Cet article date de plus d'onze ans.
Rachida Ennaïfer, sur la Constitution tunisienne
Les Tunisiens s’impatientent et s’inquiètent de voir que les travaux de la nouvelle Constitution à l’Assemblée nationale constituante (ANC) s’enlisent. L’analyse de Rachida Ennaïfer, professeur de droit à l’université de Tunis et membre de la Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle (HAICA), l’équivalent du CSA français.
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Temps de lecture : 4min
De notre envoyé spécial en Tunisie, Laurent Ribadeau Dumas
Comment expliquer ces lenteurs ?
Il y a des raisons technique et politique. La raison technique d’abord. Cet état de fait est lié à l’organisation même des travaux de l’ANC, fixée par une loi de manière provisoire. Dans ce cadre, l ’Assemblée a reçu de très nombreux pouvoirs, et d’une grande ampleur: constituants, législatifs, de contrôle…
Dans le même temps, son règlement intérieur organise le travail des députés selon le modèle d’une assemblée législative normale. Ce qui n’est pas le cas de l’ANC. De plus, le règlement ne tient pas compte de sa composition, caractérisée par un effritement des partis. Bref, on a copié des textes antérieurs qui ne sont pas adaptés à la réalité nouvelle de la Tunisie. Les députés sont surchargés, tout cela n’est donc pas gérable. D’où la lenteur des travaux, les hésitations et les compromis.
Vous évoquiez aussi une raison politique…
Ce que je voulais dire, c’est que depuis le 14 janvier 2011, il n’y a jamais eu de vrai débat national sur la nature du système politique qu’on veut instaurer. L’équivalent, par exemple, de ce qui a été fait en Pologne en 1989, au moment de la chute du communisme.
En Tunisie, le débat a été de plus en plus manipulé par les partis, chacun espérant prendre le dessus: il n’y a donc pas eu d’accord, car les calculs politiques l’ont emporté. On a préféré organiser les élections. Il était donc trop tard pour une démarche nationale. Alors, aujourd’hui, il y a bien des débats un peu partout. Mais cela part dans tous les sens!
Certains Tunisiens estiment que ces lenteurs sont organisées pour instaurer le chaos et faire chuter la démocratie…
Je ne crois pas à la théorie du complot ! Si complot il y a, il a commencé dès le lendemain du 14 janvier. Il faut bien voir que cette lenteur est inscrite dans notre histoire. Dans ce pays, il n’y a pas de culture de la table rase. Alors, on a effectivement l’impression de perdre du temps, mais cela appartient à l’histoire de la Tunisie. Quant à la question du chaos, je pense que l’Etat est suffisamment solide pour éviter une telle situation. Si celui-ci avait dû sombrer, cela aurait déjà dû se faire.
Pour autant, dans l’état actuel des choses, on n’aboutira pas à un projet de Constitution viable: l’actuel est loin de recueillir le consensus de la classe politique. Il faudrait donc pouvoir remettre les pendules à l’heure et amender le règlement intérieur de l’ANC. Il est nécessaire de fixer de nouveaux délais, de revoir le fonctionnement des commissions. Dans l’organisation actuelle, il suffit du refus d’une seule commission pour bloquer tout le système.
Alors on peut effectivement craindre que si cette période de transition s’éternise, cela débouche non sur un régime démocratique, mais sur une dictature.
Je pense pourtant qu’il y a des lueurs d’espoir. Grâce aux luttes des syndicats et de la société civile, on voit ainsi se mettre en place certains outils et institutions de démocratisation comme la HAICA, malgré les difficultés. Le pouvoir politique a été dans le même sens que syndicats et société civile.
(Propos recueillis par Laurent Ribadeau Dumas, envoyé spécial en Tunisie)
Comment expliquer ces lenteurs ?
Il y a des raisons technique et politique. La raison technique d’abord. Cet état de fait est lié à l’organisation même des travaux de l’ANC, fixée par une loi de manière provisoire. Dans ce cadre, l ’Assemblée a reçu de très nombreux pouvoirs, et d’une grande ampleur: constituants, législatifs, de contrôle…
Dans le même temps, son règlement intérieur organise le travail des députés selon le modèle d’une assemblée législative normale. Ce qui n’est pas le cas de l’ANC. De plus, le règlement ne tient pas compte de sa composition, caractérisée par un effritement des partis. Bref, on a copié des textes antérieurs qui ne sont pas adaptés à la réalité nouvelle de la Tunisie. Les députés sont surchargés, tout cela n’est donc pas gérable. D’où la lenteur des travaux, les hésitations et les compromis.
Vous évoquiez aussi une raison politique…
Ce que je voulais dire, c’est que depuis le 14 janvier 2011, il n’y a jamais eu de vrai débat national sur la nature du système politique qu’on veut instaurer. L’équivalent, par exemple, de ce qui a été fait en Pologne en 1989, au moment de la chute du communisme.
En Tunisie, le débat a été de plus en plus manipulé par les partis, chacun espérant prendre le dessus: il n’y a donc pas eu d’accord, car les calculs politiques l’ont emporté. On a préféré organiser les élections. Il était donc trop tard pour une démarche nationale. Alors, aujourd’hui, il y a bien des débats un peu partout. Mais cela part dans tous les sens!
Certains Tunisiens estiment que ces lenteurs sont organisées pour instaurer le chaos et faire chuter la démocratie…
Je ne crois pas à la théorie du complot ! Si complot il y a, il a commencé dès le lendemain du 14 janvier. Il faut bien voir que cette lenteur est inscrite dans notre histoire. Dans ce pays, il n’y a pas de culture de la table rase. Alors, on a effectivement l’impression de perdre du temps, mais cela appartient à l’histoire de la Tunisie. Quant à la question du chaos, je pense que l’Etat est suffisamment solide pour éviter une telle situation. Si celui-ci avait dû sombrer, cela aurait déjà dû se faire.
Pour autant, dans l’état actuel des choses, on n’aboutira pas à un projet de Constitution viable: l’actuel est loin de recueillir le consensus de la classe politique. Il faudrait donc pouvoir remettre les pendules à l’heure et amender le règlement intérieur de l’ANC. Il est nécessaire de fixer de nouveaux délais, de revoir le fonctionnement des commissions. Dans l’organisation actuelle, il suffit du refus d’une seule commission pour bloquer tout le système.
Alors on peut effectivement craindre que si cette période de transition s’éternise, cela débouche non sur un régime démocratique, mais sur une dictature.
Je pense pourtant qu’il y a des lueurs d’espoir. Grâce aux luttes des syndicats et de la société civile, on voit ainsi se mettre en place certains outils et institutions de démocratisation comme la HAICA, malgré les difficultés. Le pouvoir politique a été dans le même sens que syndicats et société civile.
(Propos recueillis par Laurent Ribadeau Dumas, envoyé spécial en Tunisie)
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