Un conseil militaire dirigé par un des fils du défunt, le général quatre étoiles et commandant de la garde présidentielle Mahamat Idriss Déby Itno, 37 ans, a été mis en place pour le remplacer.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.