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Manifestations violentes au Sri Lanka : "Les Sri-Lankais sont désespérés, ils n'ont plus rien à perdre", analyse un spécialiste

L'économie du Sri Lanka "est en dépôt de bilan officiel", a expliqué mardi sur franceinfo, Olivier Guillard, chercheur et spécialiste de l'Asie à l'Université du Québec à Montréal. 

Article rédigé par franceinfo
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Des agents de sécurité tentent de protéger le chef de l'opposition du Sri Lanka, Sajith Premadasa (non visible), d'une attaque de manifestants près du secrétariat présidentiel à Colombo, au Sri Lanka, le 9 mai 2022.  (CHAMILA KARUNARATHNE / EPA)

"Les Sri Lankais sont désespérés, ils n'ont plus rien à perdre", a analysé mardi 10 mai sur franceinfo Olivier Guillard, spécialiste de l'Asie et chercheur au Centre d'études et de recherches sur l'Inde, l'Asie du Sud et sa diaspora au sein de l'Université du Québec à Montréal. L'ONU s'inquiète de ce qui se passe au Sri Lanka et dénonce l'escalade de la violence. Sept personnes sont mortes dans les manifestations lundi 9 mai. Des manifestations les plus meurtrières de ces dernières années. Les manifestants pacifiques exigent la démission du président sri-lankais. Ils se sont faits attaquer par des partisans du pouvoir, entraînant des violences. Le ministère de la Défense ordonne de tirer à vue pour réprimer ces manifestations.

franceinfo : D'où vient cette crise et qu'est-ce qui l'a déclenchée ?

Olivier Guillard : Un nombre important de facteurs se sont cumulés. C'est un pays qui est ouvert sur la globalisation internationale, comme beaucoup d'autres en Asie. Malheureusement cette île de 23 à 24 millions d'individus a reçu les ondes de choc de la pandémie de Covid-19 qui a neutralisé totalement son économie, notamment son secteur touristique dont elle est très dépendante. Trois ans plus tôt, au printemps 2019, on parlait de ces attentats terribles qui avaient frappé Colombo et ramené le spectre du fléau du terrorisme dans le pays, 249 morts et plusieurs centaines de blessés. Ensuite s'est ajoutée, et c'est la rue qui l'a exprimée le mieux ces derniers mois, une colère contre l'équipe gouvernementale, dont la gestion est pour le moins sujette à caution. Vous aviez, il y a encore quelques semaines, sept individus de la même famille entre la présidence et divers portefeuilles ministériels, plus des neveux à qui on a confié un certain nombre de choses dans diverses fonctions. Donc une économie qui fonctionne mal, une économie impactée par le Covid-19 et par la disparition des touristes et qui s'est lancée ces dernières années dans des financements d'infrastructures somptuaires, à des coûts dépassant de loin les capacités de remboursement ou de financement de la roupie sri-lankaise.

Le pays est donc ruiné ?

On pense notamment à des prêts contractés auprès de la Chine que le pays est incapable de rembourser. Depuis lors, l'économie est en défaut de paiement et ne peut plus rien apporter. Les Sri-Lankais n'ont plus ni accès aux médicaments ni accès aux produits de base, ni ne peuvent se payer de l'électricité ou de l'essence, qui a totalement disparu depuis plusieurs semaines. Donc, c'est un ras-le-bol sur lequel se greffe l'évidence de cette mauvaise gouvernance qui est liée, dans une grande mesure, à la gestion patrimoniale et personnelle de l'équipe au pouvoir depuis une petite quinzaine d'années.

Il y a une colère générale aujourd'hui au Sri Lanka ? Ça traverse le pays ?

C'est un pays qui, entre le début des années 80 et la fin des années 2000, a traversé trois décennies de guerre civile donc les lignes de fractures sont ethniques, religieuses, politiques. Il y a toujours ceux qui profitent d'un système, ceux qui le dénoncent. Donc, tout ceci est exacerbé par l'environnement post Covid-19, cette économie qui tourne à l'arrêt. C'est cette économie qui est en dépôt de bilan officiel. Le FMI, la Chine, d'autres grandes nations contributrices essayent de remettre un peu d'ordre pour pouvoir financer, remettre quelque crédits dans les coffres vides de la nation. Tout ceci se fait donc dans une atmosphère de déshérence et de colère. La population criait depuis des mois qu'elle ne voyait pas le bout de cette crise. Aujourd'hui, vous ne pouvez plus trouver quoi que ce soit à manger à un prix intéressant. Une inflation qui dévore le peu qu'il vous reste dans votre porte-monnaie. Vous cherchez quelques responsables. Les responsables sont notamment du côté de la famille qui est aujourd'hui la dynastie au pouvoir. Cette dynastie a fait preuve de son incurie dans une très grande mesure depuis dix ans. Elle a une responsabilité importante dans les tourments du moment.

Vous êtes inquiet pour l'avenir à court terme du Sri Lanka ?

Dans une certaine mesure oui. Puisque ce pays a déjà traversé près de 40 ans de crises, délaissant des meurtrissures dans toutes les familles, dans les Cingalais comme chez les Tamouls, chez les bouddhistes comme chez les musulmans ou chez les chrétiens. Les violences politiques sont souvent importantes. Les élections se passent rarement dans la sérénité. Aujourd'hui, les Sri Lankais, dans une grande mesure, sont désespérés. Ils savent que la crise va durer, qu'elle va encore faire son lot de victimes et de malheurs. Et surtout, pour que tout redémarre, il faudrait que l'ensemble des voyants soient ouverts. Aujourd'hui tout est dans le noir, si ce n'est dans le plus sombre encore. Donc les Sri Lankais sont désespérés, ils n'ont pour nombre d'entre eux, plus rien à perdre. A tel point qu'ils n'hésitent plus, on l'a vu encore ces dernières heures, à affronter directement, à mains nues, les forces de l'ordre qui ont plutôt la main leste dans ce pays d'Asie du Sud, où la violence politique est encore très connue.

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