Brésil : ce que l'on sait de la disparition en Amazonie du journaliste Dom Phillips et de l'expert Bruno Pereira
Les autorités envisagent une issue dramatique pour ces deux spécialistes des peuples autochtones amazoniens, recherchés depuis une dizaine de jours. Un homme a été arrêté, mais de nombreuses questions restent en suspens.
Ils sont portés disparus dans l'immensité de la forêt amazonienne brésilienne. Le journaliste indépendant Dom Phillips et l'expert Bruno Pereira n'ont plus donné signe de vie depuis le 5 juin. Les opérations de recherche se poursuivent depuis près de dix jours. Une durée d'autant plus inquiétante que le secteur dans lequel ils ont été vus pour la dernière fois est réputé abriter des narcotrafiquants, ainsi que des pêcheurs, bûcherons et orpailleurs clandestins. Voici ce que l'on sait, mardi 14 juin, de leur disparition et des avancées de l'enquête dans cette affaire devenue très politique.
Les deux hommes voyageaient ensemble en bateau
Dom Phillips, 57 ans, collaborateur de longue date du quotidien britannique The Guardian, est l'auteur de dizaines d'articles sur les menaces contre l'environnement et les peuples indigènes en Amazonie, et préparait un livre sur le sujet. Il était guidé par Bruno Pereira, 41 ans, qui a travaillé durant de nombreuses années à la Funai, la fondation nationale de l'Indien, une structure gouvernementale brésilienne dédiée aux peuples autochtones. Ce spécialiste reconnu était notamment en contact avec des peuples isolés de la vallée de Javari, une région reculée à l'extrême-ouest de l'Etat d'Amazonas.
Les deux hommes voyageaient ensemble en bateau à travers la région, où ils réalisaient des interviews pour l'ouvrage de Dom Phillips. Ils ont été vus pour la dernière fois, le 5 juin, alors qu'ils prenaient place à bord d'une embarcation dans la localité de Sao Gabriel. Ils devaient se rendre dans la ville d'Atalaia do Norte, située dans l'est du Brésil, à la frontière avec le Pérou. Les deux hommes n'ont jamais atteint leur destination.
Des informations contradictoires circulent sur la découverte de restes humains
Des propos de Jair Bolsonaro font craindre une issue dramatique. "Tout porte à croire qu'on leur a fait du mal", a déclaré lundi le président brésilien sur la radio CBN. "Des viscères humains ont été retrouvés flottant sur le fleuve et amenés à Brasilia pour identifier l'ADN. (...) Vu le temps qui a passé, ce sera très difficile de les retrouver vivants. Je prie Dieu pour que ce soit le cas, mais les informations dont nous disposons nous font craindre le contraire."
La veille, des informations contradictoires avaient circulé sur la possible découverte de deux corps. "Nous attendons la confirmation de la police fédérale pour savoir s'il s'agit ou non de Dom et Bruno. Nous restons angoissés en attendant", a déclaré lundi matin à l'AFP Dominique Davies, la nièce de Dom Phillips. L'épouse du journaliste a tenu des propos similaires à la chaîne TV Globo, disant avoir été informée par l'ambassade du Brésil au Royaume-Uni. Mais Beatriz Munoz, l'épose de Bruno Pereira, a ensuite démenti cette information : "La police fédérale, qui est tenue d'informer les familles en premier (...) nous a confirmé qu'aucun corps n'avait été retrouvé. Il faudrait savoir d'où l'ambassadeur a tiré cette information", a-t-elle écrit sur Twitter.
La police fédérale, de son côté, a simplement précisé que du "matériel biologique" et des effets personnels des deux disparus étaient en cours d'analyse. L'Union des peuples indigènes de la Vallée de Javari (Univaja), qui mène d'incessantes recherches, déclare, elle aussi, qu'aucun corps n'a été retrouvé à ce stade.
Deux suspects arrêtés
La piste criminelle est sérieusement envisagée par les enquêteurs. Ces derniers portent désormais leur attention sur un homme de 41 ans, Amarildo Costa de Oliveira. Les effets personnels des deux disparus ont en effet été retrouvés près de sa maison. La police a mis la main sur une carte de santé, un pantalon, une sandale et une paire de bottes appartenant à Bruno Pereira, ainsi que sur une autre paire de bottes et un sac à dos contenant des vêtements personnels de Dom Phillips.
Ce suspect a été placé en détention provisoire dès le 7 juin. Des munitions réservées à l'armée ont également été découvertes à son domicile. La police a prélevé des traces de sang sur son bateau et mène des analyses pour en déterminer l'origine – humaine ou animale. Présenté par la presse brésilienne comme un pêcheur de Sao Gabriel, il nie toute implication dans la disparition des deux hommes.
Pourtant, des témoins cités par un représentant indigène disent avoir aperçu Amarildo Costa de Oliveira circulant à vive allure à bord d'un bateau allant dans la même direction que l'embarcation de Dom Phillips et Bruno Pereira. Selon Globo 1, l'Univaja avait déjà dénoncé cet homme en avril : elle l'accuse d'activités illégales de pêche sur des terres indigènes, et d'avoir pris part à plusieurs attaques à l'arme à feu contre une base de protection environnementale, en 2018 et 2019.
Un deuxième suspect a été interpellé, mardi 15 juin. Agé de 41 ans et "soupçonné de participation à l'affaire", cet homme doit être placé en garde à vue, a annoncé la police fédérale brésilienne. Les agents ont également saisi des cartouches d'armes à feu et une pagaie lors d'une perquisition. Aucun lien entre les deux suspects n'a été pour l'heure précisé par une source officielle.
L'affaire revêt une dimension très politique
Alors que la déforestation a fortement augmenté en Amazonie depuis le début du mandat de Jair Bolsonaro en 2019, la disparition de ces deux défenseurs des peuples autochtones amazoniens ravive des questions politiques. Lundi, des dizaines d'habitants ont manifesté à Atalaia do Norte pour réclamer des réponses de la part des autorités et dénoncer leur peu d'empressement à lancer des recherches. Une critique partagée par la fondation Alicia Patterson, qui avait permis à Dom Phillips d'obtenir une bourse de financement : "Les efforts de recherche ont été lents et les unités de l'armée et de la marine n'ont pas encore été envoyées dans la région", regrettait un communiqué paru trois jours après la disparition.
L'action de Bruno Pereira en défense des peuples autochtones lui avait valu des menaces régulières, y compris de mort. Quant à Dom Phillips, "cela devait être [son] dernier voyage en Amazonie", rapporte le Guardian. Le journaliste collaborait avec Bruno Pereira depuis 2018, alors que ce dernier travaillait encore pour la Funai. Selon le quotidien britannique, leur travail était "devenu beaucoup plus difficile" l'année suivante, quand Jair Bolsonaro a pris la présidence du Brésil, car "l'ancien capitaine d'extrême droite de l'armée n'a jamais caché son mépris pour les peuples autochtones".
A cette époque, un membre de la Funai avait été tué devant sa famille à Tatabinga, près de la frontière avec le Pérou et la Colombie, après avoir confisqué une cargaison de prises illégales dans la vallée de Javari. Ce crime n'a jamais été élucidé. L'ONG Human Rights Watch avait alors révélé que 300 défenseurs de la forêt amazonienne avaient été tués en dix ans, avec simplement 14 procès à la clé.
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