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La stratégie de la corde raide d'Ennahdha face aux élections en Tunisie

Avant les scrutins législatif et présidentiel, le parti d'inspiration islamiste tente d'imprimer sa marque en tâchant de ne pas inquiéter ses adversaires et les bailleurs de fonds d'un pays très endetté. Une stratégie complexe.

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Rached Ghannouchi, président du parti d'inspiration islamiste Ennahdha, dans un bureau de vote à Tunis le 6 mai 2018. (REUTERS - ZOUBEIR SOUISSI / X02856)

Ennahdha (terme signifiant "l'éveil" en arabe) n'entend pas se définir comme "islamiste" mais comme "musulman démocrate", expliquait un représentant de la formation à franceinfo Afrique en mai 2018. Principale force dans le parlement tunisien sortant, le parti mise sur un succès aux législatives d'octobre 2019 pour pouvoir jouer ensuite les faiseurs de roi lors de la présidentielle de novembre. Un scrutin pour lequel il reste réticent à présenter son propre candidat. 

Le mouvement de Rached Ghannouchi avait remporté fin 2011 le premier scrutin qui a suivi le mouvement révolutionnaire de décembre 2010-janvier 2011. Mais il reste marqué par sa première expérience au pouvoir. Il s'était alors retrouvé empêtré dans de profondes crises et confronté à une forte opposition politique. Dans une atmosphère extrêmement tendue (certains évoquant même le spectre d'une "guerre civile"), il avait dû se résoudre à céder la place, début 2014, à un gouvernement de "technocrates apolitiques". "Cette période au pouvoir a été difficile sur tous les plans", reconnaît aujourd'hui le porte-parole d'Ennahdha, Imed Khemiri.

Aujourd'hui, le parti participe au gouvernement de Youssef Chahed. Mais il est conscient qu'un retour à la tête du pouvoir risquerait de ranimer ses plus féroces opposants (il en compte beaucoup !). Tout en ravivant la méfiance de certains voisins et bailleurs de fonds étrangers vis-à-vis de la Tunisie, pays très endetté.  

Policer son image

"Par peur de prendre tout seul les décisions", Ennahdha va certes viser la première place aux législatives d'octobre, analyse le politologue Slaheddine Jourchi. Mais pas "la majorité parlementaire, car cela ferait du parti une cible pour tous les autres". "Ennahdha va déployer tous les efforts pour avoir au maximum 70 ou 75 sièges (sur 217) afin de négocier une coalition avec Tahya Tounès (le parti du Premier ministre Youssef Chahed, NDLR) ou une alliance plus large afin de ne pas exercer de responsabilités seul", ajoute-t-il.

Rached Ghannouchi s'adresse à la presse, le 18 février 1991, à Islamabad (Pakistan), à la fin d'une conférence d'une vingtaine de partis islamistes. A cette époque, le dirigeant d'Ennhadha vivait en exil à Londres. (DIEGO ZAPATA / AFP)

Considéré dans les années 1970 comme proche des Frères musulmans, Ennahdha reste sur la défensive en raison de la situation en Egypte. Dans ce pays, les islamistes, eux-mêmes issus des Frères musulmans et arrivés au pouvoir par les urnes en 2012, ont ensuite été la cible d'une implacable répression.

Depuis qu'il a pris un peu de recul, Ennahdha s'évertue à policer son image. A ce titre, il dit poursuivre sa transformation, annoncée lors de son congrès de  2016, en force "civile", en excluant toute activité de prédication religieuse. Pour "donner une image rassurante"Rached Ghannouchi s'est rendu en mai 2019 à Paris "à la tête d'une importante délégation", après un passage par l'Allemagne et l'Italie. En France, il a notamment rencontré le secrétaire d'Etat français aux Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, ainsi que le président du Sénat, Gérard Larcher.

