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Antonythasan Jesuthasan, héros de «Dheepan», déplore la lutte armée au Sri Lanka
«Dheepan», le dernier film de Jacques Audiard qui a remporté la palme d’Or de la 68e édition du Festival de Cannes, revient sur le parcours d’un ancien rebelle tamoul qui trouve refuge en France. Le personnage de fiction, qui donne son nom au film, présente bien des similitudes avec son interprète, l'acteur écrivain Antonythasan Jesuthasan. Entretien avec un ancien Tigre tamoul.
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Temps de lecture : 9min
En 1983, une guerre civile éclate au Sri Lanka, autrefois appelée Ceylan. Elle oppose la majorité cingalaise (environ 70% de la population) à la minorité tamoule (15%), discriminée depuis l’indépendance. La rébellion des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), soutenue notamment par les tamouls indiens, revendique les territoires du nord et du nord-est pays où elle veut créer un Etat indépendant, l’Eelam tamoul.
Antonythasan Jesuthasan est enrôlé à l'âge de 16 ans. Après trois ans de combat, il quitte la rébellion en 1986 dont il réprouve les dérives «fascistes». Il sera arrêté quelques mois plus tard par les autorités sri-lankaises à cause de son passé d'enfant-soldat. A sa libération, il fuit son pays pour la Thaïlande où il est enregistré comme réfugié par l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). En 1993, il finit par rejoindre la France où vit une forte communauté tamoule. Sous son nom de plume, Shobasakthi, Antonythasan Jesuthasan trouve dans la littérature l'opportunité de raconter son expérience et le moyen d'exprimer ses opinions politiques. Dans sa prose, il n'épargne ni la rébellion tamoule, ni le gouvernement sri-lankais.
Votre personnage, Dheepan, veut faire table rase de son passé guerrier quand il trouve refuge dans une banlieue française. Vous n’avez pas eu peur de revivre votre passé de rebelle en tournant avec Jacques Audiard?
J’ai quitté le Sri Lanka il y a vingt-cinq ans. Mais tout ce que j’ai vécu là-bas sera toujours gravé en moi. Montrer toutes ces souffrances, à travers l’art, n’est pas nouveau pour moi. Depuis deux décennies, c’est ce que je fais en écrivant. Je suis capable de sortir de l’émotion quand il est question d’art.
Comment l’écriture vous a aidé à évacuer cette souffrance dont vous parlez, voire oublier votre ancienne vie de combattant?
Je ne veux rien oublier de ce qui s’est passé parce que notre peuple a beaucoup souffert pendant la guerre civile. C’est pour cela que j’écris ce que j’ai vécu dans mon pays, à l’instar de milliers d’autres.
Que pouvez-vous dire de cette guerre civile que vous avez vécue de l’intérieur?
En ce qui me concerne, la lutte armée est une erreur. S’être livré à la guerre quand on a pour voisin le pays de Gandhi s’apparente à une aberration. Nous n’avons rien gagné au final après trente ans de guerre. Au contraire, nous avons presque tout perdu. Au vu de mon expérience, la guerre ne mène qu’à une chose : la destruction. Au Sri Lanka, nous avions la possibilité de nous battre sans prendre les armes. La guerre a été une énorme erreur.
Pourquoi, selon vous, le pays a-t-il basculé dans la violence?
En 1948, le Sri Lanka devient indépendant. Jusqu’en 1983, début de la guerre civile, nous avons combattu pour nos droits sans les armes. Cependant, la lutte armée a toujours été envisagée par une petite minorité de jeunes militants (le LTTE est un mouvement formé par des étudiants tamouls, NDLR) qui n’avaient cependant pas le soutien de la communauté. L’étincelle, qui a mis le feu aux poudres, est né d’un différend entre les gouvernements indien et sri-lankais.
Dans un contexte de guerre froide, le Sri Lanka a basculé dans le camp des Américains après 1977, alors que jusqu’ici le pays et son voisin indien avaient les yeux tournés vers le Kremlin. Dès lors, l’obsession de New-Dehli sera de ramener le Sri Lanka dans le giron russe. Pour faire pression sur les autorités sri-lankaises, les Indiens forment, financent et arment les jeunes rebelles tamouls. Quand l’Inde a finalement obtenu gain de cause, elle a demandé aux Tigres tamouls de mettre fin à la rébellion. De même en 2009, à la fin de la guerre civile, l’armée sri-lankaise n’aurait pas pu venir à bout des Tigres tamouls sans l’aide de l’Inde (presse, gouvernement et armée).
