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Venezuela: «Une situation explosive, anarchique, chaotique»

Depuis le début de février 2014, le Venezuela est secoué par de violentes manifestations (une dizaine de morts au 24 février). Une crise liée à la situation désastreuse de l’économie. Mais aussi à une situation politique mouvante, aggravée par le comportement violent de groupes armés à l’époque du président Hugo Chavez. L’analyse de Paula Vasquez Lezama, chargée de recherche au CNRS.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Un homme participe à une manifestation contre le gouvernement du président Nicolas Maduro à Caracas, capitale du Venezuela, le 23 février 2014. (AFP - Raul Arboleda)
Quelle est l’origine de ces manifestations ?
Au départ, la crise a été déclenchée par un mouvement de colère des étudiants. Elle a été aggravée par le nombre important d’arrestations et par des conditions de détention, contraires à l’Etat de droit, des personnes arrêtées.

Pour autant, cette crise remonte plus loin dans le temps. Elle est liée à la pénurie très forte de produits essentiels : nourriture, médicaments… Le problème est notamment provoqué par la pénurie de devises nécessaires pour importer ces produits. A l’origine, l’ancien président Hugo Chavez s’est appuyé sur la rente pétrolière, sans augmenter la production d’or noir, et n’a pas cherché à diversifier l’économie. Dans le même temps, de nombreuses entreprises de production, entre autres alimentaires, ont été étatisées. Résultat : l’économie vénézuélienne est devenue encore plus dépendante des importations.
 
Parallèlement, le régime de Chavez a instauré un contrôle des changes très strict. On ne trouve plus de devises pour voyager. En la matière, tous les besoins nécessaires pour les importations passent par un mécanisme étatique : le gouvernement octroie aux importateurs des quotas de dollars et exerce ainsi un contrôle total sur toute l’économie. A titre d’exemple, il n’y a pas de papier car il n’y a plus d’argent pour acheter à l’étranger des pulpes de papier. La presse en est donc privée.
 
Cette situation a engendré une corruption très forte, notamment dans les rangs des militaires chargés de contrôler les importations dans les douanes et les ports. Ce qui a contribué à accentuer le malaise de l’opinion vis-à-vis des classes dirigeantes.
 
Pour autant, il faut bien comprendre que les manifestations ne relèvent pas que de la pénurie. Celle-ci se double d’une crise politique et sécuritaire.
 
Pour les adeptes de la révolution bolivarienne, l’actuel président Nicolas Maduro n’a pas la légitimité de son prédécesseur, Hugo Chavez. Or, on trouve parmi eux des groupes violents, appelés «collectifs» (colectivos), comme les Tupamaros, armés à l’époque de Chavez. Aujourd’hui, on peut parler de véritables cellules de guérilla urbaine incontrôlées et connues pour la virulence de leurs actions. Se déplaçant dans des voitures sans plaques d’immatriculation, ils s’affrontent entre eux, tout en se battant contre la police.

Le président Nicolas Maduro prononçant un discours à Caracas lors d'une cérémonie en l'honneur de Hugo Chavez le 4 février 2014. (Reuters - Carlos Garcia Rawlins)

Mais ils peuvent aussi agir en commun avec les forces de sécurité contre les étudiants. Ce qui explique qu’il y ait eu autant de morts dans les manifestations. Chavez, lui, arrivait à les contenir. Ce n’est pas le cas de Maduro. Dans ce contexte, le Venezuela est devenu un pays très violent. Caracas, la capitale, a ainsi le taux d’homicides le plus élevé d’Amérique latine. D’une manière générale, il est difficile de faire la différence entre la violence incontrôlée des «collectifs» et la délinquance proprement dite.
 
Dans ce contexte, quelle est l’attitude de l’opposition ?
Elle a retrouvé de nouvelles forces avec Henrique Capriles et Leopoldo Lopez, arrêté par le régime. Mais même réunie au sein de la Table de l’unité démocratique, elle reste très hétérogène. On ne peut pas dire qu’elle soit franchement de droite comme on entend ce terme en Europe. Elle accepte la démocratie sociale. Henrique Capriles ne rejette pas le modèle Chavez, ce qui signifie qu’il est partisan d’une redistribution de la rente pétrolière.
 
Pour autant, la situation des opposants est difficile. Notamment en raison de l’arrestation de Leopoldo Lopez. Mais elle se montre responsable et essaye de calmer le jeu. Henrique Capriles s’est prononcé pour des manifestations pacifiques.
 
Comment voyez-vous l’évolution du pays ?
Elle est évidemment difficile à dire. Constitutionnellement, l’opposition a la possibilité de convoquer un référendum révocatoire en 2015, qui pourrait entraîner le départ du pouvoir de Maduro. Son programme prévoit notamment de désarmer les «collectifs», de reprendre le contrôle du ministère de l’Intérieur, et d’assainir les prisons qui sont parmi les plus violentes de la planète. Mais tout cela suppose une volonté politique très forte. De son côté, Maduro n’a pas forcément les moyens de juguler la violence.
 
Ce scénario démocratique suppose une certaine normalité qui est loin d’être acquise en raison des pénuries. Par exemple, il n’y a plus que deux ou trois semaines de stocks pour certains médicaments qui ne sont plus importés : certains malades du cancer, les diabétiques doivent parfois renoncer à leurs soins. Il n’y a plus de lait pour les enfants. On assiste à des pillages de camions alimentaires car les gens ont faim. Dans ce contexte, la situation est explosive, anarchique, chaotique. D’autant qu’en jouant avec la diabolisation de l’autre et en affirmant que si quelqu’un n’est pas chaviste, il n’est pas vénézuélien, on a contribué à affaiblir la nation. 

L'insécurité au cœur des préoccupations des Vénézuéliens
AFP, 1-10-2012 (une semaine avant la réelection du précédent président vénézuélien Hugo Chavez)

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