"Deux objectifs" et "deux choses"

"Par le biais de pareilles initiatives, les islamistes et Rached Ghannouchi souhaitent atteindre deux objectifs : montrer patte blanche aux Occidentaux (...) et montrer aux Tunisiens qu’ils sont incontournables et possèdent leurs entrées dans les grandes chancelleries", analyse, dans un éditorial, le site webdo.tn. Ils veulent "rassurer les Occidentaux sur le caractère pacifique d’Ennahdha et son orientation démocratique". Dans le même temps, ils "veulent faire croire" à l'opinion tunisienne "qu'ils constituent la plus importante force politique du pays", poursuit cet éditorial très critique à l'égard du mouvement.

Le dirigeant d'Ennahda, Rached Ghannouchi (à gauche), avec le président tunisien, Béji Caïd Essebsi (au centre), lors du congrès du mouvement d'inspiration islamiste à Tunis le 20 mai 2016. (REUTERS - ZOUBEIR SOUISSI / X02856)

Pour le rédacteur en chef du quotidien arabophone Le Maghreb, Zied Krichen, le but premier d'Ennahdha "est de rester (associé) au pouvoir, ce qui nécessite deux choses : un bloc qui a du poids au Parlement et un président de la République qui n'entre pas en rivalité avec" le mouvement. Celui-ci "attendra la dernière minute pour miser sur le candidat qui aura le plus de chances de remporter la présidentielle", juge-t-il. En attendant, il est "à la recherche de l'oiseau rare", comme le résume le site espacemanager.

Pour la présidentielle, Ennhadha reste réticent à l'idée de monter en première ligne. Mais ses dirigeants assurent que, contrairement à 2014 (le parti était alors resté officiellement neutre), ils comptent effectivement soutenir un candidat. Sur France 24, le 20 mai, Rached Ghannouchi n'a certes pas exclu de présenter "un membre d'Ennahdha". Tout en ajoutant aussitôt que "le plus important" était de trouver "un candidat consensuel".

Un candidat qui a quitté Ennahda mais qui sera peut-être soutenu par... Ennahdha

Pour le moment, aucune des grandes formations n'a annoncé de candidat. Le magnat des médias Nabil Karoui et l'ancien Premier ministre (entre 2011 et 2013) issu d'Ennahdha, Hamadi Jebali, ont indiqué qu'ils se présenteraient. Rached Ghannouchi a souligné le 3 juin 2019 que Hamadi Jebali ne serait pas candidat au nom du parti. Ce qui n'exclut pas un "éventuel" soutien, selon lui...

Le dirigeant du mouvement d'inspiration islamiste a par ailleurs précisé qu'Ennnahdha reste dans le gouvernement de Youssef Chahed tant que celui-ci n'a pas annoncé sa candidature à la présidentielle. "S’il annonce sa candidature, on se retrouvera dans une autre situation et à partir de là nous reverrons notre relation avec lui", a-t-il ajouté. Une attitude que d'aucuns pourraient qualifier d'un peu tortueuse. Mais qui montre que pour l'instant, Ennhadha garde toutes les options ouvertes.

Le Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, à Tunis le 30 avril 2019 (REUTERS 6 ZOUBEIR SOUISSI / X02856)

En 2014, la formation était restée à distance des favoris : Béji Caïd Essebsi (alias BCJ), élu président sur une plateforme séculaire ("laïque"), et Moncef Marzouki, alors proche des islamistes. Le parti avait ensuite conclu une alliance avec BCJ, alliance qui a tenu jusqu'à fin 2018 et jusqu'à l'implosion du parti présidentiel Nidaa Tounès. Béji Caïd Esebsi, 92 ans, a annoncé qu'il ne se représenterait pas.

Ennahdha a perdu une partie de "sa base électorale entre 2011 et 2018", estime Slaheddine Jourchi. Mais, pour le politologue, le mouvement peut toujours se targuer d'avoir gagné le plus grand nombre de mairies lors des dernières élections locales de 2018. Comme avait pu le constater l'envoyé spécial de franceinfo Afrique en Tunisie pendant la campagne électorale de ce dernier scrutin, le parti reste bien implanté localement. Et remarquablement organisé. Dans tous les cas, et avec "l'expérience acquise depuis 2011 (...), Ennahdha sera présent dans toutes les circonscriptions lors des prochaines élections". Et il tient "à la victoire", note Imed Khemiri. En clair : dans tous les cas, il faudra compter avec lui...

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