Tunisie : après les législatives et la présidentielle, une situation politique compliquée
Les résultats des élections, apparemment satisfaisants, pourraient au final avoir un goût amer pour le parti Ennahda…
Lors des législatives du 6 octobre 2019, Ennahdha est arrivé en tête du scrutin en décrochant 52 sièges (sur 217). Et le candidat pour qui la formation d’inspiration islamiste avait appelé à voter au 2e tour de la présidentielle, l’universitaire Kaïs Saïed, a été triomphalement élu avec 72,71% des voix. Résultat : de par la Constitution, le parti d'inspiration islamiste est chargé de la formation d’un gouvernement et doit proposer le nom d’un Premier ministre d’ici le 15 novembre. A plusieurs reprises, il a répété qu’il voulait un chef de gouvernement issu de ses rangs. Dans le même temps, il a proposé son leader et cofondateur, Rached Ghannouchi, au poste de président du Parlement. Lequel assure l’intérim de la présidence de la République en cas de vacance du pouvoir. Tout semble donc sourire à Ennahdha. Semble. Car dans la réalité, la situation ne prête pas forcément à sourire…
Interminables négociations pour former un gouvernement
D’abord, parce qu'avec moins d'un quart des sièges, le parti est loin d’obtenir au Parlement une majorité, qui est de 109 sièges. Ains, il doit composer avec cinq ou six formations et mener des négociations ardues pour composer un nouveau gouvernement. On ne connaît toujours pas la personnalité nahdhaouie (adjectif désignant un membre d’Ennahdha) qui pourrait être appelée à le diriger. Plusieurs noms circulent, dont celui de Zied Ladhari, ministre sortant du Développement et de la Coopération internationale. Celui-ci n’en laisse rien paraître. Mais il n’en a pas moins présenté sa démission le 7 novembre. Peut-être le moyen de faire savoir qu’il est disponible…
La personnalité qui sera désignée aura un délai d’un mois, renouvelable une fois, pour former un nouveau cabinet, qui doit ensuite être approuvé par une majorité de députés. A l’issue de ce délai, Kaïs Saïed pourra proposer un autre nom.
Actuellement, Ennahdha dit poursuivre ses négociations à la recherche de ministres "compétents". Le parti a présenté un programme qui se concentre sur la lutte contre la corruption et la pauvreté, le renforcement de la sécurité, le développement de l’éducation, l’augmentation des investissements…
Rached Ghannouchi, personnalité clivante, appelé à présider le Parlement
Autre difficulté : le parti d’inspiration islamiste souhaite faire élire son dirigeant historique, Rached Ghannouchi, à la présidence de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le Parlement. Mais là encore, il devra trouver une majorité. Une difficulté supplémentaire, dans la mesure où ce dernier est une personnalité controversée, souvent jugée "clivante", et dirigeant historique d'un parti lui même controversé. Ennahdha a indiqué le 10 novembre que sa "priorité va au Parlement, parce que c'est au sein de l'Assemblée que les lois et les décisions sont prises." Une façon de montrer l'importance qu'il attache à cette nomination.
"Dégagisme" : Ennahdha est également concerné
Au-delà, Ennahdha paye lui aussi la note qu’ont adressée les électeurs à tous les partis politiques lors des récents scrutins. Il n’a donc pas échappé à la vague du "dégagisme". Au premier tour de la présidentielle, le 14 septembre, son candidat, Abdelafattah Mourou, n’est arrivé qu'en troisième position avec 12,9% des voix. Ce dernier était présenté comme une "figure consensuelle et modéré". Histoire de dire en creux que ce n’était pas forcément le cas de Rached Ghannouchi…
Au 2e tour, la formation a soutenu Kaïs Saïed, qui l’a emporté notamment grâce au vote des jeunes qui se sont fortement mobilisés, comme le montre notamment la hausse de la participation (plus de 15 points à 58,5%) par rapport au 1er tour. Mais cela ne suffit pas à masquer l’échec d’Abdelfattah Mourou.
Dans le même temps, les résultats des législatives montrent très nettement la chute d’Ennahdha depuis le scrutin de 2011, premier scrutin libre du pays dans la foulée de la révolution.
Si on prend en compte l’abstention, Ennahdha ne représente même pas 5% du corps électoral réel. Le parti a perdu près des deux tiers de ses voix depuis 2011
Le sociologue Aziz Krichenà "Jeune Afrique"
Interrogée par franceinfo Afrique en octobre, la ministre nahdhaouie de l’Emploi et de la Formation professionnelle Saïda Ounissi analysait très lucidement le problème. "A travers les élections, (la société) a fait savoir qu’elle n’était pas satisfaite. Même si Ennahdha parvient à se maintenir, il a perdu des électeurs dans certaines classes sociales qui voient chez lui une forme de trahison, de reniement", déclarait-elle alors.
De son côté, le ministre Ziad Ladhari, plus "langue de bois" que sa collègue, expliquait, toujours à franceinfo Afrique, que "les Tunisiens attendent les dividendes économiques de la révolution, une action vigoureuse contre la corruption". En clair, cela n’a pas été forcément le cas pendant les sept années au cours desquelles le parti est resté au pouvoir depuis la révolution de 2011. On peut donc penser qu’Ennahdha, en continuant à siéger au gouvernement, n’est pas forcément sorti de l’auberge…
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