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Venezuela : vague d'arrestations d'opposants sur fond de bérézina économique

Il a été péniblement élu après le décès d'Hugo Chavez, dont il se revendique l'héritier. Mais loin de l'image de «l'homme providentiel» prônée par son mentor, Nicolas Maduro se débat avec une cote de popularité sinistrée et un pays lessivé économiquement, deux ans après son élection.
Article rédigé par Frédérique Harrus
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Leopoldo Lopez, Daniel Ceballos, Antonio Ledezma, Maria Corina Machado, Julio Borges (AFP PHOTO / REUTERS)

L'effondrement économique du Venezuela, qui dispose pourtant des plus grandes réserves pétrolières mondiales, est surement dû, pour partie, au fait que le prix du pétrole a nettement baissé. Mais les détracteurs du président Maduro ne peuvent s'empêcher de dire que c'est organisé, que l'appareil de production du pays a été cassé volontairement. La population n'ayant d'autres choix que de se tourner vers l'Etat. Un Etat, tout puissant et seul apte à la satisfaire.

Le Venezuela ressemble aux pays de l'Est des années 80, où stationner dans les files d'attente était quasiment devenu une profession. Il est désormais formellement interdit (et dangereux) de photographier ou filmer ces files d'attente. L'inflation avoisine les 70% en 2014.

Les pénuries frappent tous les produits de première nécessité. Ainsi, la dernière pénurie en date affecte les préservatifs, ce qui peut faire sourire, mais quand on sait que le Venezuela occupe la troisième place sur le podium sud-américain des taux de contamination par le virus du sida et se trouve très confronté aux grossesses d'adolescentes, le sourire s'efface. «Sans préservatifs, on ne peut rien faire», déplore Jhonatan Rodriguez, directeur général d'une ONG luttant contre le sida, dans Bloomberg Business. D'où ces vingt petits pourcents d'opinions favorables au président dans une population excédée.

Des opposants en ligne de mire
Une situation, qui donne de nombreux arguments à l'opposition vénézuélienne, qu'elle soit modérée ou de droite radicale. Et Maduro, les détracteurs il n'aime pas ça. Leopoldo Lopez, fondateur du parti Voluntad Popular, en a fait l'amère expérience. Mis «provisoirement» en prison, il y croupit depuis un an.

Suite à des manifestations estudiantines ayant très mal tourné (on déplore de 43 morts), Daniel Ceballos, le maire de San Cristobal, la ville où elles se sont déroulées en février et mai 2014, a rejoint derrière les barreaux Leopoldo Lopez un mois plus tard. 

Dans les mêmes manifestations de San Cristobal se trouvait aussi Maria Corina Machado. Elle est accusée et inculpée de conspiration en vue d’assassiner le chef de l‘Etat. Elle a beau dénoncer une mascarade visant à la réduire au silence et à détourner l’attention des Vénézuéliens des difficultés économiques, elle n'encourt pas moins de 16 ans de prison selon le parquet. «Il est très difficile d’imaginer que les charges contre Maria Corina Machado pour sa supposée participation à un plan pour assassiner le président ne soient autre chose qu’une mascarade», estime José Miguel Vivanco, directeur de la division Amériques à Human Rights Watch (HRW). 

Le maire de Caracas n'y échappe pas
Autre opposant notoire, le maire de la capitale Caracas, Antonio Ledezma. Il s'était déjà battu contre l'accession au pouvoir d'Hugo Chavez et continue contre Nicolas Maduro. Ce dernier n'a donc de cesse que d'en venir à bout et de le faire taire. Dans un premier temps, quand Antonio Ledezma a été élu à tête de la mairie de Caracas, Maduro a créé une nouvelle fonction : «chef du gouvernement de Caracas», parallèle à celle de maire. Le bugdet alloué à la ville s'était alors retrouvé dans les prérogatives de gestion du détenteur de ce nouveau poste. L'édile s'est donc vu à la tête d'une coquille vide, mais surtout dans l'incapacité financière de payer les 15.000 employés municipaux. Nicolas Maduro espérait ainsi monter les gens contre ce sempiternel vainqueur d'élections. Peine perdue, Ledezma a surmonté l'épreuve.

Plus récemment, il vient de publier une lettre qu'il a cosignée avec Leopoldo Lopez (du fond de sa prison) et Maria Corina Machado toujours sous la menace d'une lourde condamnation. Cette lettre ouverte mentionnait la nécessité d'un plan national de transition démocratique à la tête du pays.

Las, Antonio Ledezma a été arrêté le 19 février dans ses bureaux. Deux procureurs lui ont signifié le lendemain qu'il était poursuivi pour «son implication présumée dans des faits complotistes pour organiser et exécuter des actions violentes contre le gouvernement». Le président Maduro est intervenu le soir même à la télévision et a déclaré que M.Ledezma «doit être inculpé par la justice vénézuélienne pour qu'il réponde de tous les délits commis contre la paix dans le pays, la sécurité, la Constitution», se référant à une tentative présumée de coup d'Etat qu'il avait dénoncée le 13 février 2015. Bien que placé en détention provisoire, Antonio Ledezma a décidé de faire appel.

La répression tempère les réactions
Dans ce contexte d'arrestations tous azimuts, les réactions sont plus que mesurées. Néanmoins, Jesus Torrealba, le secrétaire général de la coalition d'opposition La Table de l'unité démocratique (MUD) déclare que «ces derniers jours où l'on parle tant de coups d'Etat, nous assistons à un coup de la part de l'Etat». Quant au leader de l'opposition, Henrique Capriles, deux fois candidat à l'élection présidentielle, il se demande si «Maduro croit qu'en nous mettant tous en prison il va récupérer 50 points de popularité ou gagner les élections?». Des manifestations de quelques centaines d'étudiants ont lieu, protestant contre les arrestations, les pénuries et demandant plus de libertés.



Mais la série continue, et cette fois c'est l'élu d'opposition Julio Borges qui est accusé par des députés de la majorité socialiste à l'Assemblée nationale du Venezuela d'avoir pris part à un complot contre le président Nicolas Maduro. «Nous considérons qu'il y a suffisamment d'éléments pour lever l'immunité (parlementaire du député) et que ce monsieur aille occuper une cellule», a déclaré le député du Parti socialiste unifié du Venezuela  (PSUV, majoritaire) Dario Vivas. M.Borges, membre du parti Primero Justicia, comme l'ancien candidat à la présidence Henrique Capriles, a été accusé au début du mois de février par le président de l'Assemblée et numéro deux du pouvoir «chaviste», Diosdado Cabello, d'avoir pris part à un complot présumé contre M.Maduro. 

Depuis son élection en 2013, Nicolas Maduro dénonce et «déjoue» une quantité invraisemblable de complots à son encontre, quant il ne s'agit pas de tentatives d'assassinats, avec ou sans la complicité supposée des Etats-Unis. Au point que le 26 février John Kerry a dénoncé «le comportement monstrueux» du régime vénézuélien, la «répression du peuple, les arrestations et les fausses accusations contre nous qui émanent du Venezuela». La multiplication des arrestations depuis un an inquiète au plus haut point aux plans tant national, qu'international et la question du respect de la démocratie commence à devenir cruciale.

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