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Japon : aux racines du nationalisme de Shinzo Abe
Shinzo Abe affiche sans ambiguïté son nationalisme. Une politique qui a des conséquences sur le plan national, mais qui fragilise également l'équilibre en Asie du nord-est. Entretien avec Edouard Pflimlin, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
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Comment l'ultra-nationalisme de Shinzo Abe est-il perçu par la population nippone?
Une grande partie de la population est inquiète. Quand Shinzo Abe a changé les prérogatives des forces de défense, 60 000 Japonais sont descendus dans les rues, ce qui n’est pas rien au Japon. La majorité de la population reste attachée au pacifisme. Mais il y a des franges qui sont sensibles au nationalisme d’Abe, notamment les jeunes qui ont grandi en subissant la crise économique. Il y a également les descendants des militaires de l’armée impériale, sensibles à la réécriture de l’Histoire. Dans la classe politique conservatrice, certains veulent redonner au Japon sa place dans le monde, quitte à faire du révisionnisme.
Le frère de Shinzo Abe est le leader du Nippon Kaigi, un lobby révisionniste. Quelle est l’influence de ce groupe sur la politique de Shinzo Abe ?
C’est une organisation avec un rôle assez important, qui vise à redorer l'image de la religion shintoïste ainsi que celle de l’empereur japonais. Elle exerce une influence sur une partie de l’opinion et de la classe dirigeante. Elle joue un rôle de plus en plus important depuis l'accession de Shinzo Abe. Cela se traduit par une révision des manuels d’histoire, et les visites d’Abe au sanctuaire Yasukuni. Cela exprime une volonté d’exalter le passé impérial.
Comment le nationalisme japonais est-il perçu par les voisins du Japon, la Chine et la Corée du Sud ?
Les Chinois sont assez inquiets. Ils craignent qu’en réaffirmant sa place dans le monde, et en niant son rôle lors de la Seconde guerre mondiale, le Japon redevienne un pays expansionniste et dangereux. Par exemple, le massacre de Nankin est un événement important (entre 140 000 et 300 000 Chinois tués), or beaucoup de dirigeants, dont Abe, ont des propos assez ambigus par rapport à ce massacre. Au Japon, certains vont même à le nier.
En Corée du Sud, la question des femmes de réconfort, qui ont servi dans les bordels de l’armée japonaise lors du second conflit mondial, a très longtemps été ignorée par les Japonais. Mais fin 2015, Tokyo a finalement reconnu ses torts, même s’il ne reste plus que quelques dizaines de femmes de réconfort encore en vie. Mais ces questions restent toujours assez sensibles.
Contrairement à l’Allemagne, le Japon ne semble pas avoir fait de travail de mémoire...
C'est totalement vrai. Il y a eu un tribunal où les criminels de guerre ont été jugés, mais il n’y a pas vraiment eu de travail de mémoire ni de regard critique sur le passé du pays. Dans les manuels scolaires, la Seconde guerre mondiale est assez mal expliqué tout comme le massacre de Nankin qui est méconnu des jeunes Japonais.
Sur le plan extérieur, le Japon a de plus grandes ambitions que l'Allemagne qui a fait un grand travail sur elle-même et qui a volontairement restreint son action internationale.
Justement, la volonté de Shinzo Abe de réviser la Constitution pacifiste peut-elle être vue comme une tentative d’indépendance vis-à-vis de Washington ?
Cela pourrait être le cas si le Japon arrivait à supprimer l’article 9 de sa Constitution (qui régit le pacifisme japonais, ndlr), mais il y a des résistances au sein de la société japonaise. Le Japon augmente régulièrement son budget militaire. On pourrait penser qu'il s'agit là d'une volonté de s’affranchir de la tutelle américaine ou en tout cas se donner une plus grande marge de manœuvre. Mais une telle démarche serait totalement illusoire.
Le nationalisme japonais pourrait-il mener à un conflit militaire avec la Chine ?
S’il devait y avoir une confrontation avec la Chine, ce ne serait pas la faute de Abe. Les actions chinoises ne tiennent pas compte de la politique japonaise. Je ne pense pas que le nationalisme japonais puisse être à l'origine d'un conflit, au contraire des provocations chinoises.
Selon la propre formule d'Abe, le «retour du Japon» peut-il être vu comme un contrepoids au «Rêve chinois» du président Xi Jinping qui veut lui aussi restaurer l'image de la Grande Chine, à l’époque où elle dominait le monde ?
Le «retour du Japon» est clairement perçu comme un contrepoids à la montée en puissance de la Chine mais aussi de celle de la Corée du Sud. C’est l'objectif de Shinzo Abe et c’est pour cela qu’il a été élu et qu’il est populaire. Il est clairement mis en avant que le Japon agit en réaction à la politique chinoise. En avril 2015, le Japon a renforcé son alliance bilatérale avec les Etats-Unis, multipliant les achats d'avions américains. Une alliance avec Washington reste fondamentale dans cet environnement peu stable. Instabilité renforcée par la politique nord-coréenne.
