Tunisie : quatre questions sur le référendum constitutionnel qui prévoit de renforcer les pouvoirs du président
Les Tunisiens votent lundi lors d'un référendum imposé par le chef de l'Etat, Kaïs Saïed. Les grands partis d'opposition ont appelé à boycotter le scrutin et craignent le retour d'un régime autoritaire.
"Approuvez-vous le projet de la nouvelle Constitution de la République tunisienne ?" Plus de neuf millions de Tunisiens sont invités à répondre à cette question, lundi 25 juillet, lors d'un référendum constitutionnel. A 8h30, trois heures et demie après l'ouverture des bureaux, plus de 6% d'entre eux avaient voté, selon l'autorité électorale. Un chiffre particulièrement scruté, les principaux partis d'opposition ayant appelé au boycott du scrutin. Franceinfo répond à quatre questions sur ce projet de Constitution controversé.
1Que contient le projet de Constitution ?
La nouvelle Constitution soumise au vote instaure un régime hyper-présidentiel, en renforçant massivement les pouvoirs du chef de l'Etat. Un revirement complet par rapport à la Constitution de 2014, votée après "le printemps arabe" et qui limitait volontairement le rôle du président, pour éviter les régimes autocratiques. Si cette nouvelle Constitution était adoptée, Kaïs Saïed pourrait ainsi jouir de vastes prérogatives sans devoir rendre de comptes.
Dans le projet, le président désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise, sans nécessité d'obtenir la confiance du Parlement. Il entérine les lois et peut soumettre des textes législatifs. Pour faire tomber le gouvernement, le Parlement peut voter une motion de censure, mais à la majorité des deux tiers. En revanche, pour le président, la Constitution ne prévoit pas de procédure de destitution. Enfin, le chef de l’Etat pourra nommer les magistrats sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, dont c'était auparavant la prérogative.
Le juriste Sadok Belaïd, chargé par le président Kaïs Saïed d'élaborer la nouvelle Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu'il pourrait "ouvrir la voie à un régime dictatorial". Interrogé par l’AFP, le chercheur Youssef Cherif estime que la Constitution "pourrait construire un régime autoritaire ressemblant aux régimes que la Tunisie a connus avant 2011", la dictature de Zine el-Abidine Ben Ali et le régime autocratique du héros de l'indépendance Habib Bourguiba.
2Dans quel contexte se déroule le référendum ?
Le pays est en proie à une profonde crise politique depuis que le président s'est emparé de tous les pouvoirs il y a un an. Agé de 64 ans, Kaïs Saïed considère sa refonte de la Constitution comme le prolongement de la "correction de cap" engagée le 25 juillet 2021, quand il avait limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars.
Le projet de Constitution s'inscrit en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014. Etabli dans le sillage de la révolution de 2011, ce régime était source de conflits entre le Parlement et le gouvernement. Le pays est également plongé dans les difficultés économiques. Après avoir régressé de 8,7% pendant la crise du Covid, le PIB tunisien a seulement progressé de 3% en 2021, selon la Banque mondiale. La situation économique reste difficile, avec un chômage élevé – surtout chez les jeunes où il culmine à 40% –, une inflation galopante et l'augmentation du nombre de pauvres.
3Quelles sont les critiques des opposants ?
Les grands partis d'opposition dénoncent un texte "taillé sur mesure" pour Kaïs Saïed, l'absence de contre-pouvoirs et le risque de dérive autoritaire d'un président n'ayant de comptes à rendre à personne.
Samedi 23 juillet, plusieurs centaines de personnes ont manifesté dans la capitale tunisienne contre le projet proposé par le chef de l'Etat, dont les opposants ont demandé le départ immédiat. "Dégage", "le peuple veut la chute de Kaïs Saïed, le peuple veut la chute de la Constitution", ont notamment scandé les manifestants rassemblés à l'appel du Front de salut national (FSN), une coalition d'opposants.
"Saïed recevra lundi une bonne gifle parce que le peuple va lui montrer son désintérêt" pour la nouvelle Constitution, a assuré à la tribune le président du FSN, Ahmed Nejib Chebbi, vétéran de la scène politique. Evoquant un "choix historique", le chef de l'Etat a quant à lui appelé le peuple tunisien à se rendre aux urnes pour "établir une nouvelle République fondée sur la vraie liberté, la vraie justice et la dignité nationale".
4Pourquoi la participation est-elle la grande inconnue du scrutin ?
Combien d'électeurs se déplaceront lundi ? La participation reste la grande incertitude de la journée. Selon l'autorité électorale, 9 296 064 Tunisiens et Tunisiennes sont inscrits pour participer à ce référendum. Mais l'opposition, aussi bien le mouvement d'inspiration islamiste Ennahdha que le Parti destourien libre de l'avocate Abir Moussi (hostile à Ennahdha), a appelé les Tunisiens à ne pas participer au vote, invoquant un "processus illégal" et mené sans concertation.
Malgré l'appel au boycott, la participation s'élevait à plus de 6% à 8h30, trois heures et demie après l'ouverture du vote. Un chiffre "encourageant", a estimé le président de l'autorité électorale, Farouk Bouasker, rappelant la très faible participation aux précédents scrutins à la même heure. Les bureaux de vote sont ouverts de 6 heures à 22 heures (heure locale), soit des horaires allongés par rapport aux autres scrutins, précise un article de RFI. Les premiers résultats sont attendus au plus tôt mardi.
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