Etats-Unis. Comment les pro-Obama quadrillent les "swing states"
Reportage en Pennsylvanie, un des Etats-clés de l'élection, où le camp du président, en chute dans les sondages, mène une stratégie ciblée pour convaincre les électeurs.
PRESIDENTIELLE AMERICAINE – "Bienvenue dans l’Obama Express !" A l’avant du bus, Ron McCalla salue avec entrain les militants qui remplissent peu à peu le véhicule, ce samedi 20 octobre. En cette heure matinale, il faut motiver les troupes, qui baillent un peu en grimpant les marches, leur gobelet de café chaud à la main. Tous ont accepté de donner une journée de leur temps libre pour faire campagne pour Barack Obama.
Chaque samedi depuis le 22 septembre, le syndicat 1199 SEIU, qui soutient officiellement le président démocrate, envoie plusieurs centaines de militants de la région de New York en Pennsylvanie, à plus d’une heure et demi de route. Objectif : prêter main forte à la campagne de Barack Obama dans cet Etat qui, contrairement au New Jersey où ils vivent et travaillent, est susceptible de faire la différence dans l’élection générale.
Leur terre de mission : Philadelphie
A deux semaines des élections, chaque voix compte : en à peine trois semaines, depuis début octobre, la course s’est brutalement resserrée. Les deux candidats sont à égalité dans les derniers sondages à l’échelle nationale. Plus inquiétant encore pour les démocrates, la confortable avance de Barack Obama dans les "swing states", ces Etats qui votent tantôt démocrate, tantôt républicain, faisant et défaisant les élections, a fondu comme neige au soleil.
La Pennsylvanie, qui en fait partie, n'est pas épargnée. Pour espérer la conserver dans leur camp, les démocrates concentrent leur stratégie sur les deux principales villes de l’Etat : Philadelphie, à l’est, et Pittsburgh, à l’ouest. Le centre, rural et conservateur, leur est beaucoup moins favorable. "La Pennsylvanie, entre nous, on dit que c’est Philly [Philadelphie] d’un coté, Pittsburgh de l’autre, et le Mississippi [Etat très conservateur] au milieu, résume en souriant Ron McCalla. L’idée, c’est de faire une grosse marge à Philly et d’emporter la Pennsylvanie avec."
Le renfort prêté par le syndicat, qui représente plus de 300 000 travailleurs de la santé sur la côte Est, est conséquent : ce samedi, ils sont plusieurs centaines rassemblés dans le hangar qui sert de point de ralliement à Philadelphie. Après distribution des paniers-repas et formation sommaire dispensée au micro, les militants sont envoyés par petits groupes vers différents quartiers de la ville.
A bord des petits bus jaunes qui servent d’ordinaire au ramassage scolaire, les cadres du syndicat rappellent les règles. Surtout, "pas de prospectus dans les boîtes aux lettres !" (un acte considéré comme une violation de la propriété privée), mais une distribution en personne ou sous la porte. L’essentiel : rappeler aux électeurs la date du scrutin, mardi 6 novembre, et l’importance de leur vote.
Une stratégie de terrain très ciblée
Les binômes se forment en équilibrant les profils : un anglophone, un hispanophone, pour parler aux éventuels résidents latinos. Milly Silva, vice-présidente du syndicat, prend la tête du premier groupe, déposé à l’angle d’une rue dans une banlieue résidentielle de la ville. La jeune femme, dont les cheveux noirs et bouclés sont ramassés en une tresse lustrée, s’avance d’un pas décidé vers les premières maisons.
Son petit argumentaire est bien rôdé. "Bonjour, je m’appelle Milly et voici Angela. Nous faisons campagne pour le président Obama. Puis-je vous demander pour qui vous votez ?"
En réalité, la question n’est que rhétorique. Le ratissage est méthodique. Il vise un profil précis : les électeurs enregistrés comme démocrates – aux Etats-Unis, les électeurs peuvent préciser leur affiliation lorsqu’ils vont voter –, mais qui présentent un risque d’abstentionnisme important, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas toujours voté lors des élections précédentes. Chaque équipe dispose de la liste des habitants concernés dans son périmètre, avec leur nom et leur adresse. Les maisons cibles sont signalées par des petits points noirs sur leur feuille de route.
Objectif : convaincre ceux tentés par l'abstention
La tâche n’est pas mince. Dans ce quartier afro-américain défavorisé, beaucoup soutiennent le président, mais n’iront pas forcément voter. Certains ont laissé passer la date limite pour s’inscrire sur les listes, d’autres ne connaissent pas l’emplacement du bureau de vote. Ce sont eux qu’il faut convaincre, eux qui, ici, feront l’élection.
"La Pennsylvanie est cruciale pour l’élection, et nous savons qu’elle se jouera sur la participation à Philadelphie, leur explique Milly Silva. Il faut dire à chaque personne que vous connaissez qui soutient notre président d’aller voter le 6 novembre, c’est vraiment très important."
Milly Silva est d’origine portoricaine. Elle a grandi dans le Bronx, le quartier à majorité noir et latino de New York, connaît les arguments qui font mouche. A un jeune afro-américain qui bavarde avec ses amis assis sur un muret, elle lance : "Vous savez ce sur quoi compte l’équipe Romney ? Ils pensent que les gens qui sont comme toi et moi [comprendre, noirs ou latinos], ils ne viendront pas le jour de l’élection !" Le garçon sourit, assure qu’il se rendra aux urnes.
Les indécis auront droit à une nouvelle visite
Un de plus. Pour chaque électeur de sa liste qu’elle rencontre, Milly coche une case : "vote pour le ticket (démocrate)", "vote pour Romney", "indécis". Ceux qui appartiennent aux deux dernières catégories ont toutes les chances de recevoir une nouvelle visite le samedi suivant, voire le jour même de l’élection. Sur toute la côte Est des Etats-Unis, les militants pro-Obama reproduisent la même stratégie à l’identique, envoyant leurs forces vives dans l’Etat-clé le plus proche : ceux du Massachusetts vont dans le New Hampshire, ceux de Washington DC se rendent en Virginie...
Pour ces supporters de la première heure – le syndicat a été l’un des premiers à soutenir le futur président en 2008, dès les primaires –, le jeu en vaut la chandelle. "Que quelqu’un comme lui arrive là où il est aujourd’hui, qu’il ait pu aller si loin, ça a envoyé à la nouvelle génération un message d’espoir, glisse Patricia Matthews, 47 ans et dix ans de syndicalisme derrière elle. Ça [leur] a dit : ‘le ciel est la seule limite’ !" Elle espère bien la voir à nouveau repoussée le 6 novembre prochain.
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