En Tunisie, les sondages prédisent une vague de "dégagisme" aux élections
Un sondage, rendu public le 12 juillet 2019, place en tête de la présidentielle de novembre 2019 l’homme d’affaires Nabil Karaoui, fondateur de la chaîne Nessma TV, inculpé pour blanchiment d’argent le 8 juillet.
Les mois passent. Et l’opinion évolue. En février 2019, une enquête voyait l’actuel Premier ministre, Youssef Chahed, en première place du scrutin présidentiel avec 30,7% des intentions de vote. Aujourd’hui, selon le sondage publié par la société Sigma Conseil, le même n’obtiendrait plus que… 7% des intentions de vote. Une enquête qui en confirme une autre publiée un mois plus tôt. Youssef Chahed serait donc largement devancé par le fondateur de Nessma TV, Nabil Karoui, et Kaies Saied (20%), un universitaire, spécialiste de droit constitutionnel.
L'ancien président Moncef Marzouki n’obtiendrait lui aussi que 7%. Et les deux piliers de la politique tunisienne, le président sortant Béji Caïd Essebsi (alias BCE, 92 ans), sorti de l'hôpital après un "grave malaise" en juin, et le leader du parti d’inspiration islamiste Ennahdha Rached Ghannouchi (78 ans), n’obtiendrait chacun que… 3% ! Un "vent de 'dégagisme’" (cf. le fameux "Dégage !" issu de la révolution de 2011 contre le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali), souffle sur la Tunisie, comme l'écrit joliment Jeune Afrique.
"L'incurie de l'Etat"
Cette tendance est observée depuis plusieurs mois par les spécialistes de la chose politique tunisienne. "Il apparaît dans nos sondages une appétence pour l’antisystème ou le hors-système", explique dans Le Point le président de Sigma Conseil, Hassen Zargouni. Une tendance nourrie "par ce qui se passe en Ukraine, au Brésil, aux Etats-Unis, le Brexit (au Royaume-Uni, NDLR)". Et née notamment "du sentiment de l’incurie de l’Etat" qui serait incapable d’"assurer ses missions de développement du pays" dans un contexte où "la situation économique et sociale ne s’est pas améliorée", où "l’insécurité a progressé, le terrorisme a ressurgi".
On a ainsi vu se développer un sentiment populiste notamment incarné par Nabil Karoui, le dirigeant de Nessma, l’une des principales chaînes de télévision privées de Tunisie. "Ces trois dernières années, Nabil Karoui s'est patiemment construit une image d'homme charitable, distribuant électroménagers et biens aux quatre coins du pays sous l'œil des caméras de NessmaTV", rapportait franceinfo Afrique le 9 juillet dernier. "Tous ceux qui sortent du système, on les traite de populistes. Pour être populiste, il faut un programme populiste. A ce jour, je n'ai annoncé aucun programme, je ne suis pas populiste", rétorque l'intéressé. Et d'ajouter : "Je suis certainement populaire, vu les sondages, mais je ne suis pas populiste."
Pour autant, visé par une instruction du pôle financier depuis 2017, ce magnat des médias a été inculpé pour blanchiment d’argent. Il lui est interdit de voyager et ses avoirs ont été gelés. Même si "les observateurs n'ont pas manqué de faire aussitôt le lien avec la candidature de Nabil Karoui à la présidentielle", l'ancien commercial de Colgate et Palmolive n’est donc peut-être pas au bout de ses peines.
Ingouvernable ?
Pour les législatives, l’enquête de Sigma montre qu’Ennahdha, avec 15% des intentions de vote, se placerait deuxième derrière le parti de Nabil Karoui, Au cœur de la Tunisie. L’étude constate aussi un émiettement des forces séculaires ("laïques") : le Parti destourien libre obtiendrait 12%, Tahia Tounès, le parti du chef du gouvernement, 8%. Et Nidaa Tounès, parti de BCE dont Tahia Tounès a fait sécession, n’est crédité que de 6%.
Que sortira-t-il finalement des urnes ? A cinq mois du scrutin, il est évidemment encore beaucoup trop tôt pour émettre une quelconque prédiction fiable. Mais si les sondages confirment la tendance actuelle, la Tunisie pourrait se retrouver ingouvernable au soir des élections. A la question de savoir si les Tunisiens en ont conscience, le président de Sigma Conseil répond au Point : ils "voient déjà (leur pays) comme étant ingouvernable"…
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