Dans un contexte de guerre froide, le Sri Lanka a basculé dans le camp des Américains après 1977, alors que jusqu’ici le pays et son voisin indien avaient les yeux tournés vers le Kremlin. Dès lors, l’obsession de New-Dehli sera de ramener le Sri Lanka dans le giron russe. Pour faire pression sur les autorités sri-lankaises, les Indiens forment, financent et arment les jeunes rebelles tamouls. Quand l’Inde a finalement obtenu gain de cause, elle a demandé aux Tigres tamouls de mettre fin à la rébellion. De même en 2009, à la fin de la guerre civile, l’armée sri-lankaise n’aurait pas pu venir à bout des Tigres tamouls sans l’aide de l’Inde (presse, gouvernement et armée).
Dans le film, Dheepan est contacté par un ancien chef rebelle qui lui demande de reprendre les armes alors que la guerre est terminée. Que sont devenus les Tigres après la fin du conflit?
L’intrigue du film se situe en 2009. A cette époque, certains rebelles voulaient effectivement continuer le combat mais ils n’ont jamais réussi à faire l’unanimité au sein de la communauté tamoule. D’autres ont voulu former un gouvernement en exil. Les anciens Tigres tamouls sont considérés comme des terroristes et ne peuvent pas rentrer au Sri Lanka. Une ancienne rebelle qui a appartenu au mouvement, il y a dix ans, a trouvé refuge à Aulnay-sous-Bois (en banlieue parisienne). Marié et mère de famille, elle a décidé de rentrer au pays pour voir sa famille. Elle a été arrêtée par les autorités sri-lankaises qui la retiennent toujours.
Le Sri Lanka a connu le 17 août 2015 des élections législatives auxquelles la minorité tamoule a participé. Quelle est la situation de vos compatriotes, qui souffrent encore de discrimination ou sont parfois victimes de tortures, depuis la fin de la guerre civile ?
Il est vrai que la guerre est terminée mais les droits des différentes minorités – les Tamouls, les musulmans et les Tamouls des montagnes (Ils sont pour la plupart les descendants de la deuxième vague d’immigration venue travailler dans les champs de thé et de café, NDLR) - ne sont pas encore reconnus. Cependant, les tamouls ne veulent plus prendre les armes pour se défendre.
Nous ne voulons plus ni des nationalistes radicaux, ni des racistes : ces élections ont marqué et le rejet de tous les radicaux, Tamouls et Cingalais. Nous voulons tous en finir avec la violence. A l’instar des législatives, la présidentielle à l’issue de laquelle un nouveau président a été élu, constituent à ce titre un point positif (Maithripala Sirisena a été élu en janvier 2015, il est considéré par les leaders tamouls comme plus à même de mettre fin aux tensions interethniques que connaît le pays, contrairement à son prédécesseur Mahinda Rajapakse. NDLR).
Comment voyez-vous l’avenir des Tamouls ?
Notre avenir réside dans la capacité de toutes les minorités à s’unir, à savoir les musulmans, les Tamouls et les Tamouls des montagnes. Quel que soit ce qu'il nous réserve, notre avenir passe par le parlement. Nous avons la possibilité de nous y exprimer et de défendre nos droits. Dans les régions tamoules, ce sont des natifs qui ont remporté les élections : 16% des sièges sont détenus par le Tamoul national alliance (TNA, le principal parti qui représente la minorité tamoule du nord du pays, NDLR).
Le succès de «Dheepan», palme d’Or au dernier Festival de Cannes, fait-il désormais de vous un ambassadeur de la cause tamoule?
Je pense que oui. Même si je n’en ai pas toujours l’opportunité, je ferai toujours tout pour raconter mon histoire et celle de mon peuple. Aujourd’hui, on vient désormais vers moi grâce à ce film. Par conséquent, c’est plus facile d’être entendu.
Quels sont vos projets ?
Dès la fin du tournage de Dheepan, j’ai écrit un livre qui vient d'être publié (en Grande-Bretagne et en Inde notamment). Box (boîte), le titre du livre, est une expression tamoule pour dire que l’on est encerclé par l’armée indienne. Aujourd’hui, c’est tout le Sri Lanka qui est devenue une «box ».
Un pamphlet politique après un film qui fait la part belle à l’amour ?
Tout ce que j’écris est politique. Mais il est aussi question de politique dans Dheepan.
Votre film sera-t-il vu au Sri Lanka ?
Non.
Dheepan de Jacques Audiard avec Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby
Sortie française : 26 août 2015
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