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Les aborigènes d'Australie, une minorité marginalisée

Les 470.000 aborigènes d’Australie (sur 22 millions d’habitants), premiers habitants de ce pays-continent, sont aujourd’hui moins d’un demi-million. Pour autant, cette minorité, opprimée depuis l’arrivée des Européens il y a deux siècles, reste de nos jours paria dans son propre pays. Même si des progrès ont été accomplis ces dernières années.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Aborigènes à Roebourne (nord-ouest de l'Australie) le 18 juin 2008 (AFP - Greg WOOD)

«Nous nous excusons pour les lois et les politiques des parlements et gouvernements successifs qui ont infligé à nos concitoyens australiens (aborigènes, NDLR) une profonde peine, une profonde souffrance et de grandes pertes». Le 13 février 2008, le premier ministre travailliste australien, Kevin Rudd, prononçait un discours au parlement de Canberra pour «supprimer une grande tache de l’âme de la Nation». Une étape importante, «historique» pour certains, de la reconnaissance de la communauté autochtone.

En novembre 2010, la nouvelle Première ministre, Julia Gillard, entend aller plus loin et appelle à la tenue d’un référendum national pour l’introduction dans la Constitution d’un paragraphe sur la reconnaissance des autochtones. Il s’agirait notamment de supprimer deux articles (25 et 51) justifiant la ségrégation. Dans le même temps, Julia Gillard annonce une loi reconnaissant les peuples indigènes et la nécessité de promouvoir leur bien-être (Act of Recognition).

Mais en septembre 2012, le discours de son gouvernement a changé. Celui-ci annonce que le référendum est repoussé. Motif : «Il faut admettre qu’il n’y a pas pour le moment de prise de conscience» en faveur d’un changement dans la Constitution, selon les termes de la secrétaire d’Etat chargée du dossier, Jenny Macklin. Une manière de dire que l’opinion australienne n’est pas prête. Le sentiment d’une «supériorité» coloniale, avec son cortège de brimades et de persécutions n’a peut-être pas tout à fait disparu...

Figures taillées dans le roc par d'anciens aborigènes; péninsule de Burrup (nord-ouest de l'Austraie), 17-6-2012. (AFP - Greg WOOD)
 
«Générations volées»
C’est en 1770 que le navigateur James Cook prend possession du territoire australien au nom de la Couronne britannique qui proclame celui-ci terra nullius, sans maître, principe supprimé seulement en 1992. En clair, pour Albion, ce territoire n’appartient à personne et peut donc être colonisé à volonté. Peu importe que pour les aborigènes, la terre, sacrée, «soit le noyau de toute spiritualité». Les indigènes sont donc à la fois spoliés de leur moyen de subsistance et de leur rapport au monde.

D’une manière générale, la discrimination et la marginalisation des autochtones se sont poursuivies jusqu’à nos jours. Au XXe siècle, les «massacres généralisés» et l’asservissement laissent la place à un autre sombre épisode de l’histoire australienne : les «générations volées», entre 1901 et 1969. Pendant cette période, «sur ordre du gouvernement», des dizaines de milliers d’enfants «aborigènes métissés de sang blanc ont été arrachés à leurs mères et placés dans des orphelinats, des missions ou des familles d’accueil censés en faire ‘de bons petits Australiens’». «L’assimilation est le but. Jusqu’à ce que tous les aborigènes vivent comme tout Australien blanc», explique en 1937 la Conférence du Commonwealth sur la situation des indigènes.

Cet épisode a été dénoncé explicitement par Kevin Rudd dans son discours devant le Parlement : «Nous demandons pardon pour les atteintes à la dignité et l’humiliation imposées à un peuple fier et à une culture fière». Mais dans le même temps, il excluait toute compensation financière. Ce qui a fait dire aux leaders de la communauté aborigène qu’il s’agissait d’une demande de pardon «à prix réduit» (cut-price)

Le premier ministre australien s'excuse auprès des «générations volées»


Network Ten, 12-2-2008

Une espérance de vie moindre que celle des autres Australiens
Aujourd’hui, globalement, malgré les excuses et les reconnaissances officielles, de nombreux aborigènes australiens continuent à vivre aux marges de la société. Avec toutes les conséquences que cela représente pour leur communauté, particulièrement touchée par la délinquance, l’alcoolisme et le suicide. Conséquence : l’espérance de vie des Australiens blancs dépasse de 17 ans celle des autochtones.

D’autres chiffres apportent la preuve de cette marginalisation. Ainsi, 25% des personnes détenues dans les prisons du pays sont d’origine autochtone. Un pourcentage qui s’élève à 60% dans les prisons pour jeunes. En Nouvelle-Galles du Sud (sud-est), le plus peuplé des Etats australiens, où vit près d’un tiers de la communauté aborigène du pays, le taux d’hospitalisation pour des affections respiratoires chroniques est 240 % plus élevé pour les membres de cette communauté que pour le reste de la population !

Pour la Première ministre australienne, de profonds changements culturels sont nécessaires pour «briser le cycle de la responsabilité entre le gouvernement australien et les populations aborigènes». Et Julia Gillard d’ajouter : leurs conditions de vie ne s'amélioreront que grâce à une «prise de responsabilité individuelle».

Au vu des chiffres, on est sans doute encore loin du compte. Pourtant, quelques signes montrent que les mentalités australiennes commencent à changer. Ainsi, des tour-opérateurs programment des excursions prenant en compte l’histoire des autochtones. On explique ainsi notamment aux visiteurs du Kings Park à Perth (sud-ouest) comment les actions des premiers habitants de l’Australie sont à l’origine du paysage local.

La première ministre australienne bousculée par des aborigènes


Euronews, 26-1-2012

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