Une grande partie de la population est inquiète. Quand Shinzo Abe a changé les prérogatives des forces de défense, 60 000 Japonais sont descendus dans les rues, ce qui n’est pas rien au Japon. La majorité de la population reste attachée au pacifisme. Mais il y a des franges qui sont sensibles au nationalisme d’Abe, notamment les jeunes qui ont grandi en subissant la crise économique. Il y a également les descendants des militaires de l’armée impériale, sensibles à la réécriture de l’Histoire. Dans la classe politique conservatrice, certains veulent redonner au Japon sa place dans le monde, quitte à faire du révisionnisme.
Le frère de Shinzo Abe est le leader du Nippon Kaigi, un lobby révisionniste. Quelle est l’influence de ce groupe sur la politique de Shinzo Abe ?
C’est une organisation avec un rôle assez important, qui vise à redorer l'image de la religion shintoïste ainsi que celle de l’empereur japonais. Elle exerce une influence sur une partie de l’opinion et de la classe dirigeante. Elle joue un rôle de plus en plus important depuis l'accession de Shinzo Abe. Cela se traduit par une révision des manuels d’histoire, et les visites d’Abe au sanctuaire Yasukuni. Cela exprime une volonté d’exalter le passé impérial.
Comment le nationalisme japonais est-il perçu par les voisins du Japon, la Chine et la Corée du Sud ?
Les Chinois sont assez inquiets. Ils craignent qu’en réaffirmant sa place dans le monde, et en niant son rôle lors de la Seconde guerre mondiale, le Japon redevienne un pays expansionniste et dangereux. Par exemple, le massacre de Nankin est un événement important (entre 140 000 et 300 000 Chinois tués), or beaucoup de dirigeants, dont Abe, ont des propos assez ambigus par rapport à ce massacre. Au Japon, certains vont même à le nier.
En Corée du Sud, la question des femmes de réconfort, qui ont servi dans les bordels de l’armée japonaise lors du second conflit mondial, a très longtemps été ignorée par les Japonais. Mais fin 2015, Tokyo a finalement reconnu ses torts, même s’il ne reste plus que quelques dizaines de femmes de réconfort encore en vie. Mais ces questions restent toujours assez sensibles.
Contrairement à l’Allemagne, le Japon ne semble pas avoir fait de travail de mémoire...
C'est totalement vrai. Il y a eu un tribunal où les criminels de guerre ont été jugés, mais il n’y a pas vraiment eu de travail de mémoire ni de regard critique sur le passé du pays. Dans les manuels scolaires, la Seconde guerre mondiale est assez mal expliqué tout comme le massacre de Nankin qui est méconnu des jeunes Japonais.
Sur le plan extérieur, le Japon a de plus grandes ambitions que l'Allemagne qui a fait un grand travail sur elle-même et qui a volontairement restreint son action internationale.
Justement, la volonté de Shinzo Abe de réviser la Constitution pacifiste peut-elle être vue comme une tentative d’indépendance vis-à-vis de Washington ?
Cela pourrait être le cas si le Japon arrivait à supprimer l’article 9 de sa Constitution (qui régit le pacifisme japonais, ndlr), mais il y a des résistances au sein de la société japonaise. Le Japon augmente régulièrement son budget militaire. On pourrait penser qu'il s'agit là d'une volonté de s’affranchir de la tutelle américaine ou en tout cas se donner une plus grande marge de manœuvre. Mais une telle démarche serait totalement illusoire.
Le nationalisme japonais pourrait-il mener à un conflit militaire avec la Chine ?
S’il devait y avoir une confrontation avec la Chine, ce ne serait pas la faute de Abe. Les actions chinoises ne tiennent pas compte de la politique japonaise. Je ne pense pas que le nationalisme japonais puisse être à l'origine d'un conflit, au contraire des provocations chinoises.
Selon la propre formule d'Abe, le «retour du Japon» peut-il être vu comme un contrepoids au «Rêve chinois» du président Xi Jinping qui veut lui aussi restaurer l'image de la Grande Chine, à l’époque où elle dominait le monde ?
Le «retour du Japon» est clairement perçu comme un contrepoids à la montée en puissance de la Chine mais aussi de celle de la Corée du Sud. C’est l'objectif de Shinzo Abe et c’est pour cela qu’il a été élu et qu’il est populaire. Il est clairement mis en avant que le Japon agit en réaction à la politique chinoise. En avril 2015, le Japon a renforcé son alliance bilatérale avec les Etats-Unis, multipliant les achats d'avions américains. Une alliance avec Washington reste fondamentale dans cet environnement peu stable. Instabilité renforcée par la politique nord-coréenne.
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